BFM Business
Services

Google n'a payé que cinq millions d'euros d'impôts en France l'an dernier

Google envoie en Irlande le chiffre d'affaires engrangé hors des Etats-Unis, mais ne paye quasiment aucun impôt au fisc irlandais

Google envoie en Irlande le chiffre d'affaires engrangé hors des Etats-Unis, mais ne paye quasiment aucun impôt au fisc irlandais - -

Le moteur de recherche a réalisé dans l'Hexagone un chiffre d'affaires estimé entre 1,25 et 1,4 milliard d'euros en 2011, mais n'a déclaré que 138 millions d'euros de revenus... et donc payé très peu d'impôts.

Cinq millions et demi d'euros. Telle est la somme que Google a fort charitablement versée au fisc français l'an dernier. C'est toutefois assez logique, car la filiale française du moteur de recherche n'a déclaré en France qu'un modeste chiffre d'affaires de 138 millions d'euros (+101%), et un bénéfice net de 4,5 millions (+91%), selon les comptes 2011 qui viennent d'être arrêtés.

En réalité, l'américain réalise dans l'Hexagone un chiffre d'affaires bien plus important, que l'on peut estimer entre 1,25 et 1,4 milliard d'euros (cf. ci-contre). Si ce chiffre d'affaires était déclaré en France, Google aurait plutôt payé 150 à 165 millions d'euros d'impôts (en appliquant sa marge globale avant impôt de 32,5%).

Si le fisc français doit se contenter d'une telle aumone, c'est que le chiffre d'affaires réalisé dans l'Hexagone est en quasi-totalité facturé en Irlande, comme la quasi-totalité des revenus réalisés par Google hors des Etats-Unis. Au total, Google a déclaré en Irlande un chiffre d'affaires de 10,1 milliards d'euros en 2010 (dernier chiffre disponible).

L'Irlande, idiot utile de la fiscalité européenne

On pourrait donc penser que le vert pays (qui offre le taux d'impôt sur les sociétés le plus bas d'Europe, à 12,5%) engrange les impôts que Google ne paye pas ici. Hélas, il n'en est rien. Google ne paye quasiment pas d'impôts à Dublin non plus. En 2010, le moteur a payé 5,6 millions d'euros au fisc irlandais.... soit encore moins qu'en France!

Explication: la quasi-totalité des revenus déclarés en Irlande est ensuite transférée (via un rapide détour par les Pays-Bas) vers la filiale de Google aux Bermudes -en réalité, une boîte aux lettres sans salariés. Or, dans ce paradis fiscal, il n'y a pas d'impôt sur les sociétés... Concrètement, les résultats déclarés en Irlande sont amputés de massifs "frais administratifs" (7,2 milliards d'euros), qui correspondent aux royalties envoyés aux Bermudes.

Pas d'impôts payés sur la moitié du chiffre d'affaires

Ce montage fiscal permet donc à Google de payer des impôts ridicules (248 millions de dollars en 2011) sur toutes ses activités hors des Etats-Unis. En pratique, 90% des impôts payés vont au fisc américain. Pourtant, l'international représente désormais la majorité du chiffre d'affaires du californien.

Certes, des montages plus ou moins similaires sont utilisées par d'autres firmes américaines. Mais selon une enquête de Bloomberg, Google est la firme qui réussit à payer le moins d'impôts hors des Etats-Unis (un taux d'imposition de 2,4% en moyenne), soit bien moins que Apple, Microsoft ou IBM. Et globalement, Google paye seulement 21% d'impôts sur ses bénéfices, alors que le taux fédéral américain est de 35%. Le moteur a ainsi sauvé des griffes du fisc 5,7 milliards de dollars depuis 2006, dont 1,7 milliard pour la seule année 2011.

Toutefois, ce joli schéma d'évasion fiscale n'est pas parfait, car le fisc américain joue les empêcheurs d'optimiser en rond. En effet, il veut aussi taxer à 35% les bénéfices réalisés hors du pays. Résultat: beaucoup d'entreprises laissent dormir leurs profits hors des Etats-Unis. Ainsi, à fin 2011, Google a accumulé 24,8 milliards de dollars de profit à l'étranger -apparemment aux Bermudes. Soit quasiment la moitié de sa trésorerie.

Heureusement, les entreprises américaines ont parfois la chance d'avoir un président compréhensif, qui leur offre de rapatrier leurs profits sans trop les ennuyer -ce fut le cas de George W. Bush en 2005, qui taxa ces rapatriements à seulement 5% au lieu de 35%. Un geste qui suscita ensuite une controverse dans l'opinion, et que l'administration Obama refuse de répéter. Mais visiblement, Google comme les autres entreprises américaines attendent un nouveau cadeau de ce type.

Google joue les Caliméro

Pour faire passer cette pilule amère, les représentants de Google en France mettent en avant les emplois créés dans l'Hexagone (400), les investissements en recherche et développement (17 millions d'euros en 2011), ainsi que dans le nouveau siège (dont l'achat a coûté 113 millions d'euros). "La contribution de Google à l'économie française ne se mesure pas forcément uniquement à l'aune de sa contribution fiscale directe, mais également par des investissements forts, et par une stimulation de tout l'écosystème français", assurait il y a un an Olivier Esper, le lobbyiste de Google France.

Le directeur général pour la France Jean-Marc Tasseto laisse même entendre que la fiscalité en France serait... excessive. "Il convient de mettre en place un cadre fiscal et juridique propre à libérer toutes ces énergies", déclarait-il au sujet du commerce électronique. Ajoutant que "la France doit rattraper son retard par rapport aux pays du nord de l'Europe".

Interrogé sur l'instauration d'une taxe Google, il répondait: "Ne pas dégrader la compétititvité fiscale de la France me semble extrêmement important". Enfin, questionné sur la filiale aux Bermudes, Olivier Esper éludait: "Il nous est difficile de confirmer ou d'infirmer cette information"...

Interrogée pour cet article, la porte-parole de Google France a juste souhaité rappeler que “Google s’acquitte des impôts dans chaque pays où l’entreprise opère, conformément aux législations fiscales locales en vigueur, et en adéquation avec la nature de ses activités réalisées sur place”.

Jamal Henni