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Les ex-responsables de Slate Afrique demandent son dépôt de bilan

Jean-Marie Colombani, président-fondateur de Slate France

Jean-Marie Colombani, président-fondateur de Slate France - François Guillot

L'ancien rédacteur en chef de cette filiale de Slate France, licencié en 2013, demande au tribunal de commerce la liquidation judiciaire du site.

Slate Afrique, la filiale de Slate France, va-t-elle déposer son bilan? Telle est la demande de son ancien rédacteur en chef, Pierre Cherruau, et de son adjoint Philippe Randrianarimana.

Le duo -licencié en janvier 2013- a demandé en mai au tribunal de commerce de Paris de placer Slate Afrique en liquidation judiciaire, en affirmant que le site est en cessation de paiements. Le 1er juin, le tribunal a jugé que les éléments fournis par le duo "sont insuffisants pour avoir la certitude d'un état de cessation de paiements", et a nommé un expert qui devait rendre un rapport fin juillet.

"Ce type est un escroc"

Pour mémoire, ce site consacré à l'actualité africaine a été lancé en 2011 par Slate France. Il était dirigé par Pierre Cherruau, ancien chef du service Afrique de Courrier international. Il utilisait aussi des pigistes, comme l'algérien Kamel Daoud ou le marocain Ali Amar. Il était notamment financé par Orange, qui a investi 652.000 euros pour prendre 34% du capital. Mais l'audience n'a pas décollé, rapportant à peine quelques milliers d'euros de chiffre d'affaires. En 2012, Slate France a tenté de trouver plus d'argent auprès d'investisseurs, notamment le marocain Géomedia, mais sans aboutir.

La crise éclate le 28 décembre 2012. Eric Leser, directeur général de la maison-mère Slate France, annonce dans un courriel à Pierre Cherruau et à son adjoint: "Ali Amar ne travaille plus pour Slate. Ce type est un escroc et nous aura coûté très cher en faisant fuir tous les partenaires marocains avec qui nous avons discuté. On aurait dû prendre cette décision plus tôt".

Liberté de ton

Pierre Cherruau critique alors cette décision, prise sans le consulter. Surtout, il pense qu'Ali Amar est en réalité remercié à cause de sa liberté de ton vis-à-vis du régime marocain, qu'il critique régulièrement. Le conflit s'ébruite. Dans un premier temps, Eric Leser prétend auprès du site Yabiladi ne pas avoir écrit la phrase "Ali Amar nous aura coûté très cher en faisant fuir tous les partenaires marocains avec qui nous avons discuté"... avant d'admettre en être bien l'auteur auprès de Médiapart.

Sur le fond, Eric Leser explique qu'Ali Amar reprend dans ses articles des éléments tirés de ses livres sans le signaler au lecteur -ce qu'Ali Amar dément. Eric Leser ajoute: "un certain nombre d’annonceurs nous ont dit: 'On ne vient pas chez vous en raison de la présence d’Ali Amar'. Mais on ne mélange pas le commercial et le rédactionnel. Slate Afrique est un site indépendant, et il n’y a aucune position politique inacceptable dans nos colonnes".

Ces explications n'ont pas totalement convaincu, notamment le site Demain Online, qui souligne que le président-fondateur de Slate France, Jean-Marie Colombani, anime une semaine sur deux une émission sur Médi 1, une radio marocaine détenue à 25,5% par la SNI, holding de la famille royale.

Difficultés économiques

Fin janvier 2013, Pierre Cherruau, et son adjoint Philippe Randrianarimana reçoivent une lettre de licenciement, officiellement pour raisons économiques. Cette lettre détaille les difficultés du site: "Slate Afrique se trouve aujourd'hui dans une situation économique et financière difficile. Les pertes, qui se sont montées lors de l'exercice 2011 à 602.102 euros se sont creusées au cours de l'exercice 2012. Par ailleurs, les performances n'ont pas été au rendez-vous. L'audience du site a stagné tout au long de l'année 2012 par rapport à 2011. Les visites et le nombre de visiteurs cumulés sont en recul en 2012 en regard des données 2011. De plus, les recettes commerciales n'ont pas atteint le niveau attendu et nécessaire à l'équilibre".

La lettre ajoute: "Un nouvel investisseur avait été sollicité pour entrer au capital à la fin de l'année 2012 et renflouer la société. Après avoir manifesté un grand intérêt, ce dernier a finalement décliné sa proposition le 21 décembre 2012. Nous sommes donc contraints de réduire de façon drastique ses coûts de fonctionnements. Le principal actionnaire, Slate France (à 66%) est par ailleurs affecté de difficultés économiques du même ordre".

Parallèlement, le site est repositionné, privilégiant désormais l'agrégation de contenus tiers. Sur le site, la direction justifie ainsi cette évolution: "c'est la conséquence des difficultés économiques que traverse Slate Afrique, et aussi de la difficulté de Pierre Cherruau à passer de la presse écrite à celle d'internet et à faire fonctionner harmonieusement sa rédaction. Certains préfèrent détruire leur jouet plutôt que de le voir en d'autres mains".

Licenciement sans cause réelle ni sérieuse

Pierre Cherruau et Philippe Randrianarimana contestent alors leur licenciement aux prud'hommes, qui les déboutent en mars 2015. Ils font alors appel, avec succès. Pour la cour d'appel, "le motif premier du licenciement est la divergence d'avis qui opposait Pierre Cherruau à la direction de Slate Afrique sur l'exclusion d'Ali Amar. Le licenciement est donc fondé sur un motif personnel" et non économique. Pour les juges, "les véritables motifs du licenciement de Pierre Cherruau figurent [dans le texte publié sur le site mais] pas dans la lettre de licenciement, ce qui prive le licenciement de cause réelle et sérieuse".

La cour d'appel accorde 45.000 euros à Pierre Cherruau (qui demandait le double) et 20.000 euros à Philippe Randrianarimana (qui réclamait 52.000 euros) pour "rupture abusive du contrat de travail". En revanche, la cour juge que leur licenciement n'a pas été effectué dans des conditions vexatoires. On ne sait pas si le duo a finalement reçu ou pas ces indemnités. Mais si Slate Afrique leur doit toujours de l'argent, cela pourrait expliquer leur demande de dépôt de bilan...

Contactés, Slate, Pierre Cherruau, Philippe Randrianarimana, leur avocat Michel Henry, et Ali Amar n'ont pas répondu.

Mise à jour le 7 septembre: Michel Henry nous indique: "MM. Cherruau et Randrianarimana ont assigné Slate Afrique en liquidation judiciaire car toutes les tentatives pour obtenir le paiement, y compris de multiples saisies bancaires, ne parvenaient pas à contraindre Slate Afrique de payer les sommes auxquelles Slate Afrique avait été condamnée. Sous la menace d’une mise en liquidation judiciaire, Slate Afrique a fini par exécuter totalement les condamnations qui avaient été mises à sa charge par la cour d’appel".

Les levées de fonds de Slate

Novembre 2008
63.000 euros auprès des fondateurs (1 euro par action)

Février 2009
100.000 euros auprès des fondateurs (27 euros par action)

Mai 2009
200.000 euros auprès de Pierre Leroy (27 euros par action)
900.000 euros auprès de Slate Group (27 euros par action)
1,5 million auprès de Financière Viveris (37,57 euros par action)

Décembre 2011
180.000 euros auprès de BNP Paribas Développement (15,28 euros par action)
720.000 euros en obligations convertibles auprès de BNP Paribas Développement (à 5% par an, convertibles fin 2018)

2012
652.000 euros auprès d'Orange contre 34% du capital de Slate Afrique

Décembre 2012
300.000 euros auprès de LVMH (51,25 euros par action)
40.000 euros auprès de BNP Paribas Developpement (51,25 euros par action)
160.000 euros d'obligations convertibles auprès de BNP Paribas Développement (à 5% par an, échéance fin 2018)

Juin 2013
1,5 million auprès de Financière Viveris (38,57 euros par action)
100.000 euros auprès de Philippe Tesson (38,57 euros par action)

Janvier 2014
247.000 euros auprès de Jean-Cyril Spinetta, Philippe Tesson, Eric Le Boucher, Jacques Attali et BNP Paribas Développement (51,25 euros par action)

Septembre 2014
350.000 euros auprès BNP Paribas Développement, Pierre Leroy, Bernard Duc, Michel de Rosen, Jean-Pascal Beaufret, Alain Minc, Fabrice Larue, Cabinet Ricol Lasteyrie, Stéphane Boujnah, Michel Vigier, Dominique d'Hinnin et Philippe Tillous-Borde (16,02 euros par action)

Novembre 2014
158.000 euros auprès de Financière Viveris (16,02 euros par action)

Mars 2015
1,5 million d'euros d'obligations convertibles auprès de Benjamin de Rothschild (à 12% par an), converties en octobre 2015 (correspondant à 13,65 euros par action)

Octobre 2015
1,5 million d'euros d'obligations convertibles auprès de Benjamin de Rothschild (1,35 million) et BNP Paribas Développement (à 12% par an, échéance octobre 2017), finalement converties par anticipation à la demande de Slate en juin 2016

Juin 2016
500.000 euros auprès de Benjamin de Rothschild (470.000 euros) et BNP Paribas (13,65 euros par action)

Juin 2017
1,15 million d'euros auprès de Benjamin de Rothschild (8,5 euros par action)

A venir
2x500.000 euros auprès de Benjamin de Rothschild (8,5 euros par action)

Les résultats de Slate (en millions d'euros)

Slate France

Actionnaires
Benjamin de Rothschild, Washington Post, Financière Vivéris, LVMH, fondateurs (Jean-Marie Colombani, Eric Le Boucher, Jacques Attali, Eric Leser), salariés (Claire Blandin, Jean-Marie Pottier, Mélissa Bounoua, François Pottier, Pierre Toubin), personnalités (René Ricol, Alain Minc, Stéphane Boujnah, Fabrice Larue, Dominique d'Hinnin, Pierre Leroy, Jean-Cyril Spinetta, Michel de Rosen, Jean-Pascal Beaufret, Philippe Tillous-Borde, Philippe Tesson, Michel Vigier, Bernard Duc)

Chiffre d'affaires
2009: 0,4
2010: 0,5
2011: 1,2
2012: 1,5
2013: 1,3
2014: nc
2015: 0,93

Résultat net
2009: -0,9
2010: -1,1
2011: -0,8
2012: -1,3
2013: -1,1
2014: nc
2015: -1,9
2016: -2,6

Slate Afrique
Actionnaires
Slate France (66%), Orange (34%)

Chiffre d'affaires
2011: 0,004
2012: 0,009
2013: nc
2014: nc
2015: 0,005
2016: 0,011

Résultat net
2011: -0,6
2012: -0,74
2013: nc
2014: nc
2015: -0,05
2016: -0,14

Source: comptes sociaux

Benjamin de Rothschild monte à 57% dans Slate France

Comme l'a révélé Libération, Benjamin de Rothschild vient de monter au capital de Slate France. Le baron installé en Suisse a apporté 1,15 million d'euros supplémentaires, passant ainsi de 46% à 57% du capital. Il est d'ores et déjà prévu qu'il apporte un million d'euros supplémentaires en deux étapes, ce qui le portera à 63% du capital. Depuis 2015, il avait déjà investi 3,3 millions d'euros, investissement qu'il a déprécié à zéro.

A cette occasion, Slate France est devenue une société à conseil d'administration, au lieu d'une société à directoire et conseil de surveillance. Benjamin de Rothschild détient deux sièges d'administrateurs sur sept. Mais les pouvoirs des actionnaires minoritaires ont été réduits. Désormais, les décisions importantes (budget, nomination ou la révocation du président ou du directeur général...) nécessitent seulement la majorité des voix au conseil d'administration, au lieu d'une majorité des quatre cinquièmes auparavant.

Ce renflouement se fait sur une valorisation inférieure aux précédentes (cf encadré ci dessous) et est dû aux difficultés financières du site. En 2016, les pertes se sont encore creusées de 35%, pour atteindre 2,6 millions d'euros. Et les capitaux propres sont devenus négatifs à hauteur de 1,4 million d'euros.

Jamal Henni et Simon Tenenbaum