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Energie

L'idée de Bercy pour sauver EDF

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- - ALAIN JOCARD / AFP

Le ministère de l'Économie et des Finances réfléchit à encadrer le prix du nucléaire, seule option pour assurer la pérennité d’EDF et financer la transition énergétique.

Après les contribuables, les consommateurs sauveront EDF. L'an passé, l'Etat a injecté 3 milliards d'euros dans l'électricien pour lui éviter une faillite retentissante. Toujours pas tiré d'affaire, le groupe pourrait cette fois trouver son salut auprès de ses clients. La semaine dernière, Nicolas Hulot a reconnu dans les colonnes du Financial Times qu’il menait une réflexion sur l’"architecture d’EDF" pour répondre aux deux priorités que sont la gestion du parc nucléaire et le développement des énergies renouvelables. Ces dernières années, les investissements colossaux que nécessite le nucléaire ont empêché EDF -déjà lourdement endetté- d’investir massivement dans les énergies vertes. "On va lancer les réflexions, répond le ministère de l’Ecologie. Mais il est trop tôt pour se prononcer".

En réalité, un scénario circule depuis de longs mois consistant à séparer les activités nucléaires d’EDF du reste du groupe que sont les énergies renouvelables, les services énergétiques et les 27 millions de clients. Sans aller jusqu’à un démantèlement qui soulèverait une fronde des syndicats, l’idée consiste à isoler les 58 réacteurs nucléaires dans une structure à part, qui resterait détenue par EDF. L’objectif serait ensuite de réguler la production électrique nucléaire.

Encadrer les prix comme Enedis et RTE

Concrètement, il s’agirait de garantir au parc nucléaire un prix qui évoluerait en fonction de ses coûts. Ce système existe déjà pour le réseau de lignes à haute tension RTE et pour Enedis qui distribue l’électricité jusqu’aux compteurs. Le régulateur de l’énergie contrôlerait ainsi les coûts et investissements du parc nucléaire pour fixer l’évolution de son tarif de vente. Il serait ensuite directement répercuter sur la facture des clients comme l'est le tarif de transport de l'électricité. "Garantir les prix est la seule solution pour donner de la visibilité à EDF, justifie un bon connaisseur du groupe. Le nucléaire ne peut plus dépendre des aléas de marché".

Cette régulation pourrait être mise en place pour les réacteurs existants dont la durée de vie pourrait être prolongée au-delà de 40 ans. Les premiers le seront à partir de 2023 et nécessiteront environ 40 milliards d’euros d’investissement pour fonctionner dix années de plus. Une somme qu’EDF cherchera, là encore, à rentabiliser. "Il serait légitime de mettre en place ce système à cette occasion" justifie un proche d’EDF.

Lever plusieurs milliards pour les énergies renouvelables

Selon plusieurs sources, ce scénario conviendrait à de nombreux dirigeants d’EDF. "Il n’y a aucun projet concret", rétorque le groupe. L’idée fait en revanche son chemin au sein des pouvoirs publics, notamment au ministère de l’Economie. Quand il était ministre, Emmanuel Macron y souscrivait déjà. "Nous sommes favorables à réguler le nucléaire, confirme aujourd’hui un cadre de Bercy. Mais il faut convaincre Bruxelles…".

Dans ce schéma, la branche nucléaire, baptisée "Nucléaire de France" en interne, vendrait l’électricité des 58 réacteurs à toutes les entreprises qui le souhaitent au même prix. Engie, Total, Direct Energie ainsi qu’à la branche commerciale d’EDF!

Cette séparation de la production et de la commercialisation d’EDF serait un gage suffisant pour Bruxelles. Contacté, le ministère de l’Economie n’a pas répondu… Ce schéma permettrait d’assurer une rentabilité au nucléaire et de lever son lourd risque financier. Un moyen de redonner de l’air au cours de Bourse. Et ensuite d’attirer de nouveaux investisseurs pour financer la transition énergétique. "EDF pourrait coter en Bourse sa division énergies renouvelables et lever plusieurs milliards d’euros" explique un bon connaisseur du dossier.

Une stratégie que l’électricien ne peut pas financer aujourd’hui. Depuis quatre ans, il souffre de la baisse des prix de marché conjuguée à l’augmentation des coûts. Depuis 2011 et la catastrophe de Fukushima, les exigences en matière de sûreté ne cessent d’augmenter. Ainsi, les investissements pour prolonger le parc nucléaire français de 40 à 50 ans se chiffrent à plus de 40 milliards d’euros. Les deux EPR britanniques d’Hinkley Point vont coûter 24 milliards d’euros. Et seuls les chinois ont accepté d’investir auprès d’EDF dans ce projet. Areva ou le britannique Centrica ont finalement renoncé à investir dans les EPR britanniques. Trop chers, trop risqués. Même EDF prévoit de financer ses futurs réacteurs, à partir de 2030, avec d’autres investisseurs.

Matthieu Pechberty