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Les boutiques, sacrée épine dans le pied d'Orange et Bouygues

Parmi les nombreux casse-tête à résoudre, un des plus complexes est celui des boutiques.

Parmi les nombreux casse-tête à résoudre, un des plus complexes est celui des boutiques. - AFP

Alors que les deux opérateurs sont encore en discussion pour la fusion, ils vont devoir trouver une solution pour les 574 boutiques de Bouygues Telecom. Un réseau qui emploie plusieurs milliers de salariés et dont la fermeture pourrait s'avérer plus complexe que prévu. Explications.

Ce mercredi 24 février, Bouygues présente ses résultats annuels et fera un point sur les négociations de vente de sa filiale télécoms à Orange.

Parmi les nombreux casse-tête à résoudre, un des plus complexes est celui des boutiques. En effet, Bouygues Telecom comptait 574 boutiques à fin 2014, qui viendront s’ajouter au millier de boutiques Orange. L’un dans l’autre, le nouvel ensemble détiendra plus de 60% des boutiques des opérateurs de téléphonie mobile, et devra forcément en revendre. En effet, le nouvel ensemble n’aura pas besoin de tous ces magasins, sans compter qu’une telle position dominante ne passera pas sous les fourches caudines du gendarme de la concurrence.

Seulement voilà. Se débarrasser de boutiques est plus facile à dire qu’à faire. D’abord, la moitié des boutiques de Bouygues Telecom sont des succursales détenues en propre, c’est-à-dire que les 2.136 employés sont salariés de Bouygues Telecom –précisément de sa filiale à 100%, Réseau Clubs Bouygues Telecom. Des emplois très locaux et généralement peu qualifiés qu’il faut licencier en l'absence de repreneur. Il faut aussi résilier le bail. "Typiquement, les baux présentent des clauses de sortie uniquement tous les trois ans", explique un expert.

Le statut complexe des gérants mandataires

Mais la situation est plus complexe pour les boutiques non détenues en propre par Bouygues Telecom. On ne connait pas l'effectif concerné, mais il peut être estimé à au moins un millier de salariés si l'on en compte trois par boutique. La plupart de ces boutiques sont sous le statut de gérance mandat. "Avec ce statut, Bouygues Telecom est propriétaire du fonds de commerce et du chiffre d’affaires, mais, si la boutique vend peu, le risque commercial pèse sur le gérant mandataire et non sur Bouygues Telecom. Pour ce dernier, c’est un statut bien plus avantageux que l’emploi direct du salarié, ou que la franchise, où le franchisé reste propriétaire de son fonds de commerce et de son chiffre d’affaires", explique Me Marie-José Guedj, avocate de plusieurs gérants mandataires.

En août 2005, une loi est venue protéger les gérants mandataires. Désormais, si l’opérateur mobile veut mettre fin au contrat avec sa boutique, "il doit verser des indemnités qui s’élèvent au montant des commissions acquises ou à six mois de commission. Avant la loi, ces indemnités minimales n’existaient pas", explique Marie-José Guedj.

SFR a dû essuyer les plâtres

Avant la loi, le gérant mandataire avait toutefois un moyen de défense: menacer Bouygues Telecom d’un procès. Précisément, il pouvait demander à la justice de requalifier son contrat avec l’opérateur, et demander à être considéré comme un salarié de l’opérateur. Dès lors, il avait droit au paiement d’heures supplémentaires, à des indemnités de licenciement… C’est ce que plusieurs gérants mandataires ont fait avec succès. Les prud’hommes de Versailles leur ont donné raison en 2006, décision confirmée en 2007 par la cour d’appel de Versailles.

"Les gérants mandataires ont démontré facilement en justice l’existence d’un lien de subordination vis-à-vis de Bouygues Télécom, qui leur donnait des directives, pouvait les sanctionner, etc…", explique leur avocate Me Marie-José Guedj. Les gérants réclamaient 300.000 à 400.000 euros par boutique sur cinq ans.

Bouygues Telecom ne s’est pas pourvu en cassation, mais, sans doute échaudé par ces revers judiciaires, a ensuite cessé d’ouvrir des boutiques en gérance mandat pour préférer des boutiques en propre.

Bref, régler le problème des boutiques risque d'aboutir à une facture très salée. Au demeurant, ce problème a déjà été rencontré par SFR, qui a voulu réduire son nombre de boutiques ces dernières années. Dans son rapport annuel 2014, l’opérateur indique: "SFR fait face à des recours émanant de ses distributeurs et de façon quasi systématique de la part de ses anciens distributeurs. Ces contentieux récurrents s’articulent autour des notions de rupture brutale de la relation contractuelle, abus de dépendance économique et/ou demande de requalification en agent commercial, mais également et, plus récemment, autour de demandes de requalification du statut du gérant en contrat de gérant succursaliste, et de requalification en contrat SFR des salariés des points de vente. SFR, après avoir subi quatre arrêts défavorables de la Cour de Cassation quant au statut de gérant succursaliste, bénéficie de récents succès devant les différentes cours d’appel. Sur les volets requalifications des contrats de travail et commerciaux de ces litiges, hormis quelques rares exceptions, SFR bénéficie d’une jurisprudence favorable".

Jamal Henni et Frédéric Bianchi