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Les rapports tumultueux de Johnny avec son producteur historique 

Johnny a connu seulement trois maisons de disques dans sa carrière

Johnny a connu seulement trois maisons de disques dans sa carrière - AFP Fred Payet

En 2004, le chanteur quitte avec fracas Universal Music, son producteur depuis 43 ans. Le contentieux, financier, finira aux prud'hommes.

Le 16 janvier 1960, Johnny Hallyday signe son premier contrat avec une maison de disques: Vogue. Deux mois après, sort son premier album, un super 45 tours, T'aimer follement, qui fait un bide. Heureusement, la chanson suivante, Souvenirs souvenirs, est un succès. Mais l'idole des jeunes se fâche avec Vogue, et signe en juillet 1961 chez Philips. Durant les 43 ans qui suivent, il publiera 43 albums chez cette maison de disques, qui sera rachetée successivement par Phonogram, Polygram et enfin Universal Music. Il cède même à sa maison de disques la marque "Johnny Hallyday" ou le site internet à son nom.

Entre 1978 et 1996, Universal lui accorde même des prêts, à des taux allant de 4% à 9,5%, pour un total de plus de 15 millions d'euros: par exemple 4,7 millions d'euros pour acheter un yacht, ou 4,9 millions pour acheter sa maison à Marnes-la-Coquette où il est décédé.

Un million d'euros par album

"Universal ne gagne pas énormément sur les albums en studio de Johnny Hallyday, mais ses concerts constituent une bonne affaire. La politique de la maison repose sur une tournée par album studio, et un album live par tournée", écrira plus tard le patron d'Universal en France, Pascal Nègre.

Le 9 décembre 2002, le chanteur signe son troisième contrat avec la filiale de Vivendi. Ce contrat prévoit la réalisation de six albums. Il stipule que le chanteur recevra une avance d'un million d'euros par album en studio et de 500.000 euros par album live. En outre, à partir de 2,5 millions d'exemplaires vendus, il doit toucher une redevance de 25% sur les ventes de nouveaux albums, et de 7% à 8% sur les chansons existantes (contre 17% à 18% dans le contrat précédent). Le contrat stipule aussi que Johnny devra rembourser ses dettes restantes vis-à-vis de la major (448.161 euros) avant fin 2015, ce qui sera fait. 

Toutefois, dès juillet 2003, Johnny demande à renégocier le contrat. Mais la maison de disques refuse. Le chanteur démissionne et ne demande à enregistrer qu'un album au lieu de six, ce que Universal accepte.

Sous la contrainte

Entre temps, en novembre 2003, Johnny porte plainte aux prud'hommes, accusant Universal de "dol, violences morales, taux usuraires et exercice illicite de l'activité de banquier". Il réclame 55 millions d'euros de dommages et l'interdiction de commercialiser ses chansons. Johnny explique aux juges avoir signé son contrat pour de nouveaux albums à cause des dettes qu'il avait contractées vis-à-vis d'Universal. Son argumentaire est très étayé:

"Les nouveaux emprunts ont été consentis par Universal contre de nouvelles prolongations de durée contractuelle et des albums supplémentaires à enregistrer. Ainsi, les avenants [aux contrats] sont accolés à des opérations de prêts et de crédits. C'est un mélange de contrat de travail et de contrat de crédit, amenant Johnny Hallyday à se dessaisir de son patrimoine mobilier ou immobilier: cession de parts de société, de la nue-propriété de ses deux biens immobiliers [Ndlr: sa maison à Ramatuelle et son hôtel particulier dans le 16ème arrondissement de Paris], avantages consentis à la société tels que droits merchandising, nom, image et marque Johnny Hallyday, site internet... En contrepartie des emprunts, Johnny Hallyday a concédé à Universal des albums supplémentaires, dont les redevances ont été affectées au remboursement des sommes dues à Universal, jusqu'à concurrence de 90% des rémunérations. Cette situation a créé chez Johnny Hallyday un véritable état de dépendance économique. Quasiment privé de redevances, Johnny Hallyday a dû recourir à de nouveaux emprunts qui lui ont été consentis par Universal contre de nouvelles prolongations de durées contractuelles et des albums supplémentaires à enregistrer au profit de la maison de disques, ainsi que des avantages exorbitants consentis à Universal".

Johnny affirme donc que c'est sous la contrainte qu'il a accepté un prix "vil et dérisoire", et une baisse "brutale et gravement spoliatoire" pour les redevances sur les chansons existantes, qui représentent une poule aux oeufs d'or (11 millions d'euros engrangés par Universal pour la seule année 2013).

Devant les prud'hommes, Universal rétorque avoir versé à l'artiste 46,8 millions d'euros au chanteur depuis 1985 (37 millions pour les disques, 9,6 millions pour le merchandising et la publicité), soit plus que ce qu'a gagné la maison de disques. Quant aux prêts, Universal ajoute:

"être toujours intervenue à la demande pressante de l'artiste afin de résoudre ses problèmes financiers et fiscaux qui, s'ils ne l'avaient pas été, auraient compromis sa carrière. Universal est intervenue soit parce que l'artiste était, de son fait, dans une situation financière dramatique dont personne, sauf Universal, n'avait le pouvoir ou la volonté de le sortir; soit parce que l'artiste avait des exigences que personne, sauf Universal, n'avait le pouvoir ou la volonté d'exaucer. Johnny Hallyday était confronté à une situation financière dramatique, qui avait des dettes d'un montant gigantesque, ses immeubles hypothéqués, ses redevances saisies, alors qu'aucun établissement bancaire n'aurait envisagé de lui faire crédit."

Ainsi, "le prêt de 1978 était destiné à apurer les dettes fiscales de l'artiste incluant une part importante de pénalités, ce qui révèle que l'administration fiscale avait pratiqué une saisie sur les redevances de Johnny Hallyday au motif qu'il n'avait pas payé ses impôts", assure la maison de disques (le fisc réclamait plus de 15 millions d'euros d'arriérés).

De même, en 1992, l'avocat de Johnny réclame un prêt à la major un assurant: "la situation est explosive. C'est d'un sauvetage qu'il s'agit".

Départ pour Warner

Le 2 août 2004, les prud'hommes donnent raison à Johnny sur un point (la restitution par Universal des bandes mères) et ordonnent une expertise sur le reste des demandes. Furieux, Universal fait appel, avec succès: la cour estime que Universal "reste propriétaire des matrices en tant que producteur". Johnny se pourvoit en cassation, mais en vain. 

Après avoir sorti un dernier album chez Universal en novembre 2005 (Ma vérité), le chanteur change de crèmerie et signe chez Warner, à des conditions similaires à celles dont il disposait chez Universal: un million d'euros pour chaque nouveau disque en studio, plus 25% de redevances. A ce jour, six albums sont sortis. Le dernier, De l'amour, est paru en novembre 2015.

Jamal Henni