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Mathieu Gallet démis de son poste de PDG de Radio France

Le gendarme de l'audiovisuel a démis le PDG après sa condamnation à un an de prison avec sursis et 20.000 euros d’amende pour "favoritisme".

Le gendarme de l'audiovisuel a enfin pris sa décision. Mercredi 31 janvier, le CSA (Conseil supérieur de l'audiovisuel) a décidé de démettre Mathieu Gallet de son poste de patron de Radio France. Une décision qui s'appliquera "à compter du 1er mars", indique un communiqué. Le CSA explique:

"Le CSA a estimé que pour assurer dans de bonnes conditions la gestion d’une société détenue à 100% par l’Etat, il importe que les relations d’échange et de dialogue entre les représentants de l’Etat et le PDG de la société soient denses, confiantes et permanentes, dans un contexte de réforme majeure de l’audiovisuel public annoncée par le pouvoir exécutif.
Le CSA est particulièrement sensible aux questions de déontologie, de prévention des conflits d’intérêts et de moralisation de la vie publique qui sont des préoccupations fortes des citoyens et des pouvoirs publics".

Réactions

Peu après, la ministre de la Culture Françoise Nyssen a "pris acte" de cette décision, ajoutant dans un court communiqué: "le gouvernement a tenu une position très claire: l’exemplarité des dirigeants des entreprises est nécessaire. C'est une condition absolue de bonne gouvernance et de légitimité des services publics et des acteurs qui en sont responsables".

De leur côté, les avocats de Mathieu Gallet, Christophe Ingrain et Rémi Lorrain, ont déploré: "La pression de l'Etat a été plus forte que la présomption d'innocence. C'est inquiétant de voir l'Etat promouvoir le principe d'exemplarité parce que c'est le règne de l'arbitraire. Cette atteinte aux droits est un mauvais signe pour chacun d'entre nous. Désormais, tout homme est présumé coupable jusqu'à ce qu'il prouve son innocence".

Appliquer la loi

Le CSA (Conseil supérieur de l'audiovisuel) a appliqué la loi sur l'audiovisuel, qui stipule que "le mandat de président de la société Radio France peut lui être retiré, par décision motivée". La loi ajoute qu'une telle décision doit "se fonder sur des critères de compétence et d'expérience", et être prise "à la majorité des membres" du collège du CSA (soit quatre voix sur sept).

C'est la première fois que le CSA applique cette disposition. Mathieu Gallet a laissé entendre qu'il contesterait ce renvoi devant le Conseil d'État. Mais ses chances de casser cette décision paraissent faibles, le flou de la loi laissant une grande liberté au CSA.

Nouveau patron

Le CSA va maintenant devoir nommer un remplaçant à Mathieu Gallet, une procédure qui va prendre plusieurs mois. "C'est tout à fait clair, c'est au CSA qu'il incombe, selon la procédure prévue par la loi, de désigner le président de Radio France, quelles que soient les circonstances et quelle que soit la période. La loi peut changer, mais aujourd'hui elle n'a pas changé", avait expliqué Olivier Schrameck le 23 janvier. Pour mémoire, le gouvernement veut retirer au CSA le pouvoir de nommer les patrons de l'audiovisuel public pour le confier aux conseils d'administration des chaînes, mais le vote d'une loi en ce sens prendra plusieurs mois.

Indépendance

Initialement, Olivier Schrameck semblait peu enclin à se séparer de son poulain qu'il avait choisi en 2014. "Mathieu Gallet a droit à toutes les procédures de recours, d'appel et de cassation", avait-il expliqué le 28 novembre devant l'Association des journalistes médias.

Mais le 16 janvier, la ministre de la Culture Françoise Nyssen avait réclamé la tête du jeune PDG au lendemain de sa condamnation: "Les dirigeants d’entreprises publiques ont un devoir d’exemplarité. Un dirigeant d’entreprise publique condamné pour favoritisme, ce n’est pas une situation acceptable. Il appartient à l’intéressé d’en tirer les conséquences, ainsi qu’au CSA, légalement compétent".

Le maintien de Mathieu Gallet contre l'avis de l'État actionnaire aurait donc créé une situation ingérable. Mais d'autres considérations ont aussi pu influencer le CSA. Ainsi, selon Libération, Olivier Schrameck, après la fin de son mandat à la tête du CSA en janvier 2019, viserait un poste au Conseil constitutionnel, poste qui est attribué par l'Elysée...

Pas de mise en concurrence

Ce limogeage fait suite à la condamnation de Mathieu Gallet le 15 janvier à un an de prison avec sursis et 20.000 euros d’amende par le tribunal correctionnel de Créteil. Précisément, il a été condamné pour "favoritisme" pour ne pas avoir respecté les règles en matière de marchés publics lorsqu'il dirigeait l'INA (2010-2014). Le tribunal a jugé illégaux les marchés passés auprès du communicant Denis Pingaud (130.000 euros) et du cabinet de conseil Roland Berger (289.000 euros). Le premier marché a été passé personnellement par Mathieu Gallet, sans aucune mise en concurrence, pourtant obligatoire au-delà de 100.000 euros. Le second marché a fait l'objet d'une mise en concurrence, mais insuffisante selon les juges.

Sous Mathieu Gallet, l'INA a passé plusieurs autres marchés sans aucune mise en concurrence, ce que la Cour des comptes a jugé irrégulier, mais cela n'a pas été examiné par la justice, les faits étant trop anciens et donc prescrits: 116.850 euros commandés à l'institut Opinion Way; 114.170 euros auprès du cabinet Chrysalis Conseil; et 119.000 euros HT auprès du cabinet BS Conseil de Bernard Spitz.

En théorie, le PDG de Radio France risquait jusqu'à deux ans de prison, 200.000 euros d'amende, "l'interdiction d'exercer une fonction publique" et "l'interdiction des droits civils, civiques et de famille". Le procureur avait requis 18 mois de prison avec sursis, plus une amende de 40.000 euros. Il a fait appel du verdict rendu, ainsi que Mathieu Gallet. L'appel devrait être rendu d'ici 6 à 8 mois, selon ses avocats.

Jamal Henni