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France Télévisions: un rapport accablant sur les activités web

Bruno Patino (directeur général délégué au numérique) avec son PDG, Rémy Pflimlin

Bruno Patino (directeur général délégué au numérique) avec son PDG, Rémy Pflimlin - -

Un rapport du cabinet Sextant dévoilé par la CFE-CGC critique vivement les méthodes managériales mises en place depuis l'arrivée de Bruno Patino mi-2010.

A son arrivée à la tête de France Télévisions en 2010, Rémy Pflimlin a décidé de mettre le paquet sur internet. Pour cela, le président du groupe public a débloqué d'importants moyens financiers, et placé à la tête des activités internet Bruno Patino. Ce dernier a mis en place une nouvelle organisation, et notamment regroupé les activités web dans une entité baptisée France Télévisions Editions Numériques (FTVEN).

Ces développements ont donné quelques résultats, mais ne se sont pas faits sans douleur, à en croire un rapport du cabinet Sextant, dévoilé par le blog de la CFE-CGC. Ce rapport a été commandé par le comité d'hygiène et de sécurité (CHSCT) de FTVEN, qui l'a examiné vendredi 27 juin.

Revue des six principales critiques du rapport.

1 > la violence

"La brutalité de la mise en oeuvre des changements a été massivement déplorée par les salariés. Cette mise en oeuvre a été qualifiée de violente par la plupart des personnes rencontrées", pointe le rapport, qui cite plusieurs cas.

Par exemple, un salarié "découvre en réunion devant le collectif -et parfois même devant des prestataires extérieurs- des changements afférents à sa propre mission". Ou encore, "une réunion d’équipe est interrompue de manière impromptue pour annoncer le changement de responsable de cette même équipe, lui-même présent à ce moment-là".

2 > la cooptation

En mai 2011, Bruno Patino a remercié Laurent Souloumiac, qui dirigeait les activités internet depuis 2002. Puis la totalité des adjoints de Laurent Souloumiac ont été remplacés ou rétrogradés, au profit de recrues externes.

Le rapport pointe "l’arrivée de cadres imposés par la direction générale et occupant les postes stratégiques". Il estime que 55% des postes stratégiques sont occupés par des salariés recrutés depuis trois ans. Et "les fonctions dirigeantes des grandes activités sont occupées par des personnes recrutées à l’extérieur".

En outre, ces recrutements se sont faits "à des niveaux de salaires élevés." Et que beaucoup de nouveaux venus n'ont aucune expérience en télévision: des salariés s'interrogent ainsi sur "la légitimité des personnes qui ont été positionnées aux postes les plus importants, avec une ancienneté réduite, et parfois pas ou peu de connaissance du milieu ou des métiers qu’ils sont censés accompagner".

Le rapport cite "un propos qui s’est massivement fait entendre et traduit avec éloquence la violence du mode de fonctionnement: 'ils sont venus avec un projet, ils se sont cooptés entre eux, ils se sont affranchis de toutes les règles existantes'".

Parallèlement, des collaborateurs de longue date ont été "mis à l'écart brutalement. La plupart des salariés interrogés sont revenus avec émotion sur la violence avec laquelle ont été 'débarqués' des salariés dont le travail était visiblement unanimement reconnu".

Les chiffres compilés par le rapport montrent que les salariés ayant le plus d'ancienneté n'ont pas été promus, mais au contraire ont "perdu leur fonction managériale".

3 > la peur

"La violence du mode opératoire de la réorganisation a 'terrifié' les équipes", raconte le rapport, qui pointe "une peur qui s’est massivement exprimée et qui pousse à la prudence".

Cette peur "s’est manifestée sous différentes formes. On la déchiffre dans les réticences à participer à l’expertise. [...] Cette peur de s’exprimer est assurément renforcée par l’expérience vécue de la mise à l’écart brutale (ou insidieuse) de collaborateurs".

4 > une santé qui se dégrade

Cette organisation du travail est "particulièrement pathogène", dénonce le rapport, qui liste: "les indicateurs de santé au travail, ainsi que les troubles psychosociaux qui se sont massivement révélés, témoignent d’une dégradation du climat social, et de ses effets en cascade sur la santé".

Concrètement, "ce malaise s'est traduit par l’explosion des arrêts maladies en 2013". En effet, le nombre de jours d'arrêts maladie a été multiplié par 2,8 entre 2011 et 2013. Et pas moins de 47,4% des salariés des Editions Numériques ont été en arrêt maladie durant 2013, soit le double des années précédentes...

La mise au placard de certains salariés "a eu pour corolaire des arrêts maladie de longue durée". Les auteurs du rapport ont aussi eu connaissance d'"arrêts maladie pour dépression".

5 > des chiffres qui tronquent la réalité

Depuis 2011, France Télévisions s'est lancée dans une communication agressive autour de ses audiences internet, qui est dénoncée par les concurrents, mais aussi en interne.

Selon le rapport, "plusieurs salariés ont déploré une utilisation biaisée des chiffres au service d’une démonstration de l’efficacité de la nouvelle organisation. L’exemple plusieurs fois cité concerne le tagage d’audience qui permet d’identifier les sites les plus fréquentés. Visiblement, toutes les émissions des chaînes qui faisaient beaucoup d’audience et contenant de l’information ont été taguées comme de l’information. Ce qui a fait artificiellement grossir les chiffres d’audience du pôle information".

Le rapport cite un propos "qui vient corroborer ces constats d’une présentation des chiffres qui tronque la réalité: 'on a l’impression d’une course à l’échalote, à celui qui dira des choses positives, quitte à ne pas dire la vérité'".

6 > une qualité qui se dégrade

"La qualité des contenus proposés était du point de vue de certains salariés devenu médiocre, voire dégradée", déplore le rapport.

Il cite l'exemple des commentaires diffamatoires des internautes, qui "seraient passés sur [le site] car il n’y a plus de modérateur".

Il cite aussi ce propos d'un salarié: "il y a trop de fautes [d'orthographe], trop de cookies, trop d’éléments qui ne sont pas en accord avec la mission de service public qui nous a été confiée. On ne peut pas faire tout et n’importe quoi..."

Interrogé sur le rapport, le porte-parole de France Télévisions n'a pas souhaité faire de commentaires.
De son côté, le CHSCT a décidé vendredi de porter plainte en justice contre la direction pour "délit d'entrave", l'accusant de ne pas avoir consulté le CHSCT avant de mettre en place la nouvelle organisation.
Enfin, la CFDT a publié lundi un communiqué dénonçant les conditions de travail à FTVEN, où "45% des salariés ne sont pas de vrais salariés mais des précaires: stagiaires, contrats de professionnalisation..."

Jamal Henni