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Pourquoi le redressement fiscal de Google pourrait être annulé

Le redressement fiscal de 1,115 milliard d'euros infligé au californien pourrait être annulé par le tribunal administratif. Le rapporteur public, dont l'avis est suivi dans la majorité des cas, a plaidé en ce sens mercredi 14 juin.

Il y a une demi-douzaine d'années, le fisc français est parti en guerre contre les géants américains du web. Bercy était furieux du peu d'impôt qu'ils payaient en France -pour Google, seulement 6,7 millions d'euros en 2015...

Explication: ces géants du web facturent le chiffre d'affaires réalisé en France depuis l'étranger (depuis l'Irlande pour Google). Ils ne déclarent donc au fisc français qu'une infime fraction du chiffre d'affaires effectivement réalisé en France. Ainsi, pour l'année 2015, Google n'a déclaré au fisc français qu'un chiffre d'affaires de seulement 248 millions d'euros, très loin de ses revenus réels qui peuvent être estimés à près de 2 milliards d'euros. En effet, le californien représente la quasi-totalité du marché de la publicité dans les moteurs de recherche, qui s'élève à 1,9 milliard d'euros en 2016, selon le SRI.

Le fisc a donc infligé des redressements fiscaux à tous les géants du web, se basant sur leur chiffre d'affaires effectivement réalisé dans l'Hexagone. Pour cela, le fisc a estimé que ces acteurs disposaient en réalité d'un "établissement stable" en France. Google a ainsi écopé d'un redressement de 1,115 milliard d'euros, basé notamment sur les documents saisis lors d'un raid mené dans ses locaux parisiens le 30 juin et le 1er juillet 2011.

Deux conditions à remplir

Furieux, le moteur de recherche a fait appel en mars 2015 devant le tribunal administratif de Paris, qui rendra son verdict mi-juillet. Mais, d'ores et déjà, l'affaire se présente bien pour lui. Mercredi 14 juin, Alexandre Segretain, le rapporteur public dont l'avis est suivi dans la majorité des cas, a estimé illégal ce redressement. Pour lui, le fisc n'est pas parvenu à démontrer que Google disposait d'un établissement stable en France.

Précisément, le fisc estimait que la filiale française était un "agent dépendant" de la filiale irlandaise. Pour cela, il faut remplir deux conditions. D'abord, établir qu'un "lien de dépendance" existe entre la filiale irlandaise et la filiale française, ce qui ne pose pas de difficulté.

Mais il faut aussi établir que Google France a le pouvoir de conclure des contrats pour Google Irlande, ce qui est plus difficile. Le rapporteur public a estimé que cette seconde condition n'était pas remplie, en se basant sur la jurisprudence du Conseil d'État dans les affaires Interhome et Zimmer. "Les salariés français jouaient un rôle bien plus large que le seul marketing allégué par Google, le mot 'marketing' ne voulant plus dire grand chose, et étant utilisé en substitution du mot 'commercial'. Ils s'occupaient aussi de l'après-vente, avec la gestion de la facturation ou du recouvrement", a admis le rapporteur public. Toutefois, "jamais les salariés de Google France ne signaient les contrats. Ils n'avaient pas le pouvoir de conclure les contrats".

Le rapporteur public a donc recommandé l'annulation du redressement, et même que l'État rembourse 7500 euros de frais de procédure à Google, défendu dans cette affaire par le prestigieux cabinet américain Baker & McKenzie.

Une affaire qui fera jurisprudence

Le redressement portait sur les exercices 2009 et 2010 (voire 2005 à 2010 pour la TVA). Le fisc, pour arriver à un total de 1,115 milliard d'euros, a additionné ce que Google aurait dû payer au titre de l'impôt sur les sociétés, de la TVA, de la taxe professionnelle, et de la cotisation sur la valeur ajoutée, puis ajouté une majoration de 80% pour abus de droit. Pour cela, il a reconstitué d'office le chiffre d'affaires qu'aurait réalisé Google en France. Précisément, il a comptabilisé le chiffre d'affaires engrangé avec l'assistance des salariés Google, mais pas celui engrangé automatiquement en ligne. Le fisc a ensuite estimé ses bénéfices, en appliquant une marge de 47% à 53%. Google a jugé cette marge trop élevée, et produit une étude montrant que les régies publicitaires françaises réalisaient des marges de seulement 2%... Même le rapporteur public a trouvé la ficelle un peu grosse, estimant que le calcul de la marge devait tenir compte "de la position quasi-monopolistique de Google".

Rappelons que le raisonnement du fisc dans cette affaire est inédit et assez audacieux, comme le reconnaissait lui-même en 2013 Alexandre Gardette, chef du service du contrôle fiscal: "Nous avons un espoir raisonnable de taxer et de redresser l'activité sur les 5 à 6 dernières années, car il y a une petite faille". Et c'est la première fois que la justice se prononce sur la validité de ce raisonnement. La décision qu'elle rendra fera donc jurisprudence pour les redressements fiscaux notifiés aux autres géants du web. Autrement dit, si le tribunal estime que le raisonnement du fisc ne tient pas dans l'affaire Google, alors les autres redressements seront aussi annulés... Toutefois, le fisc pourra faire appel, puis se porter en cassation devant le Conseil d'État.

Dans d'autres pays, le moteur de recherche a préféré transiger avec le fisc. Ainsi, en Italie, il a accepté début mai de payer 306 millions d'euros pour mettre fin aux contentieux portant sur la période 2009 à 2013.

Jamal Henni