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Huawei: Washington peine à démontrer un "péril jaune"

Le conseil d'administration avec le fondateur Ren Zhengfei (debout avec la veste claire) et la présidente Sun Yafang (assise avec le foulard violet)

Le conseil d'administration avec le fondateur Ren Zhengfei (debout avec la veste claire) et la présidente Sun Yafang (assise avec le foulard violet) - -

Un rapport du congrès américain déconseille d'utiliser les équipements du constructeur chinois, mais ne démontre pas qu'ils sont dangereux.

Est-il dangereux d’acheter des équipements à Huawei et aux autres constructeurs téléphoniques chinois? Telle est l’accusation qui a été formulée ces derniers mois par des rapports parlementaires dans plusieurs pays du monde.

En France, celui du sénateur Jean-Marie Bockel. Et surtout aux Etats-Unis, celui de la commission sur le renseignement de la chambre des représentants.

Ces deux rapports déconseillent fortement d’utiliser les équipements chinois dans les réseaux télécoms. Mais ces conseils relèvent du principe de précaution. Car ces rapports ne parviennent pas à démontrer l’existence d’un danger. Revue de détail.

1 L'espionnage des communications

La principale crainte vis-à-vis des équipements chinois est que Pékin puisse s’en servir pour espionner les communications. Problème: à aucun moment, les deux rapports n’indiquent qu’un tel espionnage est pratiqué, ou même techniquement faisable. Justification avancée: "il est virtuellement impossible de trouver et d’éliminer toute faille dans un équipement complexe", s'excuse le rapport du congrès américain.

Mais ce rapport pense qu’il existe un risque théorique: "Huawei fournit aux services de renseignement chinois une surabondance d’occasions d’insérer des implants malveillants dans des équipements critiques. Et, même si Huawei refusait de telles demandes, les services de renseignement chinois auraient juste besoin de recruter des techniciens ou des cadres travaillant pour lui. Enfin, selon la loi chinoise, Huawei serait obligé de coopérer avec le gouvernement chinois pour toute demande d’utiliser ses équipements au nom de la sécurité nationale". Le rapport, écrit avant l’affaire Snowden, ne dit évidemment pas que Washington peut en demander autant aux entreprises américaines…

Interrogé, un important opérateur européen explique: "le seul moment où Huawei communique à distance avec un équipement qu’il nous a vendu, c’est lorsque cet équipement a un problème et doit être réparé. Mais tous les échanges entre Huawei et l’équipement sont alors surveillés et enregistrés par l’opérateur, pour vérifier ces échanges. Nous avons mis en place cette procédure quand nous avons commencé à acheter auprès des Chinois".

2 Les liens avec l'armée

Le fondateur de Huawei, Ren Zhengfei, a passé 8 ans dans l’armée populaire de libération. Selon sa biographie officielle, il a été ingénieur et n’a jamais eu de grade militaire. "Il n’a jamais porté un fusil", assure un dirigeant du constructeur. Huawei a assuré au congrès américain qu’il n’a jamais été général, contrairement à ce qu’affirme la rumeur.

Le rapport du congrès américain cite un autre rapport, rédigé par la Rand Corporation (un think tank proche du complexe militaro-industriel américain) qui affirme –sans citer de source- que Ren Zhengfei travaillait dans un département "responsable de la recherche militaire sur les télécoms". 

Quant à la présidente de Huawei Sun Yafang, un journal chinois, le Xinjing Bao, a affirmé en 2010 qu’elle avait travaillé pour le ministère de la sécurité d’Etat. Une affirmation qui a été reprise dans un rapport de l’Open Source Center, organisme qui dépend de la CIA. Cette affirmation est démentie par Huawei, et ne figure pas dans la biographie officielle de Sun Yafang.

Enfin, le rapport de la Rand Corporation ajoute, toujours sans citer de sources: "Huawei maintient des liens profonds avec les militaires, qui sont à la fois un client important, un partenaire de R&D, et un protecteur politique". Et le rapport du congrès assure avoir reçu un email interne au constructeur qui "montre que Huawei fournit des services à ce qui semble être une unité de cyber-guerre de l’armée populaire".

Le constructeur a répondu à cela que les équipements vendus à l’armée représentent "0,1% de son chiffre d’affaires total". Il a assuré n’avoir "jamais géré un réseau de l’armée, ni avoir reçu un financement du gouvernement pour un projet de R&D militaire".

Last but not least, une source citée à plusieurs reprises par le rapport du congrès est un article de The Economist, qui pointe aussi des exemples chez les équipementiers américains, comme la présence au au conseil d'administration de Motorola Solutions d'un général qui a été directeur de la NSA. Un exemple que ne reprend pas le rapport du congrès américain...

3 Les liens avec l'Etat

Le rapport du congrès américain affirme que Huawei bénéficie d’un "soutien substantiel" du gouvernement et des banques publiques. A l’appui, il cite les prêts accordés aux clients de Huawei par des banques publiques (Chinese Developpment Bank et Export-Import Bank) pour leur permettre d'acheter des équipements Huawei ("crédit fournisseur").

Huawei a répondu ne bénéficier d’aucune condition préférentielle de la part des banques, et que les crédits tirés s’élèvent à seulement 5,9 milliards de dollars sur la période 2005-10, alors que les lignes ouvertes à ses clients étaient de 100 milliards de dollars. Ajoutons que les filiales chinoises de constructeurs occidentaux comme Alcatel-Lucent bénéficient aussi de crédits de la Export-Import Bank.

Surtout, Huawei assure n’avoir aucun lien capitalistique avec Pékin. "Au contraire, la hantise des dirigeants de Huawei est que, si l’entreprise entrait en bourse en Chine, l’Etat ou ZTE en profite pour rentrer au capital", dit un ancien dirigeant.

Précisément, le constructeur indique être détenu à 1,18% par son fondateur Ren Zhengfei et à 98,82% par une association de 74.253 salariés.

Le rapport du congrès américain émet des doutes, mais n’apporte aucun élément à l'appui, hormis que le pacte d’actionnaires accorde un droit de véto à Ren Zhengfei.

4 Les liens avec le parti communiste chinois

Le rapport du congrès américain indique que Huawei possède une section interne du Parti communiste. Mais le constructeur a répondu que c’était une obligation légale pour toute entreprise chinoise.

Par ailleurs, Ren Zhengfei a été invité à participer au congrès du parti en 1982, mais sa biographie officielle assure que c’était "en raison de ses performances remarquables..."

5 L'espionnage industriel

Le rapport du congrès accuse Huawei d’avoir "un mépris imprudent" pour les droits de propriété intellectuelle, mais apporte, là encore, peu d’éléments. Il fait feu de tout bois en faisant grand cas de pécadilles rapportées anonymement par d’anciens employés.

Ainsi, le constructeur a cité dans un slide show une étude de McKinsey sans la permission du cabinet. Il n’aurait pas acheté les licences de logiciels utilisés par ses salariés, et utiliserait même "des logiciels piratés". Sa filiale américaine aurait aussi fait venir "des employés à plein temps avec des visas de tourisme", ce qui constitue une violation des lois sur l'immigration. Pire: dans cette filiale, les promotions seraient presque uniquement réservées aux Chinois, ce qui est "un comportement discriminatoire" (sic). Enfin, la filiale aurait tenté de décrocher des contrats avec des pots-de-vin…

Plus sérieusement, le rapport du congrès rappelle que Huawei avait été attaqué par Cisco de violation de brevets en 2003, mais le litige a été réglé à l’amiable en 2004.

Interrogés, plusieurs clients de Huawei estiment possible que le chinois ait à ses débuts quelque peu "repompé" le travail de ses concurrents, mais estime cela impossible aujourd’hui, pour la bonne et simple raison que les produits de Huawei sont bien souvent les plus avancés du marché…

Jamal Henni