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Le cours du sucre s’effondre... sauf au supermarché

Le marché du sucre de betterave, dont la France est le premier producteur européen, et un importateur important

Le marché du sucre de betterave, dont la France est le premier producteur européen, et un importateur important - Marcus Woelfle - Flickr – CC

Sur le marché mondial, le sucre blanc a vu sa valeur divisée par trois depuis 2011. Pourtant, les consommateurs n’ont rien remarqué. Et pour cause, le sachet de sucre en poudre coûte à peine 15% moins cher. Explication.

Les cours du sucre n’en finissent pas de s’effondrer. La semaine dernière, les valeurs du sucre blanc, coté à Londres, et du roux, coté à New York, sont tombées à leur plus bas niveau depuis six ans. En cause, une offre surabondante fournie par les géants de la canne, l’Inde et le Brésil, qui, voulant s’adapter à la demande mondiale grandissante, ont eu les yeux plus gros que le ventre. Si bien que depuis 2011, son prix a été divisé par trois. Dans le même temps, le prix moyen du sucre blanc en morceaux n’a baissé que de 15% dans l’Hexagone, selon les données de l’Insee. Est-ce à dire que certains acteurs du marché se sucrent sur le sucre ?

"Serait-ce un peu comme le gazole: quand le cours monte, le prix à la pompe monte, et quand le cours baisse, il baisse mais dans un moindre mesure ?", se demande Nicolas Chéron, responsable du département recherche chez CMC Markets France.

Un système nébuleux

Dans une note d’analyse sur le cours du sucre, il regrettait de ne pas être parvenu à trouver des experts du marché susceptibles de répondre à ses questions. Et pour cause: ce business est soumis à des règles extrêmement compliquées, et peu d’acteurs de son industrie acceptent d’en expliquer les codes, à moins d’être retiré des affaires. Or c’est bien ce système nébuleux qui rend le coût du sachet de sucre en supermarché bien peu sensible aux variations du cours mondial. A la hausse comme à la baisse d’ailleurs. "Entre 2007 et 2011, le paquet de sucre en poudre a augmenté de 15% pour le consommateur, alors que le brut avait explosé de 150% sur la période", reconnaît l’analyste. 

Intéressons-nous au sucre blanc, celui extrait de la betterave, par opposition au roux, issu de la canne à sucre. Actuellement, son prix en Europe est de 419 euros la tonne à la sortie d'usine. Un montant qui a dégringolé lui aussi: en mars 2013, il était à 726 euros. Ce prix correspond au sucre qui quitte la sucrerie, sous la forme de petits cristaux. En poudre. La même que celle que vous versez sur vos fraises au printemps.

Le paquet de 1 kilo, dans son sac en papier tel que vous l’achetez en magasin, coûte donc 42 centimes d’euros lorsqu’il est chargé en palettes dans les camions qui vont rouler jusqu’aux supermarchés. Arrivé dans les rayons, ce même paquet coûte désormais 89 centimes au minimum (la marque distributeur de Carrefour), et jusqu’à… 2,66 euros chez Daddy, selon les chiffres recensés par le site Mesgoûts. Un prix relativement indolore dans le caddy d’un ménage, mais qui, rapporté aux 2,2 millions de tonnes consommées en France chaque année, chiffre vite.

L’écart paraît étrange pour le sucre en poudre, un produit "pur, sans additif, sans colorant, sans poudre de perlimpinpin", souligne un ancien professionnel du sucre. "C’est un produit basique, sur lequel les marques ont peu d’autres moyens de se différencier que la couleur du paquet", ajoute-t-il. C’est pourquoi les industriels ont cherché "à faire un peu plus de marketing -même si le champ des possibles est restreint sur ce produit- ou à développer des conditionnements plus coûteux comme les sachets souples à ouverture bouchon plus ergonomique", continue notre ex-businessman du sucre. Il en ressort que sur le paquet de sucre en poudre de base, celui de 1 kilo, le produit brut représente 50 centimes, le conditionnement 20 à 30 centimes, et le transport 10 centimes. Le reste, c’est la marge du distributeur, indique-t-il.

Et le fabricant, est-ce qu’il prend sa part ? Pas à en croire Marie-Christine Ribera, du Comité européen des fabricants de sucre (CEFS), qui représentent les industriels comme Tereos (Béghin Say, La Perruche, Blonvilliers), Cristalco (Daddy) et Südzucker (Saint-Louis). Ces trois géants, qui se partagent plus de la moitié du marché, n’ont pas souhaité répondre à nos questions. Mais Marie-Christine Ribera assure que "si le consommateur ne voit jamais la couleur de la baisse des prix du sucre, la faute en revient aux acteurs de milieu, les seconds transformateurs et la grande distribution, qui ne la répercutent pas".

En tout cas, ce n’est pas au niveau du cultivateur qu’on se gave sur le sucre. La France métropolitaine est le premier producteur d’Europe de betteraves dédiées à sa confection. Mais le prix auquel les vendent les planteurs hexagonaux ne dépend ni de leur bon vouloir, ni du cours mondial. Une réglementation européenne très précise, édictée par les autorités de l’Union, s’impose à eux. Ils doivent respecter des quotas de production et il y a un prix minimum de la betterave pour le débouché "sucre alimentaire". Pour celui que vous allez verser dans votre café, ou qui adoucit les gâteaux et autres chocolats, ce prix minimum est de 25,40 euros la tonne de betterave, explique Timothé Masson, du département économique de la Confédération générale des planteurs de betteraves (CGB).

En principe, le règlement européen autorise les agriculteurs à réclamer un supplément à partir du moment où le prix du sucre "départ usine" dépasse les 454 euros la tonnes. Ce prix "vrac" est défini par un observatoire européen, qui le calcule à partir du montant de vente déclaré par les industriels du secteur. Dans les faits, là encore, c’est compliqué.

"Pour que l’affaire soit rentable, une betterave ne peut faire que 30 kilomètres de trajet entre le champs où elle a été récoltée et la sucrerie. Donc le planteur ne peut vendre sa récolte qu'à un industriel local, avec qui il a un contrat", souligne Timothée Masson, de la CGP. Il n’est pas libre de choisir le plus offrant. D’autant que la betterave à sucre, comme son nom l’indique, ne sert à rien d’autre qu’à faire du sucre, de l'alcool ou du bioéthanol. A la différence de sa cousine rouge, elle ne se consomme pas, encore moins comme un légume. Donc le planteur n’a pas d’autres débouchés que la sucrerie ou la distillerie pour son produit.

En découle une relation très déséquilibrée entre agriculteur et fabricant, d'où l’intérêt de l'encadrement européen. Justement, ces règles s’apprêtent à disparaître: les quotas sur le sucre et le prix minimum disparaîtront au premier octobre 2017.

Les différents prix du sucre

> Cours du sucre blanc: environ 345 dollars la tonne (un peu plus de 300 euros)

> Prix du sucre blanc vrac fixé par l'Observatoire européen: 419 euros la tonne

> Prix de la betterave à sucre: 25,40 euros la tonne

> Prix du sucre en poudre blanc en supermarché: 0,89 euro le kilo au minimum, et jusqu'à 2,66 euros

Le prix du sucre en poudre blanc en paquet de 1 kilo

> Sucre: 50 centimes

> Conditionnement / marketing: 20 à 30 centimes

> Transport: 10 centimes

Les géants mondiaux du sucre

> Cristalco (Daddy): 25% du marché français en volume

> Südzucker (Saint-Louis): 20% du marché français en volume

> Tereos (Béghin Say, La Perruche, Blonvilliers) : 17% du marché français en volume

Source: LSA

Nina Godart
https://twitter.com/ninagodart Nina Godart Journaliste BFM Éco