BFM Business
Conso

Quand l'action collective devient un business

Réunir les plaintes de clients pourrait devenir un business lucratif en dehors de l'action collective. telle que prévue par la loi.

Réunir les plaintes de clients pourrait devenir un business lucratif en dehors de l'action collective. telle que prévue par la loi. - -

La loi Hamon autorise désormais les actions de groupe, mais dans un cadre bien précis. D'autres organisations proposent des alternatives. Comparatif de leur modèle et de ce que l'on peut en attendre.

Les banques vont-elles finir par indemniser leurs clients lésés dans l'affaire de l'assurance emprunteur? C'est ce qu'espère ActionCivile.com, un site qui a fédéré plus de 100.000 dossiers de plaignants sur ce sujet, alors que ces faits seront prescrits le 23 juillet.

Cette société s'est spécialisée dans une nouvelle forme d'action collective, bien distincte de celle instaurée en avril par la loi Hamon sur la consommation. Avant même la parution de son décret d'application, elle juge le dispositif trop restrictif. Comparatif de ces différentes manières de réunir les consommateurs mécontents pour faire plier une firme.

> L'officiel: l'action de groupe institutionnalisée

Les acteurs: quinze associations de consommateurs (UFC-Que Choisir, Familles de France, etc.) sont seules habilitées à mener des actions collectives telles que définies par la loi de consommation du ministre Benoît Hamon. Enfin elles le pourront dès que le décret d'application sera paru.

Leur champ d'action: elles n'officient que sur des litiges découlant de la vente de biens ou de la fourniture de services (pratiques anticoncurrentielles, manquements contractuels, etc). Elles ne peuvent rien faire concernant des préjudices corporels, comme les scandales sanitaires ou les catastrophes environnementales.

Les critères: elles ne fixent pas de minimum de plaignants, ni de montant de préjudice. Elles choisissent "au cas par cas les causes qu'elles défendent", explique Nicolas Godefroy, le responsable juridique de l'UFC-Que Choisir, "sous réserve que les montants réclamés ne soient pas trop dérisoires".

Le coût: les associations de consommateurs proposent leurs services totalement gratuitement. Elles prennent tout en charge, y compris les frais de justice de l'adversaire si elles perdent les procès.

Les critiques: "réunir toutes les plaintes dans une seule procédure en justice rend les choses très simples aux services juridiques des entreprises: ils n'ont qu'à multiplier les recours pour faire traîner le procès en longueur", estime le président d'ActionCivile, Jérémy Oinino.

"Dix, quinze ans de procédure, c'est tout à fait tenable pour une banque ou un opérateur mobile", continue-t-il. A l'inverse, la multiplication des procès induite par sa méthode peut "réellement les mettre en difficulté, et prendre moins de temps", plaide-t-il.

> Hors cadre: l'union fait la force, et peut rapporter gros

Les acteurs: toutes les organisations, à but lucratif ou non, peuvent fédérer des clients mécontents. Elles ne peuvent pas déposer une seule plainte en nom collectif, mais autant de plaintes qu'il y a de plaignants. Et s'en servir pour faire pression sur les entreprises ou les professionnels pour obtenir des indemnités avant d'aller en justice.

C'est l'essence du business d'ActionCivile.com, née au printemps 2014. L'individu qui veut porter plainte s'inscrit sur le site qui a développé une technologie de saisine de la justice à échelle industrielle. "En remplissant son adhésion, le plaignant génère automatiquement un dossier de procédure qui ne demande plus qu'à être envoyé à la juridiction compétente, en pressant sur un bouton", explique Jérémy Oinino, le président d'ActionCivile.

Leur champ d'action: pour les associations, c'est tout ce qui concerne leur domaine d'activité. ActionCivile.com, elle, ne prend en charge que les actions répondant à trois critères, que liste son président. "Il faut 100.000 plaignants au minimum. Qu'il y ait une jurisprudence forte, des décisions de justice préalables qui ont donné raison aux consommateurs. Enfin, l'adversaire doit être solvable et avoir un intérêt à indemniser les réclamants".

Le coût: ActionCivile prélève une commission de 15% sur les indemnités récupérées par les plaignants. S'ils n’obtiennent rien, elle ne touche rien. Dans l'affaire de l'assurance-emprunteur, elle a évalué à 2.700 euros par personne le préjudice. Si les banques visées leur reversaient cette somme, ActionCivile toucherait théoriquement 40,5 millions d'euros.

Les critiques: dans l'affaire de l'assurance emprunteur, l'Association française des usagers bancaires (Afub) n'est pas parvenue à fissurer "la résistance, la surdité et l'inertie des banques", explique Serge Maître, son secrétaire général, sceptique sur la capacité d'ActionCivile à obtenir réparation par une simple médiation.

Si elle n'obtient pas réparation pour ses clients en négociant, et que le site met à exécution sa menace d'aller en justice, "alors le plaignant se retrouve seul pour se défendre, face à une grosse machine, dans des dossiers parfois très techniques", met en garde Nicolas Godefroy, du service juridique de l'UFC-Que Choisir.

En outre, "s'il perd son procès, c'est à lui de régler les frais de justice du camp d'en face". D'autant que la profusion de procédures, au moins 100.000, "implique qu'un grand nombre de juges à la sensibilité différente peuvent émettre des verdicts différents. Les risques de perdre sont décuplés", estime Nicolas Godefroy.

Laquelle choisir?

Domaine de compétences différents, méthodes distinctes: il n'y a pas forcément de concurrence entre ces dispositifs. Pour Serge Maître, de l'Afub, "plus il y aura d'intervenants, plus les tentatives d'obtenir réparation seront efficaces".

Le titre de l'encadré ici

|||

L'affaire de l'assurance emprunteur

L'assurance emprunteur est quasi-automatique lorsque vous contractez un prêt. Elle consiste à protéger le prêteur en cas de perte de solvabilité de l'emprunteur.

En principe, lorsque l'emprunt est remboursé, l'assurance, qui est une filiale de la banque dans la 80% des cas, doit reverser aux clients une participation sur les bénéfices générés au cours des années. Mais beaucoup d'établissements bancaires ont gardé ce pactole pour eux.

De nombreuses associations, comme l'UFC-Que Choisir depuis 2007, ou l'Association française des usagers bancaires, se sont alors saisies de ce dossier pour faire rembourser les clients lésés. Pour le moment, aucun remboursement n'est intervenu.

Nina Godart