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L'histoire secrète de la Cité du cinéma de Luc Besson

La Cité du cinéma

La Cité du cinéma - -

Situé à Saint-Denis, ce vaste complexe rassemble studios de tournage et école de cinéma. Il est enfin inauguré ce vendredi... mais sans ministre socialiste.

"J'en parlais depuis 2000...", se souvient Luc Besson. Après deux ans de travaux, la Cité du cinéma imaginée par le réalisateur est enfin inaugurée ce vendredi 21 septembre. Ce vaste complexe de 62 000 mètres carrés situé à Saint-Denis comprend neuf studios de tournage, deux écoles de cinéma et des bureaux, dans lesquels s'est déjà installé EuropaCorp, le studio de Luc Besson.

Toutefois, la fête ne sera pas parfaite. Selon Le Figaro, la nouvelle ministre de la Culture, Aurélie Filippetti, boudera la cérémonie. Autre absent: le ministre du redressement productif Arnaud Montebourg, qui avait pourtant accordé un rendez-vous fin juillet à Luc Besson, indique sa porte-parole. Le seul politique annoncé sur le carton d'invitation est Patrick Braouezec, le président de la communauté d'agglomération, qui a perdu son siège de député en juin...

Assurément, Luc Besson était bien mieux traité par la droite. Un aéropage de ministres était d'ailleurs venu lors du lancement du chantier en juin 2009 (Christine Albanel, Valérie Pécresse, Christian Blanc), puis pour célébrer la fin des travaux en janvier 2012 (François Fillon, Frédéric Mitterrand, Maurice Leroy).

Un projet soutenu par toute la Sarkozie

On peut supposer que le nouveau pouvoir ne souhaite guère être associé à un projet qui a été soutenu à bout de bras par toute la Sarkozie. Luc Besson en convenait lui-même en 2009: "Je suis allé voir Claude Guéant, qui a dit que le projet était formidable, et a utilisé son influence pour que les choses soient plus faciles. Nicolas Sarkozy était aussi très favorable".

"C'est l'Elysée qui a sauvé la Cité", abonde un de ses artisans. Car ce projet était très mal engagé. Le problème est qu'il coûte une fortune: 165 millions d'euros. Or Luc Besson, déjà très endetté, n'avait ni l'envie, ni les moyens de le financer. Finalement, il n'a apporté que 3% du budget... Depuis le départ, le réalisateur a cherché des investisseurs extérieurs. Il alla voir la Caisse des dépôts, qui refusa par deux fois le projet. Puis les Caisses d'Epargne, actionnaires d'Europa Corp, se diront un temps intéressées, puis jetteront l'éponge.

En 2007, le réalisateur de Nikita rencontre celui qui va sauver le projet: Christophe Lambert, publicitaire controversé, qui a travaillé pour la campagne présidentielle de Nicolas Sarkozy, et est en train de se fâcher avec ses deux associés au sein de l'agence du pub FFL. Fin 2008, les deux hommes se lancent dans un projet commun: ils créent une nouvelle agence baptisée Blue Advertainment, qui travaillera notamment pour... l'UMP.

Rebelote en mai 2010: le réalisateur embauche Emmanuelle Mignon, qui vient de démissionner de son poste de secrétaire générale de l'Elysée, visiblement fâchée avec Claude Guéant, et qui cherche à partir dans le privé. Mais Christophe Lambert nous assure: "Emmanuelle Mignon ne s'est jamais mêlée de la Cité ni de près ni de loin. Je ne lui ai jamais parlé de la Cité lorsqu'elle était en poste à l'Elysée". Et la commission de déontologie des fonctionnaires, consultée sur l'arrivée d'Emmanuelle Mignon chez Luc Besson, n’a soulevé aucune objection. Toutefois, au sein d’Europa Corp, beaucoup restent persuadés que le recrutement d'Emmanuelle Mignon est un renvoi d’ascenseur à Claude Guéant, qui voulait s’en débarrasser... (Emmanuelle Mignon quittera Europa Corp début 2012 pour travailler sur la campagne présidentielle).

Une conjonction de bonnes fées

En revanche, Christophe Lambert revendique fièrement d'avoir débloqué le projet et d'avoir présente Luc Besson à toute la Sarkozie, à commencer par le président lui-même.

Résultat: le financement se débloque miraculeusement. Certes, Claude Guéant explique d'emblée au réalisateur qu'un investissement direct de l'Etat dans le projet ne passera jamais auprès de Bruxelles, comme le réalisateur l'a raconté en 2009. Mais toute une autre série de leviers sont activés. D'abord, le gouvernement décide de transférer à Saint Denis l'école de cinéma Louis Lumière.

Ensuite, lorsque les banques rechignent à financer le projet, le médiateur du crédit -plutôt censé s'occuper des PME- leur tire les oreilles... Finalement, toutes les banques françaises (Société Générale, BNP Paribas, Crédit Agricole, Crédit Mutuel CIC, Natixis, Dexia et Oséo) accepteront de se partager la tâche, en se répartissant le risque à parts égales. "Suite à l'intervention du médiateur, la durée du prêt a été allongée à 15 ans, et son montant a été augmenté à 84 millions d'euros", dit un des artisans du projet.

Mais c'est surtout le soutien de la Caisse des dépôts qui se révèle décisif. Pourquoi la banque publique a-t-elle finalement acepté le projet, après l'avoir refusé deux fois? Son directeur général de l'époque, Augustin de Romanet, explique dans Le Nouvel Obervateur avoir reçu un coup de fil de Claude Guéant. Au sein de la banque, on raconte: "A l'origine, Luc Besson voulait lier le financement des bureaux et des studios. Nous avions alors refusé en 2003-2004, car nous ne voulions pas assumer le risque de gestion des studios. Finalement, Besson a accepté de séparer les deux, et la Caisse n'a financé que les bureaux. En outre, le projet n'a pas été financé uniquement sur nos fonds propres, mais à 60% par des crédits bancaires. Certes, il y a en général plus de crédits bancaires (70%), mais ce projet était difficile à monter".

Le titre de l'encadré ici

|||Une Cité difficile à remplir

"La Cité sera pleine à la rentrée", assurait le 29 juin Christophe Lambert, directeur général d'EuropaCorp. Pour l'instant, seule une poignée de locataires officiels sont connus. Trois sociétés ont décidé d'y installer leurs bureaux: EuropaCorp (qui occupe 6000 m² et a déménagé début août), Kissman Productions (société de Djamel Debbouze) et TVous (future chaîne TNT de Pascal Houzelot). Christophe Lambert a aussi annoncé un laboratoire et une autre chaîne de télévision, mais sans donner leurs noms. Deux écoles ont pris leurs quartiers: Louis Lumière et l'Ecole de la cité (nouvelle école gratuite proposée par Luc Besson aux 18-25 ans). Enfin, les neuf plateaux de cinéma ont été livrés en avril. Mais seulement deux films sont annoncés: Les Schtroumpfs 2 (un mois de tournage) et Malavita de Luc Besson himself (un mois et demi). Certains plateaux ont d'ores-et-déjà été aménagés afin de pouvoir servir au tournage d'émissions de télévision.

Jamal Henni