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Pourquoi Jean-René Fourtou veut faire remonter l'action Vivendi

Une partie des actions de la famille Fourtou est détenue via une fondation

Une partie des actions de la famille Fourtou est détenue via une fondation - Crédits photo : nom de l'auteur / SOURCE

Le patron du groupe détient en direct 786 599 actions, mais sa famille détient en outre 2,8 millions de titres.

Le cours de Vivendi tourne actuellement autour de 17 euros. Soit un niveau à peine supérieur à celui d'il y a dix ans, lorsque la société était au bord de la faillite et que Jean-René Fourtou en avait pris les rênes.
Aujourd'hui, le premier objectif des dirigeants est donc de faire remonter ce cours.

Le président du directoire Jean-François Dubos l'a encore répété dans une récente interview, où il se désole du cours de l'action. C'est dans cet objectif que les dirigeants se sont lancés dans un vaste réexamen du périmètre du groupe.

Ils pensent notamment que l'action souffre d'une décote de holding importante ("presque 40%", selon Jean-René Fourtou), qui disparaîtra si le groupe se recentre sur un seul métier -les médias en l'occurrence.

Intérêt patrimonial

Cette stratégie vise à satisfaire les actionnaires du groupe, à commencer par Jean-René Fourtou lui-même. En effet, le président du conseil de surveillance est un gros actionnaire.

Selon le rapport annuel, il détenait 786 599 actions fin 2011. Toujours selon le même document, il détient aussi 1,165 million de stock options toujours non exercées. Mais pour l'instant, elles ne valent rien: leur prix d'exercice est de 20,67 euros pour une tranche, et 23,64 euros pour l'autre. Leur échéance est en mai 2014 et en mai 2015 respectivement.

Toutefois, ceci n'est que la partie émergée de l'iceberg. En effet, le chiffre figurant dans le rapport annuel ne tient pas compte des actions détenues par sa famille ou par sa fondation. Or, ces derniers détiennent au moins 2,8 millions d'actions, soit plus du triple des actions détenues en direct par Jean-René Fourtou. Au total, la famille détient donc au moins 3,16 millions d'actions (soit 0,2% du capital), qui valent au cours actuel près de 53 millions d'euros.

Ce paquet d'actions a deux origines différentes. D'abord, durant sa première année à la tête de Vivendi, Jean-René Fourtou s'est vu attribuer 2,5 millions de stock options. La quasi-totalité de ces stock options a été exercée en juin 2007. Une moitié des actions ainsi obtenues a été vendue immédiatement, ce qui a rapporté à la famille Fourtou la coquette somme de 44 millions d'euros. L'autre moitié (1,235 million d'actions) a fait l'objet d'une donation aux trois fils de Jean-René Fourtou, qui les détiennent toujours, selon le groupe.

Défiscalisation via une fondation

L'autre partie du paquet d'actions a une origine plus complexe. En novembre 2002, soit cinq mois après l'arrivée de Jean-René Fourtou, Vivendi a levé un milliard d'euros en émettant des obligations remboursables en actions (ORA).

Une petite partie (49,5 millions d'euros) de ces ORA ont été souscrites par des clients particuliers. Parmi eux, figurait la famille Fourtou à hauteur de 19,9 millions d'euros. Trois ans après, ces ORA ont été converties en actions, chaque ORA donnant droit à une action. Les ORA ayant été initialement vendues à 12,71 euros, les souscripteurs ont donc engrangé une plus-value.

Selon Vivendi, la famille Fourtou détient toujours les actions issues de ces ORA, mais si la famille les vendait aujourd'hui, elle empocherait une plus-value de 6,4 millions d'euros.

Toutefois, il faut noter que, pour les trois quarts des ORA (14,5 millions d'euros) souscrites par la famille Fourtou, un montage particulier a été mis en place. En effet, les trois fils Fourtou n'en détiennent que la nue propriété, la fondation Fourtou en ayant l'usufruit. Cette fondation, créée en 2002, indique avoir une "vocation humanitaire" et est active essentiellement au Maroc. Elle est abritée par l'Institut de France.

L'utilisation d'une fondation offre un avantage fiscal. "Si une fondation détient des actions en usufruit, et que ces actions sont vendues avec une plus-value, la fondation ne paie pas d'impôt sur cette plus value, et le nu-propriétaire n'aura pas été soumis à l'impôt sur la fortune pendant cette période de démembrement des titres", explique Hervé Israël, avocat associé chez Holman Fenwick Willan.

Selon certaines sources, la fondation Fourtou aurait en outre acheté moult actions Vivendi en Bourse. Mais il est quasiment impossible de le savoir. En effet, l'information ne figure pas dans le rapport annuel, et Vivendi n'a pas voulu répondre sur ce point. En outre, la fondation Fourtou n'est pas tenue de déposer ses comptes à la préfecture, ni de les publier. L'Institut de France, seul à y avoir accès, indique ne pouvoir les communiquer qu'avec l'autorisation de la famille Fourtou...

Fourtou blanchi par l'AMF

Enfin, rappelons que la souscription des ORA par la famille Fourtou avait donné lieu à une enquête de l'AMF, qui soupçonnait un délit d'initié. En effet, en tant que patron du groupe, il disposait évidemment d'informations sur les acquisitions et cessions en cours.

Fin 2004, à la fin de l'instruction, le grief suivant avait été notifié par l'AMF: "Il est reproché à M. Fourtou, d’avoir souscrit et fait souscrire à un total de 1,6 million d'ORA pour un total de 19,9 millions d’euros, alors qu’il aurait disposé d’informations privilégiées sur les très grandes chances que Vivendi puisse prochainement monter au capital de Cegetel, ainsi que sur une offre d’achat de certains actifs américains de Vivendi faite par Marvin Davis".

Mais deux ans plus tard, l'AMF décidera finalement de mettre hors de cause Jean-René Fourtou. Dans sa décision (téléchargeable ci-contre), le gendarme de la Bourse explique que les textes en vigueur à la date des faits (2002) ne permettaient pas de condamner un éventuel délit d'initié. En effet, à l'époque, le réglement sur les délits d'initiés ne s’appliquait qu'aux produits financiers qui se négociaient sur un marché réglementé. Or, les faits se sont produits juste avant l'émission des ORA, et donc avant toute négociation des ORA sur un marché.

Pour combler ce vide juridique, l'AMF élargira en 2004 son réglement sur les délits d'initiés pour inclure les produits financiers pour lesquels a "été présentée une demande d’admission à la négociation sur un marché réglementé". Parallèlement, l’Appac (Association des petits porteurs actifs) avait aussi porté plainte sur les ORA de la famille Fourtou, mais l'association indique que cette plainte a été classée sans suite.

Jamal Henni