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La Chine n’entrera pas chez Areva

Le vice-premier ministre chinois Ma Kai, et Michel Sapin s'étaient rencontrés à Paris en novembre 2016.

Le vice-premier ministre chinois Ma Kai, et Michel Sapin s'étaient rencontrés à Paris en novembre 2016. - ERIC PIERMONT / AFP

Le groupe chinois CNNC ne participera pas à l’augmentation de capital d'Areva. Les exigences de l’État français étaient inacceptables pour le spécialiste chinois du nucléaire. Une petite crise diplomatique entre les deux pays.

C’est un petit séisme dans les relations franco-chinoises. CNNC, spécialiste chinois du nucléaire, ne participera pas à l’augmentation de capital d’Areva, expliquent plusieurs sources proches du groupe français. "On n’a pas réussi à se mettre d’accord, reconnaît l’une d’entre elles. Les Chinois n’étaient pas prêts à entrer au capital aux conditions fixées par l’État français". Vendredi se tiendra l’assemblée générale des actionnaires qui entérinera une augmentation de capital de 5 milliards d’euros dont 500 millions seront apportés par les groupes japonais Mitsubishi et JNFL. L’État se chargera de verser le solde de 4,5 milliards d’euros. Contactés, Areva et Bercy n’ont pas souhaité commenter.

Depuis deux mois, les discussions s’étaient tendues entre les deux parties. L’État français avait imposé à tous les investisseurs des exigences fortes en termes de gouvernance. Première source de conflit: il refusait que leur représentant ne siège au conseil d’administration d’Areva. Seul un administrateur indépendant leur était octroyé. "La réalité est que Bercy ne voulait pas de Chinois au conseil, souligne un proche de CNNC. Il demandait que leur administrateur soit Français et résidant en France".

Deuxième obstacle: la France souhaitait que les investisseurs chinois et japonais détiennent la même participation au capital d’Areva, soit 10%. En face, CNNC demandait à être le premier actionnaire derrière l’État français. Un point de crispation très fort quand on connaît les relations diplomatiques exécrables qu’entretiennent les deux pays. En décembre, les Japonais avaient accepté toutes les demandes de la France, mettant un peu plus la pression sur leurs adversaires chinois. Mais malgré de longues négociations, Bercy n’a pas cédé. "Les Chinois en demandaient trop" estime un proche d’Areva. Mi-janvier, le président d’Areva, Philippe Varin, et son directeur général, Philippe Knoche, se sont rendus en Chine pour tenter de trouver un ultime compris. Ils sont revenus bredouilles.

Les Américains ont pesé dans les discussions

"Mettre Chinois et Japonais au même niveau a été une erreur, explique un bon connaisseur du dossier. La relation entre la France et la Chine se détériore alors qu’on a plus besoin d’eux que l’inverse". Dans l’industrie nucléaire, on s’étonne de la stratégie française d’avoir misé sur les investisseurs japonais pour faire monter les enchères et tordre le bras des Chinois. D’autant que sur les 54 réacteurs de l’île, seuls trois fonctionnent depuis la catastrophe de Fukushima. "Le Japon n’a rien à vendre alors que la Chine construira 100 réacteurs dans les quinze prochaines années, s’agace un expert du nucléaire. Sans elle, Areva ne survivra pas". Chez Areva, on souligne que les relations commerciales avec la Chine "ne sont pas rompues" et qu’il faut les dissocier de l’augmentation de capital…

Sauf qu’un autre acteur semble s’être invité dans la danse. Les États-Unis n’auraient pas vu d’un bon œil l’entrée de leur rival chinois chez Areva. Le groupe français est le premier fournisseur du parc nucléaire américain qui lui rapporte environ 2 milliards d’euros par an. "Les enjeux diplomatiques ont primé sur les enjeux commerciaux", déplore un proche d’Areva. D’autant que les américains General Electric et Westinghouse sont les partenaires historiques… des japonais Mitsubishi et Toshiba.

Crainte pour les EPR d’Hinkley Point

L’échec de ces négociations est un véritable tournant dans les relations franco-chinoises dans le domaine nucléaire. Depuis un an et demi, Areva discutait avec CNNC d’une entrée à son capital. Les discussions étaient engagées au niveau gouvernemental, les deux entreprises étant publiques. En juin 2015, le Premier ministre chinois Li Keqiang et Manuel Valls avaient signé un grand partenariat entre les deux pays dans le nucléaire. Mais quatre mois plus tard, le Premier ministre français s’est rendu au Japon pour dérouler le tapis rouge à Mitsubishi. L’affront était trop fort pour Pékin. Les discussions semblaient s’être améliorées lorsqu’en novembre dernier, le vice-premier ministre chinois Ma Kai s’étaient rendu en France pour rencontrer le ministre de l’Économie Michel Sapin et le secrétaire d’État à l’Industrie, Christophe Sirugue. Mais le double jeu français a fini par crisper les Chinois qui ont préféré jeter l’éponge.

L’avenir s’assombrit pour le couple franco-chinois dans le nucléaire. Les craintes se concentrent déjà sur la Grande-Bretagne et les répercussions sur le chantier pharaonique des EPR. "Rien n’est acquis, même pour Hinkley Point. Les Chinois ont besoin d’une vision industrielle et de construire des centrales chinoises en Europe, explique un proche d’EDF. Un investissement seulement financier ne les intéresse pas. Ils ne se sont pas retirés du projet mais la question pourrait se poser". La menace est claire.

Matthieu Pechberty