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Les syndicats peuvent-ils encore bloquer la réforme de la SNCF?

Un salarié de la SNCF en grève en mai 2016.

Un salarié de la SNCF en grève en mai 2016. - JEAN-SEBASTIEN EVRARD / AFP

Après la divulgation de l’explosif rapport Spinetta, les syndicats représentatifs de la SNCF ont rendez-vous ce lundi au ministère des Transports. Le bras de fer débute tout juste. Dos au mur, les cheminots feront-ils tout pour bloquer la réforme?

Les discussions commencent cette semaine, et elles n’en sont qu’au stade de la concertation. Mais le contenu du rapport Spinetta ouvre grand la voie à un bras de fer à trois entre la direction de la SNCF, les syndicats et le gouvernement. "Ce rapport démontre sans ambiguïté la nécessité et l’urgence d’engager sans tarder une refondation complète de notre système ferroviaire", a fait savoir Matignon. "Par le passé, de nombreux rapports ont fini dans les archives des ministères. Il reste encore de la place dans les armoires et les étagères", a réagi la CGT-Cheminots.

Les pistes étant brûlantes (transformation de la SNCF en société anonyme, remise en cause du statut des cheminots, fermeture de certaines lignes…), les discussions devraient forcément l’être aussi au moment d’attaquer les négociations. Alors que les ordonnances sur la loi travail du début de l’automne n’ont pas provoqué de crise sociale majeure, peut-il en être autrement pour le dossier SNCF? Dit autrement: quelle est la marge de manœuvre des syndicats de cheminots face au gouvernement? Eléments de réponse avec Dominique Andolfatto, chercheur en science politique, spécialiste du syndicalisme.

  • Les moyens d’action: "Avant toute négociation, souvent, on lance un mouvement"

Les quatre syndicats majoritaires seront reçus lundi au ministère des Transports. La CGT-Cheminots a déjà appelé à une journée nationale de manifestation et de grève pour le 22 mars prochain, à Paris. Elle a déjà annoncé qu’elle "mettrait tout en œuvre afin d’envisager un autre avenir pour le service public ferroviaire que celui tracé par la direction de la SNCF et le gouvernement". Au gouvernement comme chez les syndicats, tout le monde a encore en tête les manifestations contre les ordonnances de la loi travail de l’automne dernier qui n’avaient jamais pu déboucher sur une mobilisation massive.

"Les ordonnances concernaient tous les travailleurs, tout le secteur privé, où les syndicats sont peu implantés. Là, la réforme cible une entreprise. Les cheminots ne vont pas rester sans réaction. C’est un dossier pour le gouvernement qui est plus délicat que la réforme des ordonnances. À la SNCF, il y a une curieuse pratique des négociations sociales. Avant toute négociation, avant même de discuter, souvent, on lance un mouvement. On ne négocie pas à froid, ou rarement. On y va en force, on compte les troupes, et après en fonction de ce premier rapport de force, on va faire un premier tout de table.
Mais il y a aussi une recomposition sociologique en cours. Les syndicats fidélisaient surtout le personnel d’exécution. Maintenant, il y a de plus en plus d’agents de maîtrise, de cadres, qui, eux, sont beaucoup plus neutres. Pour se mettre en ordre de bataille ce n’est pas si aisé que ça, même si on estime qu’il y a entre 2500 et 3000 permanents payés par la SNCF et qui sont détachés de leur emploi pour ne se consacrer qu’à des tâches syndicales. C’est considérable: ils ont des ressources, des moyens".
  • La réalité en interne: "Ce n’est plus le bastion que c’était autrefois"

Pour arriver en position de force à la table des négociations, les quatre grands syndicats de la SNCF (CGT, Unsa, Sud, CFDT) devront savoir faire front commun pour une mobilisation maximale. Contrairement à l’automne dernier... Pour le moment, tout le monde a l’air sur la même ligne. Les réformes envisagées sont "inacceptables" pour la CGT, "une ligne rouge" pour la CFDT, "un drapeau rouge" pour l’Unsa, alors que Sud-Rail est "indigné". En interne, la réalité en interne est plus contrastée.

"Les syndicats restent bien implantés à la SNCF, même si ce n’est plus le bastion qu'elle était autrefois. Le taux de syndicalisation tourne autour de 20%, alors qu’en France il est plutôt autour de 7 ou 8%. Dans le privé on est même plus près de 5%. Le premier syndicat est la CGT, qui revendique officiellement un peu plus de 20.000 adhérents. L’autre syndicat le plus radical, le plus hostile à tout changement, c’est Sud-Rail (3e aux élections professionnelles de 2014 derrière l’Unsa, ndlr). Ils ont quand même évolué et sont devenus un peu plus réalistes qu’autrefois. Pour ce qui concerne SUD et la CGT, il y a une certaine rivalité: il peut y avoir une surenchère contre certains changements entre les deux à l’approche des élections professionnelles (qui auront lieu en novembre, ndlr).
Ensuite il y a deux organisations qui sont plus dans la négociation, qui signent des accords: l'Unsa et la CFDT. Ce sont des syndicats avant tout électoraux. Ils ont une certaine audience aux élections professionnelles, mais avec des effectifs plus réduits sur le terrain. Il y en a même un cinquième, FO, qui peut avoir une certaine influence dans certaines régions".
  • Le rapport au gouvernement: "Les syndicats sont dos au mur, mais pas hostiles à des évolutions"

Les premiers contacts officiels avec le gouvernement sur le sujet sont donc prévus lundi. Les syndicats, mais aussi la direction de la SNCF, des régions et des associations d’usagers seront reçus par Elisabeth Borne au ministère des Transports pour "recueillir leur réaction suite à ce rapport". C’est à l’issue de cette première phase que seront précisés les thèmes abordés et la méthode de concertation.

"On dit que s’il n’y a pas eu trop de manifestations à l’automne, c’est parce que Macron avait marabouté les syndicalistes, qu’il avait déployé son charme, qu’il avait expliqué, convaincu. Les syndicats ne vont pas s’arc-bouter pour s’arc-bouter, et ils ont des arguments qui méritent d’être entendus. Peut-être que le gouvernement, pour qui ce n’est pas gagné d’avance, met le maximum dans le rapport, pour faire une réforme un peu plus douce. Il peut se montrer bon prince, compréhensif. Quant aux syndicats, ils sont un peu le dos au mur. Mais je pense qu’ils ne sont pas hostiles à des évolutions. Ils ont une réflexion économique qui s’est aiguisée. Ils ne s’opposent pas que pour s’opposer. Ils sont conscients que leur entreprise doit évoluer. Ils s’attendaient à ce que ce couperet arrive. Maintenant, c’est un peu l’heure de vérité".
  • La réaction de l’opinion publique: "Si le mouvement ne dure pas trop, il pourrait même y avoir une certaine sympathie"

On n’en est encore loin. Mais un mouvement social à la SNCF peut difficilement tenir longtemps si l’opinion publique n’y est pas favorable. La menace de grève, à peine voilée, peut en effet se retourner contre les syndicats: les usagers se lasseraient très vite d’un mouvement long.

"L’image des syndicats est un peu paradoxale, tant celle des plus réformistes que celle des plus radicaux. On perçoit les syndicats comme des empêcheurs de tourner en rond, des gens qui vont bloquer, qui ne veulent pas accomplir les mutations nécessaires. Et on cible souvent les syndicats de cheminots. Cela étant, quand on affine, il y a pas mal de salariés qui finissent par se dire que c’est aussi un contre-pouvoir dans l’entreprise. Le jugement a priori est plutôt négatif, notamment à la SNCF, parce qu’on considère qu’ils sont la cause de beaucoup de perturbations, mais les Français sont aussi compréhensifs. J’imagine assez bien que si le mouvement ne dure pas trop, il pourrait même y avoir une certaine sympathie".
Antoine Maes