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Le dernier combat d'Omar Sharif contre le fisc français

Le film "M. Ibrahim et les fleurs du Coran"

Le film "M. Ibrahim et les fleurs du Coran" - ARP

En 2005, le fisc avait infligé un sévère redressement fiscal à l'acteur égyptien, qui a passé les dernières années de sa vie à le contester. Une bataille menée en secret qu'il a perdue.

il y a un mois, Omar Sharif s'est éteint au Caire, à l'âge de 83 ans. Les dernières années du grand acteur égyptien ont été obscurcies par la maladie, mais aussi par son long combat contre le fisc français, contre lequel il se battait depuis une dizaine d'années.

L'affaire -que l'acteur a réussi à tenir secrète jusqu'à sa disparition- a démarré par une interview à la télévision, où l'inoubliable interprète du Docteur Jivago déclarait vivre en France à l'hôtel.

Hôtels de luxe

Ces déclarations mettent la puce à l'oreille du fisc, qui effectue alors un contrôle. Les retraits d'espèces en Frances ont passés à la loupe. Les deux hôtels de luxe où séjourne l'acteur, le Royal Monceau à Paris, et le Royal à Deauville, sont interrogés sur les dates de séjour de l'acteur.

Le fisc découvre alors que l'acteur -de son vrai nom Mikha Shalub- n'a pas déclaré en France ses revenus de source française pour les années 2002 et 2003. Alors que ces revenus se chiffrent à près d'un demi-million d'euros sur la période: 273.600 euros pour le rôle principal du film français M. Ibrahim et les fleurs du Coran; 35.819 euros pour un rôle dans la série Les mythes urbains; et 137.204 pour livrer des pronostics à Tiercé Magazine. A quoi s'ajoutaient ses droits d'interprète versés par l'Adami, et les revenus de son écurie de chevaux de course...

Le fisc trouve aussi un compte en Suisse, ouvert auprès de la banque UBS, dont le fisc français ignorait l'existence. Ce compte alimentait un autre compte ouvert en France auprès de la banque CIC. Au total, 512.289 euros sont ainsi virés de Suisse en France entre 2002 et 2003. Des gains de jeu, ou des cachets de tournage aux Etats-Unis, argue le champion de bridge, mais sans convaincre le fisc, qui décide d'imposer ces sommes, et notifie un redressement en 2005.

Opacité suisse

Pire: selon le fisc, l'acteur a encaissé les salaires versés par ARP Sélection (le producteur de M. Ibrahim et les fleurs du Coran) "sur un compte en Suisse pour plus d'opacité".

Pour se défendre, Omar Sharif répond alors qu'il n'est pas résident fiscal français, mais égyptien. Il assure vivre au Caire, dans le même appartement que son fils, alors âgé de 45 ans... Mais le fisc estime que l'acteur remplit tous les critères pour être résident fiscal français. D'abord, "ses activités professionnelles sont exercées en France. Et il en retire l'essentiel de ses revenus".

Fréquentation des casinos

Ensuite, l'acteur a passé la quasi-totalité de l'année 2003 en France (293 jours sur 365), et près de la moitié de 2002 (162 jours). "Il ne pouvait ignorer son séjour quasi-permanent en France par sa résidence habituelle à l'hôtel Royal Monceau", estime le fisc, qui ajoute qu'il "fréquentait régulièrement les hippodromes et casinos français". Pire, le fisc juge qu'il y a une "intention délibérée d'éluder l'impôt". Il inflige donc une pénalité de 40% pour mauvaise foi.

Omar Sharif conteste ensuite le redressement fiscal en justice. Les juges le déchargeront des pénalités de mauvaise foi en première instance, mais les rétabliront en appel. Finalement, l'acteur portera enfin l'affaire devant le Conseil d'Etat, qui a rejeté son pourvoi au printemps 2015.

Contacté, Patrick Michaud, avocat de l'acteur en première instance, explique: "Omar Sharif n'a pas eu de chance. Le fisc a considéré qu'il remplissait la liste des critères pour être résident fiscal, alors que ce n'était pas évident. Il a donc été requalifié comme résident fiscal français. Et en conséquence il a été jugé comme n'ayant pas déclaré le compte qu'il possédait en Suisse. Ce cas est exemplaire car il pose la question du régime fiscal appliqué aux riches étrangers séjournant en France. C'est un régime trop imprévisible et trop strict, et au final qui fait peur aux riches étrangers qui préfèrent ne pas investir ou séjourner trop longtemps en France. Trop d'idéal politik tue la real politik."

Jamal Henni