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Les tournages étrangers en France de plus en plus subventionnés

"Bekfikre", film indien tourné entièrement en France en 2016

"Bekfikre", film indien tourné entièrement en France en 2016 - Yash Raj

Le nombre de tournages étrangers dans l'Hexagone a reculé ces dernières années malgré des subventions de plus en plus importantes.

Joël Giraud, rapporteur général de la commission des finances à l'Assemblée nationale, a dans son collimateur les niches fiscales en faveur de la culture. "Il est étonnant que ces dispositifs aient tellement augmenté ces dernières années, je veux m'assurer que ces dépenses sont réellement efficaces", a déclaré le député LaREM au Figaro. Dans son collimateur, les réductions d'impôt accordées au cinéma et à l'audiovisuel, passés de 143 à 321 millions d'euros depuis 2012.

Immédiatement, la présidente du CNC (Centre national du cinéma) Frédérique Bredin est montée au créneau pour défendre ces subventions. "Leurs résultats sont immédiats et spectaculaires, leur effet est incroyablement positif", a-t-elle martelé lors d'un point presse mardi 27 mars. En particulier, "les retombées touristiques sont considérables", a-t-elle ajouté, citant l'exemple du film indien Tamasha tourné à Bastia. "Depuis, la Corse est devenue un des premiers lieux de visite pour les Indiens". Plus précisément, l'Institut français en Inde estime que le nombre de touristes indiens en Corse a augmenté de 30% depuis le film. Le CNC cite aussi une étude de l'Ifop datant de 2004, selon laquelle voir un film dont l’action se situe en France joue, pour 60% des touristes étrangers en France, un rôle important dans leur choix.

"Un dispositif pertinent et efficace"

Précisément, la France a introduit en 2009 une subvention pour les tournages étrangers, qui prend la forme d'un crédit d'impôt accordé au producteur exécutif. Mission: impossible -fallout de Christopher McQuarrie, Sherlock Holmes 2 de Guy Ritchie, Thor d’Alan Taylor, Midnight in Paris de Woody Allen, Dunkerque et Inception de Christopher Nolan figurent parmi les films ayant bénéficié de cette subvention.

Depuis, le nombre de jours de tournage de films étrangers a doublé en moyenne, selon une étude du cabinet EY pour le CNC portant sur la période 2009-2013. De même, la Cour des comptes l'a qualifié de "dispositif pertinent et efficace":

"Le territoire français tendait plutôt à perdre de l'attractivité pour les productions internationales avant 2009. Au cours de la décennie 2000, plusieurs films étrangers comportant des scènes supposées se dérouler en France se sont ainsi tournés à l’étranger: Munich (à Budapest), Inglorious Bastards (en Allemagne) et GI Joe (en République tchèque).
Après avoir connu ce recul régulier, l'implantation en France des activités de tournage et de postproduction a augmenté de manière rapide.
Les effets du crédit d'impôt ont été particulièrement notables dans le domaine de l'animation. Les studios Universal se sont ainsi implantés en France en 2009 pour externaliser la production de leurs principaux films d’animation: Moi, moche et méchant 1 et 2, le Lorax, la série Minions ont été réalisés par des prestataires techniques majoritairement français, sous la conduite de la société MacGuff (producteur exécutif)"

Une subvention disproportionnée

Toutefois, plusieurs bémols sont à apporter. D'abord, la subvention maximale accordée n'a cessé d'augmenter. Initialement de 4 millions d'euros, elle est passée à 10 millions début 2013, puis à 20 millions début 2014, et enfin 30 millions d'euros début 2016. Parallèlement, la part des dépenses remboursables a aussi augmenté: initialement de 20% des dépenses effectuées en France, elle a été portée à 30% début 2016.

Résultat: "pour atteindre le plafond, il faudrait attirer 100 millions d'euros de dépenses par film sur le territoire, ce qui peut paraître irréaliste", pointait le rapport de René Bonnell. Même son de cloche pour la Cour des comptes, qui recommandait de ramener le plafond à 10 millions d'euros:

"L’extension des dépenses éligibles, et le passage du plafond à 20 millions d'euros sont manifestement disproportionnés au regard de trois critères principaux: le nombre de films potentiellement concernés (16 en 2012), l’effet escompté d’une hausse du plafond sur l’attractivité de la France, et l’existence en parallèle d’aides territoriales à la localisation de tournages en France très dynamiques"

Un drogué qui réclame des doses plus importantes

Bien que la subvention soit de plus en plus importante, cela est toujours jugé insuffisant par certains producteurs, qui continuent à tourner hors de l'Hexagone des films dont l'action se situent en France. Ainsi, X Men: days of future past, a été tourné en 2013 au Canada, bien qu'un quart du film se situe dans l'Hexagone...

Surtout, après avoir grimpé après l'introduction de la subvention, les tournages étrangers en France ont à nouveau reculé, à la fois en nombre de jours de tournages, en nombre de films et en subventions effectivement accordées (cf encadré ci-dessous). Ce qui a donc conduit à augmenter à nouveau les subventions plusieurs fois. Bref, le producteur étranger se comporte comme un drogué à la subvention qui réclame des doses toujours plus importantes...

L'explication est simple: les autres pays proposent aussi des subventions généreuses, et la France doit donc participer à cette fuite en avant si elle veut rester dans la course. Pour le CNC:

"Le dispositif a été renforcé suite au constat de son manque d’attractivité face aux principaux dispositifs étrangers. A titre d’exemple, les crédits d’impôt mis en place au Royaume Uni ne sont pas plafonnés, afin d’attirer sur son territoire les tournages des superproductions américaines pouvant atteindre plusieurs centaines de millions d’euros de dépenses pour une même œuvre".

La Cour des comptes déplorait dans son rapport "une course au mieux-disant fiscal" en Europe, chaque pays y allant de son incitation particulière pour attirer les tournages. Mais "cette surenchère n'est pas soutenable sur le long terme. De surcroît, elle ne permettra jamais de compenser les écarts de coûts avec les pays où les charges sociales sont beaucoup plus faibles".

De son côté, Film France indique que les longs métrages de fiction pour le cinéma ne représentent qu'une partie des tournages étrangers. En effet, il faut y ajouter les films d'animation (qui représentent un tiers des projets ayant obtenu un crédit d'impôt et la moitié des dépenses prévisionnelles), et les tournages pour la télévision ou le web (qui représentent 65% des projets ayant obtenu un crédit d'impôt et 60% des dépenses prévisionnelles).

Les tournages de longs métrages étrangers en France

Nombre de films
2007: 49
2008: 54
2009: 31
2010: 59
2011: 59
2012: 50
2013: 40
2014: 43 dont Etats-Unis 8 Chine 2 Inde 2
2015: 29 dont Etats-Unis 6 Chine 2 Inde 2
2016: 34 dont Etats-Unis 7 Chine 4 Inde 3
2017: 42 dont Etats-Unis 8 Chine 1 Inde 3

Nombre de jours de tournage (avec et sans subvention)
2007: 312
2008: 336
2009: 264
2010: 600
2011: 352
2012: 442
2013: 402
2014: 534 dont 310 sans subvention (58%)
2015: 341 dont 174 sans subvention (51%)
2016: 323 dont 126 sans subvention (39%)
2017: 527 dont 232 sans subvention (44%)

Montant de la dépense fiscale du crédit d'impôt (en millions d'euros)
2010: 4
2011: 4
2012: 9
2013: 2
2014: 20
2015: 12
2016: 19
2017: 40 (budgeté)
2018: 46 (budgeté)

Source: Film France, Bercy

Jamal Henni