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Le numérique est-il de gauche ou de droite? La réponse de Terra Nova

L'auteur du rapport Nicolas Colin et le directeur général de Terra Nova Thierry Pech

L'auteur du rapport Nicolas Colin et le directeur général de Terra Nova Thierry Pech - BFM Business

Une note du think tank progressiste, rédigée par Nicolas Colin, préconise de s'attaquer aux rentes de situation des entreprises traditionnelles.

Le numérique est-il de gauche ou de droite? Les deux, mon général! C'est en tous cas l'opinion de Nicolas Colin, associé fondateur de l'accélérateur de start-ups The Family, et co-auteur d'un rapport remarqué sur la fiscalité du numérique.

Selon lui, le numérique peut être considéré comme libéral, car il détruit massivement des emplois. Mais il peut aussi vu comme de gauche car il remet en cause les conservatismes. 

Dans une note pour le think tank de gauche Terra Nova, intitulée La richesse des nations après la révolution numérique, cet inspecteur des finances propose plusieurs solutions pour que la France ne loupe pas le coche. Revue de détail.

1. Une finance moins court-termiste

Nicolas Colin constate que la finance traditionnelle est totalement inadaptée aux start-up: "Les banques ne savent financer que les entreprises qui répètent les modèles d'affaires du passé, c’est-à-dire le contraire d'une entreprise innovante. Les marchés financiers exercent sur les entreprises cotées une pression en faveur de la rentabilité à court terme". D'ailleurs, "la raréfaction des introductions en bourse d’entreprises numériques sur la place de Paris est un sujet de préoccupation".

D'une manière générale, l'obsession de la finance pour la rentabilité à court terme (dividendes...) ne convient pas au numérique: "les entreprises numériques n'interrompent jamais leurs efforts de croissance: elles doivent systématiquement réinvestir leurs bénéfices, voire, comme Amazon, renoncer tout simplement à en faire". On se souviendra de la fameuse citation de son fondateur Jeff Bezos: "nous espérions fonder une petite entreprise rentable. Nous avons finalement créé un grand groupe déficitaire..."

Nicolas Colin recommande donc d'orienter l'épargne vers le capital-risque, mais aussi d'offrir aux start-up une aide immatérielle, notamment en mettant à leur disposition les données détenues par les administration (open data). 

2. Une éducation qui promeut la rébellion

Là encore, le modèle français paraît totalement inadapté. Certes, la France produit de bons ingénieurs. Mais ils "sont attirées par les fonctions les plus prestigieuses et les plus rémunératrices. Or ces fonctions ne sont plus des fonctions d’ingénieur", mais plutôt "dans les secteurs du conseil ou de la finance". 

Surtout, l'économie numérique a besoin, non d'ingénieurs, mais de "hackers passionnés par un problème à résoudre". Or "un hacker, dont les principales qualités sont la rébellion et la créativité, ne peut pas être formé par une institution comme l’Education nationale, qui tend à façonner des travailleurs dociles et stéréotypés".

3. Des politiques qui protègent les rentes

Nicolas Colin fait le constat amer que, lorsque le numérique s'attaque à une réglementation sectorielle, les politiques choisissent le camp de la rente au détriment de l'innovation. "Le développement de l’économie numérique est comme une succession d’incendies, qui se déclarent de filière en filière, et que les pouvoirs publics s’efforcent d’éteindre les uns après les autres – chaque fois avec une solution spécifique, insatisfaisante, toujours soumise aux exigences, forcément conservatrices, des entreprises en place.

À l’arrivée, la réponse est souvent la même: les pouvoirs publics érigent une barrière réglementaire qui dissuade les entreprises numériques et empêche donc à terme l’émergence de champions français. Dans un tel cadre juridique hostile à l’innovation, une politique publique de soutien financier à l’innovation est vaine. En présence de verrous juridiques protégeant la rente des entreprises en place, l’argent public dépensé pour soutenir l’innovation est comme de l’eau froide qu’on verserait sur une plaque chauffée à blanc: elle s’évapore instantanément".

Nicolas Colin déplore donc "la grande sensibilité du législateur à la défense des intérêts en place", et préconise "d’opter pour un droit plus négocié que légiféré, pour le contrat plutôt que pour la loi". 

4. S'inspirer des intermittents du spectacle

Pour Nicolas Colin, le salariat traditionnel est menacé par le numérique. D'une part, le CDI est moins protecteur s'il est octroyé par une start-up, ou un "géants aux pieds d'argile, c'est-à-dire une grande entreprise traditionnelle qui, telle Kodak, disparaîtra brusquement tant elle est incapable de relever le défi de la transition numérique". Parallèlement, le numérique fait apparaître de nouveaux emplois d'auto-entrepreneurs, d'indépendants (les chauffeurs d'Uber), etc...

Cela représente un "défi pour la protection sociale, parce que l’assurance est souvent liée à l’exercice d’un emploi stable". Dès lors, "le régime qui ressemble le plus à une assurance répondant à ce besoin est celui… des intermittents du spectacle".

Jamal Henni