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Le numérique relance la polémique sur le temps de travail

Bruno Mettling affirme dans le rapport qu'il a remis à Myriam El Khomri, la ministre du Travail, qu'il faut savoir s'adapter à la révolution numérique, et avec elle, aux nouveaux modes de travail de la fameuse génération Y.

Bruno Mettling affirme dans le rapport qu'il a remis à Myriam El Khomri, la ministre du Travail, qu'il faut savoir s'adapter à la révolution numérique, et avec elle, aux nouveaux modes de travail de la fameuse génération Y. - AFP- Bertrand Guay

Notre charge de travail ne serait pas correctement évaluée. Compter en heures le temps passé au bureau ne correspondrait plus aux codes de l'entreprise 2.0. Dans un rapport remis au Gouvernement, Bruno Mettling, DRH d'Orange affirme que le numérique va nous forcer à raisonner différemment sur notre vie au travail.

Il faut en finir avec la mesure du travail uniquement calculée sur un rendement horaire. Pour Bruno Mettling, DRH d’Orange et auteur du rapport sur l’évolution du travail à l’ère numérique, il est temps de s’adapter aux codes de l’entreprise 2.0. L’utilisation du numérique par les salariés implique aujourd’hui de revoir en profondeur quelques bases de notre code de travail. Le forfait horaire en fait donc partie tout comme le télétravail ou les bonnes pratiques en termes d’usages privés et professionnels des outils numériques.

36 mesures qui remettent en cause nos modes de travail actuels

Dans ce rapport commandé par l’ancien ministre du Travail François Rebsamen et remis à son successeur Myriam El Khomri, Bruno Mettling préconise 36 mesures dont certaines pourraient remettre en cause notre mode de travail existant. S’appuyant sur le fonctionnement de certaines start up et d’entreprises spécialisées dans le numérique, il recommande le passage au forfait jours pour décompter le temps de travail des salariés.

Mais pas seulement : "la charge de travail n’est pas correctement évaluée si l’on tient compte du seul temps de travail, il faut développer des approches complémentaires", explique Bruno Mettling.

Le code du travail admet déjà ce format du forfait jours mais ayant été défini dans les années 2000, il n’est plus du tout adapté aujourd’hui à l’univers des salariés (mobilité, réseaux sociaux, travail collaboratif, etc). Comme ce qui se passe dans de nombreuses entreprises, Bruno Mettling estime que la méthode de calcul la plus opportune sur la la charge de travail pourrait s’articuler autour des organisations en mode projet.

Un devoir de déconnexion imposé aux collaborateurs

Autre point sur lequel Bruno Mettling insiste et qui peut être relié aux réflexions précédentes, l’usage des outils numériques. Le DRH d’Orange en appelle à un devoir de déconnexion –comme l’ont instauré certaines entreprises- afin d’éviter les dérives de débord de la vie professionnelle sur la vie privé et d’assurer un meilleur suivi de la charge de travail des collaborateurs. "Après 3 jours passés sur un projet, un collaborateur doit pouvoir se déconnecter pour pouvoir prendre son repos, par exemple". Cela pourrait être défini entreprise par entreprise, dans les contrats de travail ou via une charte commune. Ces pratiques sont courantes sur le terrain chez les start up ou dans les entreprises du numérique. "Mais il est impensable de pouvoir le généraliser", rétorquent plusieurs organisations syndicales

Les syndicats vent-debout

Parmi les autres mesures -dont certaines auraient été édulcorées suite à la levée de boucliers des syndicats, indique Les Echos, qui ont eu accès à la version initiale- figurent des préconisations sur le télétravail, le recours aux nouvelles formes du travail en dehors du salariat traditionnel (autoentrepreneurs, indépendants), la définition d’un nouveau compte personnel d’activité (CET, DIF, points pénibilité) mieux adapté aux nouvelles formes de travail, l’intégration des outils numériques au dialogue social et encore le développement des espaces de travail en entreprise, propres à la culture digitale. Autant de points qui feront partie de la première conférence sociale sur l’impact de travail qui aura lieu en présence de membres du gouvernement le 19 octobre prochain. Pour Bruno Mettling, pas d'ambiguïté, il faut agir, et vite.

La présence au bureau prédomine encore

L'étude mondiale Dell Evolving Workforce publiée en 2014 révèle l'impact des technologies numériques sur les conditions de travail et l'écart de plus en plus faible entre vie professionnelle et privée.

Réalisée auprès de 5000 salariés dans le monde dans 12 pays, dont 500 personnes interrogées en France, cette étude dessine quelques grandes tendances.

- Un temps de travail partagé entre bureau, domicile et déplacements 

Même si les salariés travaillent dans différents lieux, le bureau reste prédominent à leurs yeux. 97% des salariés travaillent au moins un minimum de temps au bureau. En moyenne, les employés des pays développés passent plus de temps au bureau que ceux des pays émergents, 32 heures par semaine pour les premiers contre 26 heures dans les pays émergents. Globalement, 35% des salariés disent travailler en moyenne 2 heures par semaine dans des lieux publics. Ils travaillent en extérieur 4 heures par semaine (chez un client par exemple) et chez eux 5 heures par semaine en moyenne, à rajouter aux 29 heures par semaine passées au bureau.

Au bureau, les distractions semblent être fréquentes. 76% ont l’impression de travailler mieux au bureau, pourtant 48% reconnaissent être fréquemment interrompus. 

- Télétravail ou bureau, où est-on le plus productif ?

Les avis sur le travail à domicile évoluent avec 52% des sondés qui pensent que ceux qui travaillent chez eux sont aussi productifs sinon plus productifs qu’au bureau. Il y a en outre des avantages manifestes à télétravailler : 30% des salariés interrogés dorment davantage, 40% conduisent moins et 46% se sentent moins stressés. Mais tout n’est pas rose : les télétravailleurs déplorent des distractions (du conjoint, des enfants, de parents, d’animaux domestiques), 20% reconnaissent faire moins d’exercice quand ils restent chez eux et 38% grignotent davantage.

- Le numérique favoriserait l’équilibre entre vie professionnelle et vie privée

Les innovations technologiques font que les salariés ont plus de liberté pour choisir leurs horaires et lieux où remplir leurs obligations professionnelles. A l’échelle internationale, 64% des salariés emportent au moins un peu de travail chez eux après leur journée au bureau. La frontière entre le travail et la vie privée s’estompe plus encore pour les dirigeants que pour les autres salariés. Ils disent utiliser plus fréquemment leurs terminaux personnels pour travailler que leurs collaborateurs (64% contre 37%), ils emportent les terminaux de l’entreprise chez eux pour leurs besoins personnels (45% contre 20%) et ils se connectent à des sites Web/des applications et des logiciels privés au travail (67% contre 49%).

Frédéric Simottel