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Energie

L’Etat s'est opposé à un "Airbus de l’énergie"

Le président d'Engie, Gérard Mestrallet, et le PDG de RWE, Peter Terium.

Le président d'Engie, Gérard Mestrallet, et le PDG de RWE, Peter Terium. - ERIC PIERMONT / AFP

Il y a trois mois, Bercy a refusé de marier Engie à l’Allemand RWE. Les alliances industrielles entre la France et l’Allemagne restent difficiles. Un schéma entre Alstom et Siemens refait néanmoins surface.

Le modèle d’Airbus reste difficile à reproduire. Ce jeudi, le conseil des ministres franco-allemand est l’occasion de relancer le vieux serpent de mer des coopérations industrielles entre les deux pays. Si elles ne seront abordées en conseil des ministres, elles pourront être évoquées lors de la rencontre entre Bruno Le Maire et son homologue Brigitte Zypries. "Les entreprises ont leur propre stratégie et bien sûr on ne peut que se féliciter des rapprochements, a expliqué à l’AFP une source à l’Elysée. Mais on n'est plus à l'époque où l'Etat dicte aux entreprises leurs alliances".

En l’espèce, l’ancien gouvernement français a été soumis il y a trois mois à un mariage majeur entre les deux géants de l’énergie Engie et RWE. Au printemps, Bloomberg avait révélé des discussions entre les banques conseils des deux groupes. En réalité, "elles ont été bien plus loin et les allemands ont beaucoup poussé, expliquent plusieurs sources. Au point que l’Etat a étudié le dossier de près". L’administration de Bercy, l’Agence des participations de l’Etat, qui détient 29% d’Engie, a étudié le projet proposé par RWE. Il consistait pour le Français à racheter la filiale d’énergie renouvelable et de réseau Innogy, détenu à 77% par RWE, en échange de quoi ce dernier deviendrait premier actionnaire d’Engie, devant l’Etat français. Un "Airbus de l’énergie" que François Hollande avait appelé de ses vœux en 2014.

Le mariage avait les faveurs de Mestrallet 

Mais Bercy a refermé le dossier, le jugeant trop favorable aux allemands et dépourvu de synergies suffisantes pour justifier un rachat de près de 20 milliards d’euros. "Ça peut faire joli politiquement mais c’était absurde au niveau industriel, explique un bon connaisseur du dossier. Le projet consistait surtout à vendre Engie aux Allemands". L’Etat a, de fait, tranché un nouveau désaccord au sein de l’état-major du groupe. Sa directrice générale, Isabelle Kocher, a plusieurs fois démenti son intérêt pour cette alliance. Mais selon nos informations, le président Gérard Mestrallet y était favorable et n’aurait pas abandonné l’idée de relancer le projet après les élections législatives allemandes de septembre.

Pour autant, peu de chance que l’Elysée change d’avis puisque le conseiller qui a refusé cette opération au ministère de l’Economie épaule aujourd’hui Emmanuel Macron. Pour l’heure, seule une coopération entre les entreprises de réseaux électriques français et allemands semble une piste sérieuse. L’objectif serait notamment de mieux gérer l’alimentation électrique des deux pays et de protéger les données numériques face à l’essor des "Gafa"...

Un consensus entre Alstom et Siemens

Autre projet en réflexion: l’"Airbus du ferroviaire" entre Alstom et Siemens. Après dix années de forte rivalité, les directions des deux groupes semblent mieux s’entendre. "Les relations sont bonnes entre Henri Poupart-Lafarge et Joe Kaiser" assure un proche d’Alstom. Les deux groupes échangent régulièrement. Ces derniers mois, Siemens était prêt à vendre l’ensemble de son activité de fabrication de trains à Alstom en échange de la branche signalisation du français. Impossible aux yeux d’Alstom alors que le marché des locomotives en Europe est moribond pour les dix prochaines années et obligera à de lourdes restructurations. Å l’inverse, il ne veut pas lâcher l’activité dite de "signalisation" promise à un bel avenir grâce à la numérisation des réseaux ferroviaire.

Selon nos informations, un nouveau schéma refait surface ces dernières semaines. Un mariage complet entre Alstom et Siemens pour créer le leader mondial de la signalisation conviendrait aux deux groupes. Le groupe français serait prêt à racheter l'ensemble de la branche ferroviaire de son rival allemand. En échange, Siemens deviendrait l’actionnaire de référence du nouveau groupe. Plusieurs sources jugent que les directions des deux groupes seraient favorables à un tel projet. Mais que celle d'Alstom refuse que Siemens ait un poids trop important à son capital. 

Comme pour Engie, cela reviendrait à vendre Alstom aux Allemands tout en gardant l’entreprise en France et dirigée par des français. Mais une telle opération conduirait à d’importantes suppressions de postes en Allemagne, 2.000 à 3.000 selon les spécialistes. On prête à Emmanuel Macron le souhait de rapprocher les deux groupes.

Les États prêts à descendre dans Airbus

Que ce soit dans l’énergie ou le ferroviaire, aucun de ces groupes n’est prêt à se vendre à l’autre. En 2017, le ministre du Redressement productif, Arnaud Montebourg, avait appelé de ses vœux la création d’un "Airbus des télécoms" entre Orange et Deutsche Telekom. Mais le Français pesait, à l’époque, 25% de moins que l’opérateur allemand, dissuadant son PDG Stéphane Richard d’engager des négociations. En début d’année, l’alliance entre Opel et PSA Peugeot-Citroën a fonctionné car elle était en réalité un rachat du constructeur allemand par le groupe français. La chancelière Angela Merkel n’a en aucun cas été moteur de ce mariage même si elle aurait pu le bloquer. Ainsi en va-t-il désormais des rapprochements entre les entreprises: l’État n’est plus décisif, sauf dans les secteurs régaliens comme la défense.

Pour preuve, les États français, allemand et espagnol ne détiennent plus que 26% du capital d’Airbus. Ces dernières semaines, des sources bancaires estiment d’ailleurs que la France et l’Allemagne pourraient réduire leurs participations de 11% chacune jusqu’à 9%, comme l’autorisent leurs accords conclus fin 2012. Cela permettrait à la France de dégager environ 1 milliard d’euros. Un arbitrage nécessaire pour réduire le déficit budgétaire.

Matthieu Pechberty