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Le CSA critique l'accord entre Canal Plus et beIN Sports

"Dans un avis confidentiel, le gendarme de l'audiovisuel estime que l'alliance entre la chaîne sportive et la filiale de Vivendi pose de nombreux problèmes. "

Le projet d'accord entre Canal Plus et beIN Sports n'enthousiasme pas le CSA (Conseil supérieur de l'audiovisuel). Dans un avis confidentiel de 31 pages, le gendarme de l'audiovisuel a listé une longue série de problèmes posés par cet accord. Cet avis a été remis il y a plusieurs semaines à l'Autorité de la concurrence, qui doit donner ou non son feu vert au projet d'ici mi-juin. Revue de détail. 

1- Un risque d'entente illicite sur l'achat de droits

À ce stade, Canal Plus a seulement demandé à commercialiser en exclusivité beIN Sports. Mais le CSA craint que les deux alliés aillent plus loin, et notamment qu'ils s'entendent pour ne plus s'affronter lors des futures attributions de droits sportifs, ce qui est totalement illégal. Cet accord "pourrait comporter un risque d'incitation à la collusion", indique l'avis.

D'autant que CanalSat distribue déjà en exclusivité l'autre chaîne sportive phare, à savoir Eurosport. Dès lors, Canal "pourrait ainsi regrouper en son sein en distribution exclusive la quasi-totalité des animateurs du marché de l’acquisition de droits sportifs". Cela "pourrait rendre le marché structurellement porteur d’incitations à la collusion", pointe le régulateur. 

2- Un impact négatif sur les concurrents

Actuellement, beIN Sports revend de temps à autre une partie de ses droits sportifs à des chaînes gratuites. C'est ce qui se passe par exemple pour l'Euro, où la chaîne qatarie a revendu 11 matches à TF1. 

Mais l'accord avec Canal Plus apportera à la chaîne sportive d'importants revenus: près de 400 millions d'euros par an. Dès lors, "beIN Sports sera moins contraint par un objectif strict de maximisation des recettes. Le besoin impérieux de procéder à des reventes de droits aux acteurs de la télévision gratuite sera donc moindre. Un tel accord pourrait donc potentiellement affaiblir la position des chaînes gratuites", pointe le CSA.

Autre problème: beIN Sports est aujourd'hui une des chaînes les plus populaires dans les offres des fournisseurs d'accès internet (Orange, Free, SFR Numericable). Privés de cette locomotive, "leur activité de distributeur [de chaînes de télévision] pourrait être fragilisée". 

Pour conclure, le CSA note que "l'ensemble des acteurs interrogés a fait état de risques concurrentiels sur les marchés de la télévision payante".

3- Canal Plus reste en position dominante

Mi-2012, l'Autorité de la concurrence avait interdit à Canal Plus de distribuer en exclusivité pendant 5 ans des chaînes premium, comme beIN Sports. Canal Plus a donc demandé la levée anticipée de cette interdiction. 

Mais cela pose un problème juridique, pointe le CSA. Lever une obligation avant terme est certes possible, mais uniquement dans certains cas bien encadrés. Précisément, il faut que "les circonstances viennent à être modifiées de manière significative au point de remettre en cause l’analyse concurrentielle, et donc la nécessité des obligations".

En clair, les obligations ne peuvent être levées que si le marché est devenu plus concurrentiel. C'est ce qu'affirme Canal, qui met en avant le rachat de SFR par Numericable (qui détient 49% de ce site web). Ce rachat "a permis l'émergence d'un concurrent solide et verticalement intégré", écrit la chaîne cryptée. 

Las! Le régulateur de l'audiovisuel n'est pas vraiment d'accord: "Le CSA ne dispose pas d’éléments permettant de conclure à une évolution suffisante des circonstances à même de remettre en cause l’analyse concurrentielle ayant justifié la mise en place des obligations".

Précisément, le CSA "constate le maintien de la position dominante du Groupe Canal Plus sur le marché de la télévision payante", tout en "relevant un affaiblissement, susceptible de s'aggraver". En effet, entre 2012 et 2015, la filiale de Vivendi est passée de 82% à 77% du marché en valeur, et de 64% à 55% en volume.

Pareillement, sur le marché de l'acquisition de droits sportifs, "Canal Plus conserve, en dépit de l'arrivée de nouveaux acheteurs, une position dominante", même si sa part de marché "s'érode", passant de 54% à 51%. "Depuis 2012, le marché est marqué par le passage d'une répartition entre quatre acteurs (Canal Plus, beIN Sports, TF1, France Télévisions) à une structure proche du duopole, au sein de laquelle Canal Plus et beIN Sports détiennent près de 80% du marché", déplore l'avis.

4- Netflix, la menace fantôme

Canal Plus, pour montrer que le marché est plus concurrentiel, met aussi en avant l'arrivée de nouveaux acteurs dans la vidéo-à-la-demande illimitée par abonnement (SVoD), comme Netflix. Mais l'impact du californien est à relativiser, estime le CSA. 

D'abord, la réglementation ne permet à la SVoD que de proposer des films vieux de 3 ans, alors que la chaîne cryptée en propose 10 mois après leur sortie en salles. "Dès lors, les offres de SVoD ne peuvent être à ce stade considérées comme étant en concurrence directe" avec Canal Plus, relève le CSA. 

Mieux: ces offres de SvOD "semblent constituer un usage complémentaire de la consommation de télévision payante, et non pas, à ce stade, un service alternatif". Un sondage de l'Ifop est cité à l'appui. Selon ce dernier, 42% des abonnés à une offre de SVoD sont aussi abonnés à Canal Plus, et 31% à CanalSat.

Une étude de l'institut Idate est aussi citée. Selon elle, les offres de SVoD prendront moins d'abonnés aux chaînes de télévision payante en France qu'aux États-Unis pour deux raisons. D'abord, "les offres de télévision payante à coûts accessibles sont plus largement répandues en France". Ensuite, "l’écart tarifaire existant entre une offre de vidéo à la demande et une offre de télévision payante" est moins élevé. 

5- Un obstacle juridique

Enfin, et non des moindres, un autre obstacle juridique est aussi mis en avant. La question est de savoir si une seule obligation peut être levée par anticipation, alors que toutes les autres restent en place. Selon la jurisprudence du Conseil d'État, cela peut être fait uniquement si cela ne remet pas en question la cohérence de l'édifice. Sur ce point, le CSA "émet des réserves", car l'obligation contestée "peut difficilement être isolée" des autres obligations portant sur les chaînes thématiques. 

Pour conclure, le CSA "émet donc des réserves sur la pertinence d’un réexamen partiel et anticipé de la situation du Groupe Canal Plus au regard des évolutions du secteur de la télévision payante".

En guise de consolation, le gendarme de l''audiovisuel se fend quand même d'une phrase positive: "Le CSA souligne l’importance de ce projet au regard de la stratégie du groupe Canal Plus et de sa situation économique et commerciale actuelle"...

Contacté, le CSA n'a pas fait de commentaire, expliquant "être tenu, selon la procédure habituelle, d'une part au respect du secret des affaires, et d’autre part à son engagement auprès de l’Autorité de la Concurrence de ne pas s'exprimer sur son avis avant que l'Autorité ait rendu sa décision".

Jamal Henni