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François-Henri Pinault (Kering): "Imaginez que demain, on ne puisse plus utiliser le cuir"

Le PDG de Kering, François-Henri Pinault, était l'invité de Stéphane Soumier dans Good Morning Business ce mardi.

Le PDG de Kering, François-Henri Pinault, était l'invité de Stéphane Soumier dans Good Morning Business ce mardi. - BFM Business

Le PDG de Kering, d'ordinaire discret dans la presse, a détaillé sur BFM Business les clés des résultats phénoménaux de son groupe, et ses perspectives d'avenir. François-Henri Pinault insiste sur le fait qu'on ne peut pas gérer un groupe comme le sien "à court terme".

Kering a signé une nouvelle année record en 2017. Porté par la santé florissante de Gucci, le groupe de luxe a plus que doublé ses bénéfices par rapport à 2016, et ses ventes ont dépassé les 15 milliards d'euros. "Des chiffres phénoménaux, historiques pour le groupe comme pour l'industrie", s'est réjouit le PDG du numéro 5 mondial du luxe. François-Henri Pinault dont la parole est rare dans les médias, donnait une interview exceptionnelle à BFM Business ce mardi, répondant à toutes les questions sur les clés du succès, les spécificités, les espoirs et les craintes de son groupe.

> Le carton Gucci

Ces résultats, Kering les doit notamment à la performance spectaculaire de Gucci, la griffe italienne totalement remise de ses difficultés de 2015, qui a généré 6 milliards d'euros de ventes soit plus du tiers du chiffre d'affaires total du groupe. François-Henri Pinault s'en félicite d'autant plus que cette croissance est "extrêmement saine, à nombre de magasins constant et à prix plein".

> Les perspectives florissantes de l'industrie du luxe

"Le luxe, pendant 50 ans, ça a été l'Europe de l'Ouest, les États-Unis et le Japon, avec une base théorique de 800 millions de consommateurs", se souvient le PDG de Kering. "Tout à coup, avec l'émergence économique de certaines zones géographiques comme l'Asie, on s'est retrouvé avec près de trois milliards de consommateurs potentiels". Et le potentiel de croissance est encore loin d'être atteint, détaille François-Henri Pinault: "Le tourisme pèse pratiquement 35% de l'activité mondiale du luxe. Or seuls 5% des Chinois ont un passeport, et tous rêvent de voyager. On n'est pas du tout au bout de l'histoire. Ce marché va continuer à croître structurellement".

> Le poids des jeunes

"On a toujours eu dans le luxe, à hauteur de 25 ou 30%, la classe d'âge des trentenaires, les fameux Millenials. Plus récemment, en particulier grâce à la poussée de l'Asie mais aussi dans les pays plus matures, cette classe d'âge a commencé à peser plus de 50% chez Gucci, et même 65% chez Saint Laurent et Balenciaga", souligne le PDG du groupe. Avec cette population, c'est "l'offre créative qui va définir votre performance".

> De Pinault-Printemps-La Redoute à Kering

Kering a récemment annoncé son intention de distribuer 70% de ses titres Puma à ses actionnaires dans le but de se recentrer sur ses activités dans le luxe. François-Henri Pinault récupère en 2005 les rênes de l'ex-PPR des mains de son père qui avait choisi de diversifier ses activités pour minimiser les risques. Son fils, lui, réalise que grâce à la mondialisation, "on peut aller chercher cette diversification des risques sur la géographie, en se spécialisant sur un seul métier". Il cède le Printemps, la Fnac et la Redoute, et entame la redistribution du capital de Puma, "dernier mouvement de reconfiguration pour devenir un pure player du luxe".

> La cession de Puma

"Au moment du rachat de Puma en 2007, j'ai l'intuition qu'on peut se spécialiser sur le luxe, mais cela me paraît à l'époque un marché de niche à l'échelle mondiale, et si on veut avoir une taille significative, cela ne suffit pas. Donc, dans mon souhait de me concentrer sur le prêt-à-porter et l'accessoire, qui est une très grosse industrie, je décide de rajouter une jambe au groupe: Puma", se rappelle-t-il.

"En 2010-2011, le luxe change de dimension en termes de marché. Je me rends compte que c'est le moment d'infléchir la stratégie, que qu'on peut construire un groupe de taille très significative à l'échelle mondiale en étant un pure-player du luxe. D'où ma décision de ne pas m'entêter dans la stratégie de 2006, et de préparer la sortie de Puma", après l'avoir totalement remis sur les rails: la marque allemande a, comme Kering, doublé ses bénéfices l'année passée.

> La créativité d'abord, le créateur après

Face à une nouvelle génération qui a "besoin d'émotion", qui réclame une "cohérence du propos de la marque à travers tous les points de contact avec les clients" et un "récit créatif long", Kering choisit de confier à un seul directeur artistique et un PDG "l'intégralité de l'offre produit et de l'image de nos maisons", explique François-Henri Pinault. Pour autant, il s'attache à "recruter un profil créatif compatible avec la maison, non pas d'adapter la maison au profil créatif, comme cela s'est fait dans le passé".

"La star chez nous, c'est la maison", explique le PDG du groupe qui a vu partir ces dernières années avec fracas Hedi Slimane et Nicolas Ghesquière, tous deux recrutés depuis chez le concurrent LVMH. Reconnaissant des "essais et des erreurs" dans le passé, le groupe tient aujourd'hui à ce que la maison "donne de la visibilité à des créateurs de talents", pas l'inverse. "Qui connaissait Alessandro Michele (le DA de Gucci recruté en interne, ndlr) il y a trois ans? Il est aujourd'hui reconnu comme l'un des plus brillants esprits créatifs de la profession. Qui connaissait Demna Gvasalia, le DA de Balenciaga? Anthony Vaccarello chez Saint Laurent?".

> Kering anticipe les risques

Le PDG entrevoit-il des risques qui pèsent sur Kering et l'industrie du luxe? Des crises comme celle de 2008-2009, "ce n'est pas ce qui m'inquiète le plus", indique-t-il. En revanche, "imaginez que demain, on ne puisse plus utiliser le cuir. Qu'est-ce qu'il se passe?", demande celui qui multiplie les initiatives dans la mode durable. "Ce sont des hypothèses sur lesquelles on travaille, comme sur le fait de ne plus pouvoir utiliser le coton. On a une équipe innovation qui cherche des solutions à ces scénarios de rupture, pour essayer d'anticiper ce type de menaces... On ne peut pas gérer un groupe comme le nôtre à court terme."

N.G.