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Culture loisirs

Le CSA invente un permis à points pour contourner les quotas

"OFNI" de Bertrand Chameroy, émission phare de la chaîne

"OFNI" de Bertrand Chameroy, émission phare de la chaîne - W9

Le gendarme de l'audiovisuel propose d'alléger les quotas des chaînes s'ils sont remplis aux heures de grande écoute. W9 pourrait être la première à bénéficier du nouveau système.

Lorsque TF1 fut privatisée en 1987, le gouvernement de l'époque promit de l'accorder au "mieux disant culturel". Le groupe Bouygues fit donc des promesses en ce sens, qui furent retranscrites dans le cahier des charges et dans la convention passée avec le CSA (Conseil supérieur de l'audiovisuel).

La Une s'est ainsi engagée à diffuser chaque année 10 heures de concerts et 14 spectacles vivants (opéra, théâtre, danse). Une obligation dont elle s'acquitte toujours... mais la nuit. "Passer une émission culturelle sur une chaîne commerciale à 20h30, c’est un crime économique! C’est quand même à l’État d’apporter la culture, pas aux industriels", expliquait dès 1987 le PDG Patrick Le Lay dans Libération.

Robinets à clips la nuit

Cette stratégie a ensuite été répliquée par les autres chaînes privées, promettant monts et merveilles pour décrocher une fréquence, puis s'acquittant ensuite de leurs promesses aux heures creuses.

Ainsi, M6, W9 et D17 (devenue Cstar), qui ont toutes promis de diffuser de la musique, diffusent en pratique des clips la nuit et le matin. C8, qui a promis de diffuser au moins 7 heures de "programmes inédits" par jour, remplit cette obligation grâce à la diffusion de Voyage au bout de la nuit, émission à bas coût diffusée entre 2h et 6h du matin où une comédienne lit un livre...

Modulation horaire

Malgré cela, les chaînes restent mécontentes et demandent régulièrement au CSA d'alléger leurs quotas. W9 réclame depuis des années une baisse de son quota de musique de 50% à 35% du temps d'antenne, et CStar (ex D17) de 75% à 60%. M6, qui a déjà réduit son quota de musique de 30% à 20% entre 2007 et 2011, veut encore alléger ses obligations musicales. Enfin, TF1 demande à abaisser son quota d'information (800 heures par an), et à supprimer son quota d'émissions jeunesse (qui avait déjà été abaissé en 2014 de 1.000 à 750 heures par an). 

Dans un premier temps, le CSA a déjà autorisé les chaînes à calculer leur quota de manière plus souple, en n'incluant plus la publicité ni l'habillage. Mais cet expédient ne suffit plus.

Problème: si le gendarme de l'audiovisuel allège carrément un quota, il a très peur que cela soit ensuite jugé illégal. En effet, les textes lui interdisent d'effectuer des "modifications substantielles" dans les obligations des chaînes par rapport aux obligations imposées lorsque la fréquence a été attribuée. 

Le CSA a donc eu l'idée d'une sorte de "permis à points" pour remplir plus facilement les quotas. En pratique, les obligations seront modulées en fonction de l'heure de diffusion, en bonifiant les heures de grande écoute. Par exemple, une heure de concert diffusée par une chaîne musicale en pleine nuit permettra toujours de remplir une heure de quota, mais le même concert d'une heure diffusé en prime time vaudra quatre heures de quota. Avantage: un tel système permet de ne pas toucher facialement au quota figurant dans la convention de la chaîne, et réduit donc le risque d'illégalité.

Toutefois, le gendarme de l'audiovisuel a tenu à prendre ses précautions, et vérifier que son permis à points était bien légal. Pour cela, il a demandé un avis au Conseil d'État, qui lui a répondu positivement en octobre. Précisément, les sages du Palais Royal ont répondu qu'un tel système ne constituait pas une modification "substantielle", mais ont toutefois recommandé de fixer un nombre minimal d'heures diffusées, pour que le quota ne soit pas totalement vidé de sa substance.

W9 veut diffuser moins de musique

La première chaîne à bénéficier de ce nouveau système pourrait être W9. La convention de la chaîne du groupe M6 stipule que "la programmation est majoritairement consacrée à la musique". Une obligation qui est essentiellement remplie par la diffusion de clips la nuit et le matin.

La convention stipule aussi que W9 "développe la présence de la musique aux heures de forte audience", mais cette obligation là n'est pas respectée. "Entre 17 heures et minuit, les programmes musicaux représentent moins de 10% de l’offre globale", déplore le CSA, qui regrette cette "faible exposition de la musique aux heures de grande écoute".

Retomber dans le rouge

Cette évolution intervient alors que le chiffre d'affaires et l'audience de W9 ne cessent de se dégrader, après avoir atteint un plus haut en 2012 (cf. ci-dessous). La chaîne, devenue bénéficiaire en 2008, est même retombée dans le rouge en 2015. 

En embuscade se tient l'autre chaîne musicale de la TNT, C Star (ex-D17), qui souhaite aussi alléger ses obligations musicales depuis des années. La filiale de Canal Plus a même obtenu le soutien des producteurs de musique, en concluant avec eux en 2012 un accord "donnant donnant", où elle s'engageait à mieux exposer la musique (de son côté, W9 n'a pas conclu d'accord de ce type avec les producteurs). 

Interrogés, W9 n'a pas répondu, et le CSA s'est refusé à tout commentaire.

Les résultats de W9 (en millions d'euros)

Chiffre d'affaires
2011: 110,1
2012: 113,7
2013: 109,9
2014: 88,1
2015: 84

Résultat net
2011: +13,5
2012: +13,3
2013: +1,2
2014: +3,5
2015: -2,3

Dividendes versés à M6
2013: 13,5
2014: 1,2
2015: 3,5

Part d'audience (en %)
2011: 3,4
2012: 3,2
2013: 2,9
2014: 2,6
2015: 2,6
1er semestre 2016: 2,4

Source: comptes sociaux, Médiamétrie

Jamal Henni