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"L'"uberisation" n'est rien par rapport à la robotisation qui vient"

Robi, le petit robot japonais à monter soi-même commercialisé en 2014 dans l'équivalent italien de Pif Gadget

Robi, le petit robot japonais à monter soi-même commercialisé en 2014 dans l'équivalent italien de Pif Gadget - Yoshikazu Tsuno - AFP

Alors que s’ouvre à Lyon la cinquième édition d’Innorobo (1er au 3 juillet), le salon européen consacré à la robotique, Catherine Simon, sa présidente, explique les immenses enjeux économiques liés à la future robotisation de la société

BFMBusiness : Y’a-t-il beaucoup de salons consacrés aux robots ?

Catherine Simon : Non, en Europe, Innorobo est le seul. Il y en a un en Corée, un au Japon, il y a une conférence aux Etats-Unis mais nous sommes les seuls sur le Vieux Continent. Et on remarque qu’il y a un appétit fort pourtant puisque nous avons cette année 200 exposants de 20 nationalités différentes contre 140 l’année dernière. Chaque année nous donnons une couleur au salon (l’industrie, les services…) mais cette année nous avons décidé d’aborder tous les domaines d’application de la robotique et ils sont de plus en plus nombreux.

BFMBusiness : Comment définissez-vous le concept de robot ?

C.S. : C’est vrai que ça peut prendre tellement de formes différentes que c’est parfois difficile à appréhender. Le robot ce n’est pas forcément l’humanoïde automatisé et intelligent qu'on imagine. Il y a des robots aspirateurs, des robots de piscine, des robots dans l’industrie… Pour nous un robot c’est un ensemble constitué de capteurs, d’un processeur et d’actionneurs pour agir sur le réel. C’est ce dernier point qui marque la différence avec un ordinateur qui, seul, n’a pas d’action sur le monde physique. 

BFMBusiness : Les robots à tout faire, on en parle beaucoup, mais est-ce que ce n’est pas un peu de la science-fiction ?

C.S. : Non c’est déjà une réalité dans beaucoup de secteurs. Dans le médical par exemple ça a représenté un marché de 1,5 milliard d'euros en 2013 et c’est en forte croissance. On trouve par exemple des plateformes de livraison de médicaments dans les hôpitaux (elles sont même capables de prendre l’ascenseur !) et ça évite au personnel soignant de pousser des chariots alors qu’il a certainement mieux à faire. Il y a aussi les robots de rééducation comme les exosquelettes qui ont connu une croissance exponentielle de 350% en 2014.

Et il n’y a pas que dans le médical qu’on trouve des robots de services, il y en a dans l’agriculture (les véhicules d’épandage), le service aux industries (les drones de surveillance) etc. Dans l’industrie la nouvelle tendance ce sont les "cobots", soit les robots collaboratifs qui sont de plus en plus flexibles et à qui on apprend à réaliser de nouvelles tâches. Au total le marché mondial de la robotique a représenté 34 milliards d’euros en 2013. Si le marché des robots ouvriers est le plus gros (29 milliards d’euros) celui des robots de service (5 milliards) croit fortement. 

Le robot humanoïde à tout faire "Baxter" de la société américaine Rethink Robotics, une vraie vedette dans l'industrie
Le robot humanoïde à tout faire "Baxter" de la société américaine Rethink Robotics, une vraie vedette dans l'industrie © Rethink Robotics

BFMBusiness : Tout ça ce sont des usages professionnels, c’est pour quand le robot à domicile ?

C.S. : D’abord il y en a déjà mais ce sont des robots mono-tâche comme les aspirateurs ou les tondeuses. En ce qui concerne les robots sociaux humanoïdes à tout faire, les technologies progressent mais il ne faut pas se leurrer, on n’en aura pas dans nos maisons avant 40 ou 50 ans. Par contre il peut y avoir adoption plus rapide de petites machines de forme animale et à tête de tablette tactile comme Buddy de Bluefrog ou le coréen Irobi. Il y a un autre gros axe de développement c’est celui de la mobilité. De plus en plus de marques testent les véhicules autonomes. Bien sûr, le tout-autonome, ce n’est pas pour demain mais d’ici 30 ou 40 ans je pense que ce sera une réalité. C’est en tout le temps qu’il a fallu pour passer du fiacre à l’automobile.

Demain un monde sans travail?

BFMBusiness: Alors que l’on parle des menaces sur l’emploi avec l’ "uberisation" de l’économie, la robotisation n’est-elle pas une menace encore plus grande ?

C.S.: A court ou moyen terme, je ne le pense pas, au contraire. Les sociétés qui s’équipent aujourd’hui obtiennent des gains de productivité sont donc plus compétitives et gagnent de nouveaux marchés. Elles ne détruisent pas d’emplois au contraire. Par exemple, il y a une société française, Staubli, qui était spécialisée dans les métiers à tisser et qui s’est reconvertie dans la robotique quand les industries textiles ont commencé à délocaliser. Au début, les ouvriers ont eu peur d’être remplacés et finalement leur société s’est transformée et n’a cessé de croître. Vous savez en Allemagne, il y a cinq fois plus de robots qu’en France et beaucoup moins de chômage…

A long terme en revanche ce sera différent. Dans 30 ou 40 ans, quand on aura atteint le point d’inflexion, le phénomène sera mondial et avec la généralisation des robots on aura fatalement moins besoin de main d’œuvre. On n'aura certainement plus besoin d’ouvriers, de taxis et de plein d’autres métiers. Mais il faut l’anticiper et réfléchir à comment intégrer les robots et le partage des richesses dans une société qui n’aura plus la même relation au travail. Certains économistes ont déjà commencé à y penser et imaginent des systèmes économiques où chacun aurait la propriété d’un robot qui lui apporterait ses revenus. Bref, la robotisation sera une révolution immense pour nos sociétés.

Frédéric Bianchi