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Le grand gâchis du cloud souverain "à la française"

Les deux projets de cloud souverain, nés de l'ambition initiale de l'Etat français, se sont heurtés au mur des réalités du marché.

Les deux projets de cloud souverain, nés de l'ambition initiale de l'Etat français, se sont heurtés au mur des réalités du marché. - AFP Jacques Demarthon

Cloudwatt est absorbé par Orange, mettant fin à l'ambition de l'Etat de créer une alternative aux géants américains pour héberger les données des entreprises.

Clap de fin pour le cloud souverain français. Le rachat effectif de 100% de Cloudwatt par Orange, qui était dans l'air depuis quelques semaines, met, de facto, fin à cette initiative de l'Etat français, prisé en 2011. Doté d'argent public dans le cadre du Grand Emprunt, ce projet était censé faire émerger des acteurs rivalisant avec les géants américains, pour héberger l'informatique et les données des entreprises sur le sol français dans de vastes centres d'hébergement.

Officiellement, le ministère de l'Economie s'est félicité du rachat de Cloudwatt par Orange, en précisant que l'opérateur "reprenait l'ensemble des salariés de l'entreprise qui rejoignent l'activité Orange Cloud for Business au sein d'Orange Business Services". 

Mais, derrière ce discours de façade, il s'agit bien d'un échec cuisant des pouvoirs publics, ayant des réminiscences de feu le plan Calcul, à 50 ans de distance.

Cloudwatt disparaît après avoir réalisé un chiffre d'affaires de seulement 3 millions d'euros en 2014, et après avoir mis 20 mois à bâtir une offre technique complète. Sans compter les problèmes de gouvernance.

En coupant la manne publique en deux, l'Etat n'a pas choisi !

Quant au devenir de l'autre acteur français du cloud retenu par les pouvoirs publics, Numergy, il dépend aujourd'hui du bon vouloir de ses actionnaires. Ceux-ci ont changé... de propriétaire : SFR est devenu la propriété de Numericable et Bull, celle d'Atos, qui a ses propres infrastructures Cloud. Numergy n'aurait réalisé que 6 millions d'euros de chiffre d'affaires l'an passé.

Pourtant, ces deux acteurs ont été porté sur les fonts baptismaux par le gouvernement Fillon, en 2011, en bénéficiant chacun d'une enveloppe globale de l'Etat s'élevant à 75 millions d'euros.

Le problème est que couper le projet en deux était déjà une dérive par rapport au projet initial doté de 150 millions d'euros. Celui-ci visait à faire naître un seul acteur doté de vastes infrastructures informatiques installées sur le sol français. Or, l'Etat a choisi... de ne pas choisir en sélectionnant les deux opérateurs télécoms rivaux les plus puissants, qui s'étaient positionnés entretemps pour récupérer la manne publique.

Le choix de favoriser ces deux acteurs puissants avait suscité, à l'époque, la colère d'autres acteurs français, plus petits mais spécialisés dans l'hébergement informatique pour les entreprises comme OVH ou Ikoula.

Quid d'une approche européenne du cloud souverain ?

Dassault Systèmes, qui avait claqué la porte du projet initial, a choisi en 2012 d'aider au développement d'Outscale sur le créneau, sans aide d'Etat. Cette petite société aurait réalisé en 2014, un chiffre d'affaires de 11 millions d'euros, soit autant que les deux acteurs français du cloud souverain réunis !

L'idée d'une fusion de Numergy avec Cloudwatt, un temps évoquée en 2014 par Axelle Lemaire pour limiter les dégâts, a été abandonnée.

Devant l'impasse dans lequel se trouvaient les deux projets de cloud souverain, le ministère de l'Economie aurait décidé récemment de ne pas dépenser le solde restant de l'enveloppe des 150 millions d'euros, non encore engagé. Il en resterait environ la moitié, qui seront réaffectés par Bercy à d'autres projets.

Dans ce contexte très difficile, "seul un projet souverain à vocation européenne et pas seulement française apparaît viable", résume Bernard Ourghanlian, directeur technique et sécurité de Microsoft France.

Frédéric Bergé