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La gouvernance selon Vincent Bolloré

Vincent Bolloré et le directoire de Vivendi lors de la dernière assemblée générale

Vincent Bolloré et le directoire de Vivendi lors de la dernière assemblée générale - Eric Piermont AFP

L'industriel breton se mêle de la gestion quotidienne de Canal Plus, alors qu'il est président du conseil de surveillance de la chaîne -un poste en théorie non opérationnel.

Dans le jargon académique, on s'appelle cela du micro-management. Depuis que Vincent Bolloré est devenu le patron de Canal Plus, il se mêle de tout: du choix de l'animatrice du Grand journal aux textes des Guignols, qu'il relirait -voire écrirait- lui-même, selon le Monde... 

Comme tout dirigeant d'entreprise, Vincent Bolloré est certes libre de perdre son temps dans de tels détails. Mais cela pose un problème de gouvernance. En effet, Vivendi et Canal Plus sont des sociétés à directoire et conseil de surveillance. Dans ce type de société, c'est le directoire qui doit assurer la gestion opérationnelle, comme l'indiquent le code du commerce ou les statuts des sociétés (cf. ci-dessous).

Or chez Vivendi comme Canal Plus, Vincent Bolloré n'est pas membre du directoire, mais président du conseil de surveillance. Or "un président du conseil de surveillance ne doit pas s’impliquer dans la gestion opérationnelle, c’est la philosophie même d’une société à directoire et conseil de surveillance", pointe l'analyste financier Frédéric Genevrier. 

Jongler avec les règles de cumul

Pourquoi alors Vincent Bolloré n'a-t-il pas préféré prendre la présidence du directoire de Vivendi et/ou de Canal Plus? Tout simplement parce qu'il n'en avait pas le droit. Le code du commerce interdit d'être concomitamment le dirigeant opérationnel de deux sociétés cotées en Bourse. Or Vincent Bolloré est déjà directeur général du groupe Bolloré. 

Ce n'est pas la première fois qu'il se retrouve dans cette situation. Entre 2005 et 2013, Vincent Bolloré était président du conseil d'administration d'Havas, un poste en théorie non exécutif. Mais il participait aussi au comité exécutif, le cénacle regroupant les dirigeants opérationnels de l'agence.

Bolloré, pas un groupe industriel?

Mais ce n'est pas la seule contorsion à laquelle se livre l'industriel breton en matière de gouvernance. Le code du commerce limite, en effet, à cinq le nombre de mandats sociaux (administrateur, directeur général...) exercés par la même personne, dont trois maximum dans des sociétés cotées. Or Vincent Bolloré détient des mandats dans 31 sociétés, dont 13 cotées. L'homme d'affaires breton doit donc jouer les acrobates pour passer entre les gouttes.

Concrètement, il utilise toutes les exceptions à cette règle figurant dans le code du commerce. D'abord, les mandats sociaux détenus au sein d'un même groupe comptent pour un seul. Cela lui permet de ne pas comptabiliser 14 mandats.

Mais il reste tout de même 16 mandats dans des sociétés n'appartenant pas au groupe Bolloré. Heureusement, le code du commerce accorde une autre exception aux "sociétés dans l'activité principale est d'acquérir et de gérer des participations". Dans son rapport annuel, il est donc stipulé que telle est "l'activité principale" du groupe Bolloré. Ceux qui pensaient que Bolloré était un groupe industriel seront peut être déçus... 

Si ce n'est moi, c'est donc mes enfants

Ces deux arguties permettent à Vincent Bolloré d'affirmer dans son rapport annuel qu'il n'exerce que deux mandats sociaux dans des sociétés cotées (PDG du groupe Bolloré et président du conseil de surveillance de Vivendi), et donc qu'il est bien dans les clous du code du commerce.

Mais ce n'est pas tout. Pour échapper aux règles du non cumul, Vincent Bolloré utilise aussi une autre technique: se faire remplacer par des fidèles. Ainsi, chez Havas, il a quitté le conseil d'administration en 2013, transmettant alors la présidence du conseil à son fils Yannick. Chez Mediobanca, il a quitté le conseil d'administration en 2012, mais y a fait rentrer juste avant son vieux complice Tarak Ben Ammar, puis, il y a un an, sa fille Marie. Chez Generali, il a offert en 2013 son mandat d'administrateur à Jean-René Fourtou comme lot de consolation après lui avoir ravi son poste à Vivendi. Enfin, chez Telecom Italia, il n'a pas demandé à rentrer lui-même au conseil d'administration, mais obtenu mardi 15 décembre la nomination de quatre proches.

A noter que le gendarme de la bourse italien a aussi interdit en janvier 2014 à Vincent Bolloré de détenir des mandats sociaux en Italie durant 18 mois, dans le cadre d'une condamnation pour manipulation de cours lors de sa montée au capital de Premafin

Pas de gendarme

Enfin, le groupe Bolloré ne respecte pas le code Afep/Medef qui régit notamment la composition des conseils d'administration. En effet, ce code pose certaines conditions pour qu'un administrateur soit considéré comme indépendant. L'administrateur ne doit pas exercer son mandat plus de 12 ans, et ne doit pas être administrateur dans une autre société du même groupe. Si ces deux conditions étaient appliquées à la lettre, il n'y aurait qu'un seul administrateur indépendant parmi les 14 membres du conseil d'administration du groupe Bolloré. Soit bien moins que la proportion d'un tiers imposée par le code... 

Qu'à cela ne tienne! Le groupe Bolloré estime dans son rapport annuel que ces deux conditions ne sont pas pertinentes, et qu'on peut très bien passer outre. Ecarter ces deux conditions permet à quatre administrateurs de devenir miraculeusement indépendants, et de respecter ainsi le quota imposé par le code... Mais cela ne convainc pas le cabinet Proxinvest, pour qui il n'y a qu'un seul administrateur "libre de conflits d'intérêts potentiels". En conséquence, le conseil d'administration "manque grandement d'indépendance". Frédéric Genevrier ajoute: "Le code Afep/medef n'est pas contraignant, et son non respect n'est pas sanctionné. Donc, comme il n'y a pas de gendarme, Bolloré s'affranchit des règles, et justifie les siennes".

"Bolloré gouverne seul"

Autre originalité: le conseil d'administration du groupe Bolloré ne comporte pas de représentant des salariés, alors que c'est pourtant une obligation depuis la loi de sécurisation de l'emploi de 2013. Justification officielle: aucun salarié ne s'est porté candidat (sic), à en croire le rapport annuel

Frédéric Genevrier conclut: "de toutes façons, le conseil d'administration du groupe Bolloré se réunit rarement: seulement quatre fois en 2014. Et le groupe Bolloré n'a pas de comité de direction. Tout ceci montre que Vincent Bolloré gouverne seul". 

Contactée, la porte-parole du groupe Bolloré n'a pas répondu.

Mise à jour: selon les Jours, le Haut comité de gouvernement d'entreprise (HCGE), chargé de surveiller l'application du code Afep-Medef, a écrit à Vincent Bolloré en janvier 2017 pour lui dire: "Il apparaît que vous intervenez plus comme dirigeant exécutif qu’en tant que président du conseil de surveillance, chargé selon la loi de le convoquer et d’en diriger les débats. Cette impression est renforcée par l’influence que vous donne votre position de premier actionnaire de la société". La lettre souligne son "implication personnelle dans la conduite des affaires du groupe, tant internes qu’externes, et notamment dans des domaines qui pourraient relever des missions d’un conseil d’administration que d’un conseil de surveillance". Elle déplore aussi d'"autres déviations et manquements d’information" par rapport au code Afep-Medef.

Dans son rapport annuel, le HCGE écrit: "le Haut comité s’est interrogé sur l’adéquation de la description des fonctions du président du conseil de surveillance de Vivendi selon le rapport annuel de cette société, et la réalité de ces fonctions telle qu’elle apparaît dans la relation des opérations conduites par le groupe. Au terme d’un dialogue avec la société Vivendi, le Haut comité a pris acte de ce que celle-ci s’engageait à définir ces fonctions et à améliorer sa communication sur ce point".

Le code du commerce

"La société anonyme est dirigée par un directoire composé de cinq membres au plus... Le directoire exerce ses fonctions sous le contrôle d'un conseil de surveillance... Le directoire est investi des pouvoirs les plus étendus pour agir en toute circonstance au nom de la société. Il les exerce sous réserve de ceux expressément attribués par la loi au conseil de surveillance et aux assemblées d'actionnaires... Le président du directoire représente la société dans ses rapports avec les tiers.  Le conseil de surveillance exerce le contrôle permanent de la gestion de la société par le directoire... A toute époque de l'année, le conseil de surveillance opère les vérifications et les contrôles qu'il juge opportuns et peut se faire communiquer les documents qu'il estime nécessaires à l'accomplissement de sa mission"

Les statuts de Vivendi et de Groupe Canal Plus

"La société est dirigée par un directoire composé de deux membres au moins et de sept membres au plus... Le directoire est investi à l'égard des tiers des pouvoirs les plus étendus pour agir en toutes circonstances au nom de la société, sous réserve de ceux expressément attribués par la loi au conseil de surveillance et aux assemblées d'actionnaires, et dans la limite des pouvoirs qui requièrent l’autorisation préalable du conseil de surveillance... Le président du directoire représente la société dans ses rapports avec les tiers....  Le conseil de surveillance exerce le contrôle permanent de la gestion de la société par le directoire dans les conditions prévues par la loi. A toute époque de l'année, il opère les vérifications et les contrôles qu'il juge opportuns et peut se faire communiquer les documents qu'il estime utiles à l'accomplissement de sa mission"

Jamal Henni