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Le "colonialisme numérique" d’Obama a énervé l’Europe

Stéphane Richard répond que si le Web a été créé par les Américains, c’est grâce aux infrastructures européennes qu’il est accessible aux eurocitoyens.

Stéphane Richard répond que si le Web a été créé par les Américains, c’est grâce aux infrastructures européennes qu’il est accessible aux eurocitoyens. - Nicholas Kamm (AFP)

Le président Obama a tenu des propos méprisants sur la capacité d’innovation des Européens. En réponse, Stéphane Richard, PDG d'Orange,  lance que l’Europe n’a pas vocation à être "le paillasson numérique de l’Amérique".

En voulant montrer son affection pour les géants du Net dont il a besoin pour sa politique de cybersécurité, Barack Obama est allé un peu trop loin.

Lors d’un entretien filmé donné au site Re/Code, le président américain a montré un rare mépris pour l’innovation et les lois européennes, qu’elles concernent les données personnelles, le droit à l’oubli ou la fiscalité. Pour lui, ce ne sont que des prétextes pour pénaliser et profiter du succès des entreprises américaines.

Comment ? Le pays qui a inventé Internet devrait se soumettre à des règles vulgaires destinées au tout-venant ? C’est en substance le message plus que maladroit du président américain à l’Europe.

Quand Stéphane Richard s'énerve...

Maladroit car il a froissé les Européens dans une période où les Gafa (Google, Apple, Facebook et Amazon) sont dans le viseur de la commission européenne avec une belle pile de dossiers à charge. D’autant que de ce côté de l’Atlantique, les révélations d’Edward Snowden sur la cybersurveillance américaine marquent toujours les esprits.

Le patron d’Orange a été l’un des premiers à réagir à l'occasion de la présentation des résultats annuels du groupe, le 17 février. Il a rappelé que si le Web a été créé par les Américains, c’est grâce aux infrastructures européennes qu’il est accessible aux citoyens. Pour Stéphane Richard, les déclarations du président Obama marquent un retour au "colonialisme numérique".

D’un ton cinglant, il rétorque d’une part qu’Internet est devenu le bien de l’humanité et que l’Europe n’a pas vocation à être "le paillasson numérique de l’Amérique". Mais il n’est pas le seul à répondre.

Le Financial Times a publié la réaction d’un porte-parole de la Commission européenne qui rappelle que la régulation est justement destinée à faciliter l’accès des entreprises non européennes. "L’accès au marché unique est dans l’intérêt des compagnies américaines que les règles soient uniformes".

La cybersécurité d'Obama critiquée par Facebook, Yahoo et Google

Mais la Commission européenne chargée du numérique devrait remercier le président américain. Le commissaire Günther Oettinger s’est donné pour mission de remettre un peu d’ordre dans l’Europe numérique en réformant les télécommunications. S’il tient, comme aux États-Unis, à préserver la neutralité du net, il aimerait que les services qui nécessitent des bandes passantes importantes, comme Netflix ou Youtube, soient surfacturés.

D’autres dossiers chauds sont en discussion comme les abus de position dominante de Google ou la stratégie d’optimisation fiscale qui permet aux géants du Net de payer un minium fiscal. Sans oublier les données personnelles et le droit à l’oubli qui restent des points de friction entre les États-Unis et l’Europe. Sans oublier, bien sur, l'Icann, agence de gestion des noms de domaines, qui doit se soustraire cette année à l'autorité du gouvernement américain.

Mais surtout, les propos d’Obama ne rendent pas service aux entreprises américaines. D’ailleurs, hormis Tim Cook, PDG d’Apple, la plupart ont décidé de boycotter la conférence d’Obama sur la cybersécurité pour ne pas être suspectés de travailler pour la NSA. Non pas qu’ils ne soutiennent pas leur pays, mais, depuis l’affaire Snowden, cette politique a créé une suspicion qui a tendu les relations avec l’Union européenne.

Et comme l’a noté Stéphane Richard, "pointer l'Allemagne et la Stasi quand on connaît les méthodes de la NSA, c'est quand même osé !" Et pourtant, il l’a fait.

Pascal Samama