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Le CV fort enjolivé du nouveau présentateur de Capital

Ce passionné de kitesurf n'est pas vraiment un entrepreneur à succès

Ce passionné de kitesurf n'est pas vraiment un entrepreneur à succès - M6

"Le magazine économique de M6 sera co-présenté à partir de la rentrée par Bastien Cadeac, un jeune créateur de start-up inconnu au bataillon, et au CV trompeur."

"Bastien qui?" M6 a créé la surprise le 27 mai en annonçant que Capital serait désormais co-présenté par "Bastien Cadeac, entrepreneur de 31 ans, spécialisé dans les start-up internet". Ce dernier, qui sera également le rédacteur en chef adjoint de l'émission, était en effet totalement inconnu au bataillon, notamment dans le milieu français des start-up. Et l'examen de son parcours montre que l'heureux élu a accompli peu de choses. Pire: ce petit-fils d'un producteur de cinéma (son grand-père Paul a produit les Fantomas) a une fâcheuse tendance à romancer son CV. 

1- Des postes fantômes

Le CV de Bastien Cadeac qui apparaît sur TechCrunch et Bloomberg intrigue sur plusieurs points. D'abord, notre homme affirme avoir été, dès sa sortie de l'Edhec en 2010, "chef du marketing dans une société française de cloud computing", société dont Bastien Cadeac ne veut pas donner le nom. Or il est assez surprenant d'accéder à une telle responsabilité sans aucune expérience. En outre, les principales sociétés françaises de cloud computing (Cloudwatt, Numergy, Outscale, OVH, Oodrive et Ikoula) nous ont toutes répondu que Bastien Cadeac n'avait pas travaillé chez eux.

Ensuite, notre homme affirme avoir créé une start-up BtoB baptisée "Mobile Store Locator", dont on ne trouve aucune trace nulle part. 

Enfin, et non des moindres, ces deux mentions ont ensuite disparu de son CV, notamment le CV de son compte LinkedIn. Interrogé à plusieurs reprises sur ces deux lignes disparues de son CV, Bastien Cadeac n'a jamais répondu.

2- Une start-up qui n'a pas marché

Dans son CV et sur son compte Twitter, Bastien Cadeac se présente comme "serial entrepreneur", c'est-à-dire entrepreneur en série. Mais la série semble se limiter à un seul épisode: une start-up baptisée "Trainity SAS" et qui a utilisé la marque "Smap In".

Bastien Cadeac, qui en était le directeur général, détenait 25% du capital. Il s'était associé avec Guillaume Cohen-Skalli, collègue de promo à l'Edhec, qui avait le titre de président. La majorité du capital (74%) était détenue par Claude Cohen-Skalli, parent de Guillaume et membre de la famille propriétaire de Lustucru.

Sur le CV de Bastien Cadeac, cette start-up est présentée à la fois comme un "leader" sur son créneau et un "succès". En réalité, ce fut un échec cuisant. En trois ans, la société n'a engrangé que 568 euros de chiffre d'affaires, et perdu plus de 100.000 euros. Elle n'est jamais parvenue à lever des fonds: "La société s’est mise à la recherche d’investisseurs et de partenaires financiers. Malheureusement, ces démarches n’ont pu aboutir", indique le rapport de gestion 2012 (disponible ci-dessous). Elle n'a même pas trouvé de quoi embaucher un salarié, ou se faire connaître: "Les investissements requis notamment pour le lancement d’une campagne publicitaire n’ont pu aboutir", ajoute le rapport.

Enfin, Bastien Cadeac affirme que sa société a été "revendue" au danois Bownty. Las! En réalité, la société a été liquidée début 2013. Le rapport de gestion explique: "La société est consciente qu’elle ne peut maintenir en l’état ses activités, compte tenu du très faible chiffre d’affaires qu’elle génère. La société a donc cherché un repreneur de son fonds de commerce, ou de ses logiciels et nom de domaine, ces démarches n’ont pu aboutir". Contacté, Paul Issert, qui dirigeait à l'époque les activités françaises de Bownty, précise: "Bownty a uniquement racheté certains actifs".

Paul Issert a toutefois gardé un bon souvenir de notre homme: "Bastien m'a fait l'impression d'un vrai entrepreneur, visionnaire dans son approche du marché français, et très pragmatique en même temps". Interrogé, Bastien Cadeac répond de manière sibylline: "La liquidation facilitait la revente". 

3- Deux petits fonds

Après cette expérience, Bastien Cadeac a travaillé successivement pour deux fonds spécialisés dans le web. D'abord, Simile Venture, un fonds basé à Moscou et créé par Pascal Clément, un Français qui a développé en Russie un groupe spécialisé dans l'internet. Simile investit dans les pays émergents, ce qui permettra à Bastien Cadeac de voyager en Turquie ou à Singapour.

Mais c'est un fonds modeste. La valeur de ses participations n'a jamais dépassé 2,2 millions d'euros à son bilan. Et LinkedIn recense seulement 4 personnes qui y ont travaillé, en incluant Bastien.

Surtout, probablement pour des raisons fiscales, la société Simile est immatriculée au Luxembourg et domiciliée chez son expert comptable. Son principal actionnaire, Simile SLP Ltd, est immatriculé dans un autre paradis fiscal, les îles Vierges britanniques. Et plusieurs participations de Simile sont aussi immatriculées dans des paradis fiscaux, comme les îles Vierges britanniques, le Delaware, ou Chypre...

Début 2015, notre homme change de crèmerie. Il rejoint un autre fonds, One Ragtime. Ce fonds a été créé par la Française Stéphanie Hospital (ancienne directrice exécutive d'Orange Digital), qui s'est associée pour l'occasion à Jean-Marie Messier. Là encore, le fonds est modeste, avec quatre salariés, Stéphanie Hospital incluse. Et ses débuts sont lents. Le fonds dit avoir été créé en février 2014, mais il vient seulement de déposer ses statuts au greffe britannique. Stéphanie Hospital a déclaré vouloir lever à terme 100 millions d'euros, mais ne souhaite pas dire combien elle a effectivement levé à ce jour. Et un seul investissement a été annoncé à date, dans la start-up française Zenly.

Toutefois, Stéphanie Hospital nous assure avoir apprécié Bastien Cadeac: "C’est un garçon plein de talents. J’ai apprécié son sens de l’innovation et du business, et sa finesse d’analyse. Il a aussi beaucoup voyagé, ce qui lui permet de connaître l’univers entrepreneurial à l’international, notamment en Asie, Europe et Moyen Orient". 

Contactés, Bownty, Simile Ventures et Guillaume Cohen-Skalli n'ont jamais répondu.

Mise à jour le 8 juin: sur RTL, Bastien Cadeac a déclaré: "Dans mon CV tout est juste, rien n'est faux. Ça je le maintiens. Il y a eu une approximation sur le fait de revendre une société par rapport à vendre certains actifs puis la liquider. C'est de là que tout est parti... Au bout de deux ans, les résultats escomptés n'étaient pas là, on a eu envie de passer à autre chose, on a vendu les actifs pour récupérer nos billes, puis on a liquidé la société."

De son côté, interrogée par Metronews, M6 a répondu: "Bastien Cadéac n'a jamais menti sur son CV. Nous avons bien eu le CV de Bastien Cadeac entre les mains et nous savons tout sur son parcours. Son profil nous convient parfaitement. Nous ne l'avons d'ailleurs jamais présenté comme le nouveau Steve Jobs". 

Le CV de Bastien Cadeac sur TechCrunch (en anglais) 

"Bastien is a serial entrepreneur. In 2011 he launched his first start up (Smap In, a geo-located deal platform) that has been acquired 2 years later by a leading European player in the deal sector. Building from this success he launched the Mobile Store Locator, a Web-to-Shop service for brands to drive customers to stores. Prior to Smap In he was Head of Marketing in a French Cloud Computing company. He is specialized in online marketing and actively supports the portfolio companies in customer acquisition. Bastien joined Simile Venture in November 2012 and is involved in all stages of the investment and post-investment work of the fund".

Les résultats de Trainity SAS (Smap In), en euros

Chiffre d'affaires
2010: 0
2011: 31
2012: 537

Résultat net
2010: -9.441
2011: -55.267
2012: -40.577

NB: exercice clos fin septembre

Source: registre du commerce

Les investissements de Simile Ventures

2012
The Ivory Company LLC (Delaware)
Smart comercio de pneus e pecas automativas Ltds (Brésil)
Innovative mobile apps europe SL/Blink booking Inc (Delaware)
Deltamethod GmbH (Allemagne)
Private collections GmbH (Allemagne)
Liameo Holding GmbH (Allemagne)
Koc bertermann GmbH (Allemagne)
Capitalis SL (Espagne)

2013
Nasilkolay elektronik hizmelter (Turquie)
Pennolson Pte Ltd (Singapour)
Itaro holding (Brésil)
Ozn elektronik/Evim (Turquie)
SellAnyCar (Emirats arabes unis)
Lesara GmbH (Allemagne)

2014
MoneyForAnyCar Ltd (îles Vierges britanniques)
Double Data Ltd (Chypre)

2015
Tech in asia Pte Ltd (Singapour)
Wudstay travels Pvt Ltd (Inde)
Aeyde (Allemagne)
Branch8 (Hong Kong)

Source: comptes de Simile

Jamal Henni