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Le financement du cinéma français sauve sa peau

La présidente du CNC Frédérique Bredin au festival de cannes

La présidente du CNC Frédérique Bredin au festival de cannes - Valery Hache AFP

M6, Canal Plus, Bouygues et près de 80 vidéo-clubs contestaient le versement d'une centaine de millions d'euros au Centre national du cinéma. Mais ils ont perdu leurs recours.

Soulagement au CNC (Centre national du cinéma). L'offensive contre le financement de l'établissement public a échoué. Ce financement est assuré par la collecte d'une série de taxes: sur les billets de cinéma, sur les vidéo-clubs, sur les chaînes de télévision, sur les opérateurs télécoms... 

Sommes substantielles

Or, une partie de ces redevables, n'appréciant guère de financer l'exception culturelle, est entrée en résistance, contestant au total le versement d'une centaine de millions d'euros. Précisément, il s'agissait de M6 (qui contestait le versement de 72 millions d'euros), Canal Plus (15 millions d'euros), Bouygues Telecom (24 millions d'euros), et de près de 80 vidéo-clubs (Fnac, Carrefour, Vidéo Futur...). 

Ces récalcitrants ont déposé des recours devant la justice française et européenne. S'ils avaient réussi, cela aurait mis à bas tout le financement du CNC. Mais les contestataires ont perdu quasiment tous leurs procès, sauvant ainsi le financement de l'établissement public.

Plaintes à Bruxelles et en France

Précisément, deux plaintes avaient été déposées à Bruxelles. La première, en 2011, qui portait sur la taxe sur les télécoms, a été classée, indique le CNC. La seconde, en 2013, mettait en cause la taxe sur la vidéo. Elle n'a pas eu de suite, ajoute le bras armé de l'Etat dans le cinéma. 

Parallèlement, près d'une centaine de procédures ont été engagées en France devant les tribunaux administratifs, puis les cours administratives d'appel, toujours en vain. Seul M6 et Canal Plus semblent être allés jusqu'au Conseil d'Etat.

Aides d'Etat

Sur le fond, tous ces recours reposaient sur le même argument: ces taxes constituent des aides d'Etat, et doivent donc être approuvées par Bruxelles. Or, selon les contestataires, le feu vert de Bruxelles n'était pas valide pour différentes raisons de forme. 

Par exemple, les contestataires avançaient que les taxes prélevées étaient utilisées numériser de vieux films, qui n'était pas prévu dans le feu vert de Bruxelles. Mais cet argument a été écarté, car la numérisation n'a démarré qu' en 2012, une fois obtenu un feu vert spécifique de Bruxelles sur ce point.

Le rendement des taxes explose

Autre argument: selon les textes européens, une hausse du budget d'un régime d'aide d'Etat qui augmente de plus de 20% nécessite un nouveau feu vert de la Commission dans la mesure où elle est assimilable à une nouvelle aide. Or en l'espèce, le produit de la taxe sur les télécoms a bel et bien explosé, augmentant de bien plus de 20%.

Mais le CNC a répondu que cet argent avait pour l'essentiel été mis en réserve, et que les subventions distribuées, elles, n'avaient pas augmenté de plus de 20% -un argument qui a convaincu la justice. Certes, plusieurs plaignants ont bien argué -rapport de la Cour des comptes à l'appui- que les subventions au cinéma et à l'audiovisuel ont bien augmenté de 23% en moyenne entre 2007 et 2011, mais en vain...

Enfin, et non des moindres, les recours arguaient aussi que ces taxes, aujourd'hui directement prélevées par le CNC, étaient auparavant prélevées par Bercy. Mais la justice a rejeté cet argument, estimant que cela ne changeait rien...

Maigres victoires

Au final, les contestataires n'ont gagné que sur deux points mineurs. D'abord, M6 a gagné sur la taxe sur les SMS et les appels surtaxés, comme l'avait fait précédemment TF1.

Ensuite, la taxe sur les vidéo-clubs a bien été jugée illégale entre juin 2003 (date à laquelle Paris l'a modifiée) et mars 2006 (date à laquelle cette modification a été approuvée par Bruxelles). Les vidéo-clubs ont donc obtenu le remboursement de la taxe jusqu'à fin mars 2006. Précisément, Bercy l'a remboursée aux vidéo-clubs en faisant la demande, sans même attendre des décisions de justice.

Rappelons que la justice avait aussi estimé en 2011 que la taxe sur les chaînes de télévision n'avait pas été notifiée à temps, et avait donc remboursé 30 millions d'euros à TF1. 

Reste toutefois deux mystères. D'abord, comment toutes ces sociétés ont-elles eu la même idée en même temps? Visiblement, l'idée leur a été soufflée par deux avocats fiscalistes, qui se sont occupés de toutes ces procédures (sauf celle de Canal Plus): Eric Meier du cabinet Baker & McKenzie, et Guillaume Massé chez Marvell. 

Autre mystère: selon certaines sources, la Société Générale aurait racheté ces taxes contestées auprès des redevables, comme la banque l'a fait pour le précompte, ou la taxe finançant France Télévisions.

Interrogés, M6, Canal Plus, Bouygues Telecom, la Société Générale, Me Meier et Massé n'ont soit pas répondu soit se sont refusés à tout commentaire. 

Les procédures engagées en France

Bouygues Telecom
L'opérateur porte plainte devant le tribunal administratif de Paris, qui la déboute le 18 juin 2013. L'opérateur ne fait pas appel

M6
La chaîne porte plainte devant le tribunal administratif de Paris, qui la déboute le 18 juin 2013. La chaîne demande une question prioritaire de constitutionnalité concernant sur la taxe sur les SMS, qui est transmise au Conseil d'Etat, qui la rejette. L'appel est toujours en cours sur les autres aspects. 

Canal Plus
La chaîne demande une question prioritaire de constitutionnalité, qui est transmise au Conseil d'Etat, qui la rejette. Sur les autres volets, le tribunal administratif de Paris déboute le 19 juin 2014 la chaîne, qui fait appel.

Vidéo-clubs
Près de 80 vidéo-clubs portent plainte devant les tribunaux administratifs (qui les déboutent entre 2009 et 2013), puis les cours administratives d'appel (qui les déboutent aussi).
Devant le tribunal administratif de Montreuil: Relais Fnac ; Fnac Direct ; Fnac Périphérie ; Auchan France ; Carrefour Hypermarchés ; CSF France ; Continent 2001 ; Sogara France ; Carcoop France
Devant le tribunal administratif de Paris: AGDS Video Futur ; GMPS Convention ; GPM Italie Tolbiac ; AVF Video Futur ; TeleFrance ; Mandarine et co ; JDPR Video Futur ; Logistreet
Devant le tribunal administratif de Montpellier: 34 VF : Video Sim ; Montpellier VF ; Declik Video ; Carcassonne VF ; Automatic Distribution ; Clémenceau VF ; Eve et cie/Video Futur Agde
Devant le tribunal administratif d’Orléans: Kazeo Diffusion ; Gros Moulin Vidéo ; Chartres Video Futur
Devant le tribunal administratif d’Amiens: Sam Video Compiègne ; DPJP New Ciné ; Centre Leclerc Laondis
Devant le tribunal administratif de Poitiers: Video Juscau ; JBG 93 ; Cham’vidéo
Devant le tribunal administratif de Nantes: Video Fil Distribution ; Videoceane ; Dynalec Dist ; Celest Video Le Mans ; Soja ; Yvanoff Emmanuel Club Video Jade
Devant le tribunal administratif de Caen: Dives Auto Lavage ; AJ 2 Video
Devant le tribunal administratif de Rouen: Mediamatic
Devant le tribunal administratif de Rennes: Formule 1 Video
Devant le tribunal administratif de Toulon: Delta Visions ; DVD Azur ; Saint Raph Video ; Projection Cinebank ; Dragui Video ; Cannes Video ; Hyères VF
Devant le tribunal administratif de Nîmes: Pertuis Video Futur ; Ales VF ; Plein les yeux Video Futur
Devant le tribunal administratif de Dijon: VF Bourgogne ; Pugeat Goin
Devant le tribunal administratif de Toulouse: Rodez VF ; Vijemulix ; VF Perigueux ; Verycruysse ; Le scribe d’oc ; Dolisa ; Terrade Video Plus ; Melys
Devant le tribunal administratif de Nancy: Alain Jentzer Video Futur ; Tilt Video-Stopvideo
Devant le tribunal administratif de Lyon: Le temps retrouvé ; Toto Video ; Saint Chamond ; Kaysie ; Terrisse Eric-Cinebank ; Roanne VF Toto Video ; Video 6
Devant le tribunal administratif de Châlons en champagne: Autodistrib Cinebank ; VFCM Video Futur ; Spar Video

Jamal Henni