BFM Business
Vie de bureau

Le droit à la déconnexion numérique, qu'est-ce que ça change?

Même si leur employeur n'exerce aucune pression, c'est le salarié lui-même qui a du mal à faire la distinction et qui a des scrupules à appuyer sur le bouton" off" de son smartphone.

Même si leur employeur n'exerce aucune pression, c'est le salarié lui-même qui a du mal à faire la distinction et qui a des scrupules à appuyer sur le bouton" off" de son smartphone. - Moritz-CC

A partir du 1er janvier, les entreprises de plus de 50 salariés doivent ouvrir des négociations sur le droit à la déconnexion. Du jamais vu ailleurs dans le monde. Du coup, les entreprises manquent de recul pour trouver les solutions conformes aux intérêts des salariés et de leurs managers.

C'est une première mondiale. A partir de l'année prochaine, un salarié ne pourra pas se voir reprocher par son employeur de ne pas avoir répondu à un mail ou à un appel en dehors de ses heures de travail. Ce droit à la déconnexion est inscrit dans l'article 55 de la loi Travail: il stipule que les entreprises de plus de 50 salariés doivent ouvrir des négociations, à partir du 1er janvier, pour mettre en place des dispositifs de régulation des outils numériques afin de respecter les temps de repos et l'équilibre entre vie professionnelle et personnelle. Comment en est-on arrivé là?

Les smartphones, les ordinateurs, les tablettes ont dilué la notion d'espace de travail et ont permis l'intrusion du monde professionnel dans la sphère privée. "Les salariés sont surconnectés. Ils passent de plus en plus de temps à traiter leurs emails, ce qui est du temps en moins pour travailler et prendre des décisions. De plus, ils ont le sentiment qu'ils doivent répondre à ces demandes de manière urgente", explique Patrick Thiébart, avocat à la cour et associé du cabinet Jeantet.

Les salariés ont des scrupules à éteindre leur téléphone

Même si leur employeur n'exerce aucune pression, c'est le salarié lui-même qui a du mal à faire la distinction et qui a des scrupules à appuyer sur le bouton "off" de son smartphone. Il y a donc nécessité de trouver un point d'équilibre afin d'éviter que cette connexion à outrance ne pèse ni sur la qualité du travail ni sur la santé du salarié, dont l'employeur est en partie responsable.

Le cadre législatif ne précise pas de quelle manière doit être mis en place ce droit à la déconnexion. "La loi donne la priorité aux négociations menées au sein des entreprises, car les législateurs se sont rendus compte de la diversité des entreprises et de la nécessité de mettre pour chacune des pratiques adaptées ", souligne Déborah David, avocat à la cour et associé du cabinet Jeantet. En revanche, il n'y a aucune obligation de résultat: la loi ne prévoit aucune sanction spécifique pour les sociétés qui n'ont entrepris aucune démarche. Mais elle ne pourra s'exonérer de sa responsabilité si un salarié en état de surconnexion l'attaque pour harcèlement moral.

Couper l'accès au serveur mail n'est pas la bonne solution

Certains grands groupes se sont déjà penchés sur le sujet, et ont mis en place des coupures du serveur de mails sur certains créneaux horaires. Mais cette solution ne peut convenir à une entreprise ayant des antennes à l'international ou une activité en continue. Il y a aussi un autre inconvénient: les salariés tentent de détourner cette coupure en se transférant des documents et des mails sur leur messagerie personnelle. "Une telle pratique pose des problèmes évidents de sécurité des données," met en garde Déborah David.

Les négociations entre employeurs et partenaires sociaux doivent permettre de trouver les solutions les plus adaptées qui pourront être consignées dans un accord collectif. Si les négociations n'aboutissent pas, les entreprises peuvent, par défaut, édicter une charte.

Tous les mails ne nécessitent pas une réponse

Mais que doit-elle contenir? Pas forcément des règles novatrices ou très strictes. "Il faut mettre en place les conditions de savoir-vivre et rappeler des choses de bon sens" conseille Déborah David. Ainsi, il peut être utile de mentionner que la réception d'un mail ne doit pas mener à une action systématique et que chacun doit apprendre à hiérarchiser les priorités. Ou encore noter que la fonction "répondre à tous" doit s'utiliser avec modération. Le droit à la déconnexion s'applique aussi aux heures de travail: l'entreprise peut donc décider que les smartphones doivent être rangés lors des réunions.

L'entreprise peut aussi mettre en place des process destinés à identifier les situations à risque. Un salarié qui se connecte à outrance à l'intranet en dehors des heures de travail peut facilement être identifié par le service informatique, qui peut alors lui adresser un mail de rappel et prévenir également son manager.

Ce dernier est en tout cas un maillon essentiel du respect du droit à la déconnexion. C'est lui qui doit savoir mesurer la charge de travail que peut accomplir un salarié sans qu'il ait besoin de rogner sur ses temps de repos. Sans oublier que c'est à lui aussi de donner l'exemple, en n'envoyant pas des emails tard le soir ou le week-end.

Coralie Cathelinais