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Ikea perd son procès contre le fisc

Ikea utilise de multiples techniques d'optimisation fiscale

Ikea utilise de multiples techniques d'optimisation fiscale - Rémy Gabalda AFP

Le Conseil d'Etat a récemment débouté le vendeur de meubles suédois qui réclamait 36 millions d'euros au fisc français.

Il n'y a jamais de petites économies chez Ikea. Le vendeur de meubles est un adepte assumé de la minimisation des impôts. Il revendique même crânement avoir mis en place "une structure fiscale optimisée", considérant les impôts "comme un coût".

En France, le géant suédois de l'ameublement se bat avec le fisc français depuis une dizaine d'années pour récupérer 35,9 millions d'euros. Mais il a perdu tous ses procès, allant jusqu'au Conseil d'Etat, qui l'a récemment débouté.

Plantureux dividendes

Le conflit portait sur les dividendes versés par Ikea Holding France SAS (tête de pont des activités en France) à son actionnaire, une holding néerlandaise baptisée Ingka Holding Europe BV. Cette holding détient toutes les activités européennes du vendeur de meubles. Et reçoit de plantureux dividendes provenant de France: 185 millions d'euros en trois ans (2002 à 2004).

Précisément, le litige portait sur l'imposition de ces dividendes. Pour Ikea, les bénéfices réalisés en France ont déjà été soumis à l'impôt sur les sociétés français. Dès lors, le suédois demandait, pour éviter une double imposition, à bénéficier d'un "avoir fiscal", c'est-à-dire d'une ristourne versée par le fisc français. Les sommes en jeu ne sont pas négligeables. Cet avoir fiscal représentait la moitié du dividende. 

Aveu involontaire d'Ikea

Mais le fisc français ne l'a pas entendu de cette oreille. Car les dividendes versés à la holding néerlandaise n'étaient pas du tout imposés aux Pays-Bas. Or dans ce cas-là, la convention fiscale franco-néerlandaise prévoit que la filiale française n'a droit à aucune ristourne. Et l'analyse du fisc français a été confirmée par toutes les juridictions françaises.

Le plus surprenant dans cette affaire est qu'Ikea a lui-même révélé à cette occasion que la holding néerlandaise Ingka Holding Europe BV "bénéficie d’un régime national en vertu duquel les dividendes reçus ne sont pas imposés de manière effective aux Pays-Bas".

On savait déjà que cette holding néerlandaise appartient à une fondation Stichting Ingka Foundation, qui ne paie pas non plus d'impôts au fisc batave. Officiellement, elle est une fondation philanthropique à but non lucratif... 

Rappelons que Ikea utilise de multiples autres schémas d'optimisation fiscale, comme le prélèvement de royalties (cf. ci-dessous) et, en France, la niche fiscale Girardin qui permet de défiscaliser un investissement en outre-mer.

Interrogé, Ikea France n'a pas répondu. 

La réponse d'Ikea

Le 11 août, Ikea nous a fait parvenir le texte suivant: "En tant que multinationale, le groupe Ikea est régulièrement contrôlé par l’administration fiscale. En tant qu’entreprise responsable, nous payons des impôts suivant la législation et la réglementation et visons constamment à coopérer avec l’administration fiscale en garantissant une transparence totale sur les informations susceptibles de répondre à toute question. Lors de certains contrôles fiscaux, nous ne partagions pas le même avis que l’administration fiscale sur des sujets particuliers. Ces différends ont été examinés ou sont examinés par les tribunaux. En France, le groupe Ikea s'est toujours acquitté des prélèvements fiscaux prévus par la législation et la réglementation depuis l'ouverture du premier magasin, en 1981. Outre l'impôt sur les sociétés, nous versons des sommes considérables au titre de la taxe foncière et d'autres taxes. Ces 5 dernières années, le montant de l'impôt sur les sociétés acquitté par le groupe Ikea en France s’est élevé à 225 millions d'euros, les taxes foncières et autres versées sur la même période se sont élevées à 341 millions d’euros. Nous œuvrons pour le bien des collectivités au sein desquelles nous opérons en créant des emplois dans nos magasins et, indirectement, chez nos fournisseurs. En France, 10000 personnes travaillent actuellement dans nos 31 magasins, centres de distribution et autres structures du groupe Ikea. Par ailleurs, outre nos magasins et autres structures, de nombreux emplois ont été créés dans le secteur des services. Ces cinq dernières années, nous avons créé 1000 emplois directs liés à notre expansion en France. Ces cinq dernières années, les investissements dans les magasins nouveaux et existants se sont élevés à 400 millions d'euros. D'autres investissements de 120 millions d’euros ont porté sur les centres commerciaux, notre groupe industriel et les énergies renouvelables. Conformément à sa stratégie en matière d'énergies renouvelables, le groupe Ikea a pris d'importants engagements d'investissement dans l’éolien et le solaire. Nous exploitons au total 29 éoliennes et 15000 panneaux solaires. Le groupe Ikea investit en permanence à tous les niveaux de sa chaîne de valeur : nouveaux magasins, entrepôts, installations de production et énergies renouvelables. Nous pensons que de tels efforts sont aussi bénéfiques pour la société à long terme. Nous sommes convaincus qu'il n'y a pas d'entreprise rentable sans politique socialement responsable".

Un autre procès gagné contre le fisc

Dans le monde entier, Ikea utilise une autre technique pour payer moins d'impôts: il plombe délibérément les bénéfices de ses filiales en prélevant moult commissions, qui sont reversées à d'autres filiales du groupe. 

Ainsi, chaque magasin doit payer à une autre holding néerlandaise, Inter Ikea System BV,  des royalties s'élevant à 3% du chiffre d'affaires en échange de l'utilisation de la marque, du concept et du savoir-faire.

Mais un redressement fiscal a permis de découvrir d'autres commissions. En effet, une commission de 1% doit être versée au titre de la "coordination des achats". Une autre de 2% doit être acquittée pour le "développement de l'assortiment des produits" (sic). Ces commissions atterrissent dans une filiale suédoise, Ikea of Sweden AB, et une filiale suisse, Ikea Handels AG.

Mais le fisc français estime que ces commissions sont "anormalement élevées", et constituent en réalité un transfert illégal de bénéfices à l'étranger. Il a donc notifié un redressement fiscal de 16,4 millions d'euros à la filiale versant ces commissions, Distribution Service Ikea France SNC -en pratique, le grossiste chargé d'exploiter les entrepôts de stockage et d'approvisionner les magasins.

Mais Ikea a contesté ce redressement, avec succès, devant le tribunal administratif. En octobre 2014, ce dernier a jugé que le fisc n'avait pas suffisamment démontré que les commissions étaient trop élevées par rapport à des entreprises comparables. Le fisc a fait appel du jugement en février 2015.

Dividendes versés par Ikea Holding France (en millions d'euros, exercice clos fin août)

2007: 134,2 2008: 79,5 2009: 46,2 2010: 134 2011: 70 2012: 35 2013: 30 2014: 85

Source: comptes sociaux

Jamal Henni