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Mathieu Gallet va-t-il devoir quitter la présidence de Radio France?

La Cour des comptes a comptabilisé 1,7 million d'euros de contrats de conseil et de communication à l'INA sous Mathieu Gallet

La Cour des comptes a comptabilisé 1,7 million d'euros de contrats de conseil et de communication à l'INA sous Mathieu Gallet - AFP Bertrand Langlois

Le patron de Radio France saura ce lundi 15 janvier s'il est condamné par la justice pour ne pas avoir respecté les règles des marchés publics lorsqu'il dirigeait l'INA.

C'est l'heure de vérité pour Mathieu Gallet. Lundi 15 janvier, le tribunal correctionnel de Créteil rend son verdict dans l'affaire des marchés publics qu'il a passés lorsqu'il dirigeait l'INA (Institut national de l'audiovisuel), entre 2010 et 2014.

En théorie, le PDG de Radio France risque jusqu'à deux ans de prison, 200.000 euros d'amende, "l'interdiction d'exercer une fonction publique" et "l'interdiction des droits civils, civiques et de famille".

En pratique, "pour une première condamnation, la peine infligée est en général du sursis, et très rarement une peine de prison ferme. De même, l'interdiction d'exercer une fonction publique est rarissime pour une première condamnation et sans enrichissement personnel", indique l'avocat pénaliste Stéphane Babonneau. La procureure Amélie Cladière n'a d'ailleurs requis que 18 mois de prison avec sursis, plus une amende de 40.000 euros.

"J'y suis, j'y reste"

La question est surtout de savoir si une condamnation entraînera son départ de Radio France. Apparemment, l'intéressé n'envisage pas de démissionner dans ce cas. Interrogé par le Monde, il a répondu: "Mon mandat court jusqu’en mai 2019 et je resterai pleinement investi jusque-là".

Quant aux statuts de la société Radio France, ils imposent juste que le président "jouisse du plein exercice de ses droits civils et politiques" (droit de vote, etc).

La balle dans le camp du CSA

La balle est donc dans le camp du CSA (Conseil supérieur de l'audiovisuel), qui l'a nommé et peut le démettre. En effet, la loi sur l'audiovisuel stipule que "le mandat de président de la société Radio France peut lui être retiré, par décision motivée". Elle ajoute qu'une telle décision doit "se fonder sur des critères de compétence et d'expérience", et être prise "à la majorité des membres" du collège du CSA. Mais la loi ne précise pas pour quels motifs peut être utilisée cette arme fatale, qui n'a jamais servi en pratique.

Mais apparemment, le président du CSA Olivier Schrameck, qui a choisi Mathieu Gallet en 2014, n'a aucune envie de démettre son poulain. "Il n'y a pas de précédent. Dans aucun cas, un dirigeant en fonction a été condamné à de la prison avec sursis. Ce critère n'est pas prévu dans la loi. Mais Mathieu Gallet a droit à toutes les procédures de recours, d'appel et de cassation", a-t-il expliqué le 28 novembre devant l'Association des journalistes médias.

Sous entendu: le CSA pourrait difficilement le démettre avant que tous les recours soient épuisés, et que la condamnation soit définitive. En pratique, cela prendra au moins deux ans, soit début 2020 au plus tôt. Or à cette date, le mandat de Mathieu Gallet à la tête de Radio France sera expiré depuis longtemps (à moins qu'il ne soit reconduit). En clair, le jour où le CSA se posera la question, cette question sera devenue sans objet...

Des conseils dispensables

Rappelons que Mathieu Gallet est poursuivi pour ne pas avoir respecté les règles pour des marchés publics conclus avec la société Balises du communicant Denis Pingaud, et le cabinet de conseil en stratégie Roland Berger.

Balises, qui était rémunéré 5.000 euros par mois, a reçu au total 130.000 euros HT, sans aucune mise en concurrence. Denis Pingaud a ainsi apporté ses conseils sur "la communication, la stratégie de développement, la stratégie de partenariat" de l'INA, ainsi que "les discours et le positionnement" de Mathieu Gallet. Mais aussi "l'étude d'un club INA, des contacts pour relancer la Nuit des publivores". Ou encore "la communication interne pour gérer la candidature de Mathieu Gallet à Radio France, l'organisation de la communication de transition après sa nomination". Dans un rapport datant de l'été 2016, la Cour des comptes remarque que "ces prestations ne paraissent pas avoir répondu à une nécessité incontournable, puisqu'il y a été mis fin très rapidement" après le départ de Mathieu Gallet pour Radio France.

A noter que Denis Pingaud travaillait précédemment pour Opinion Way, qui a aussi bénéficié de 116.850 euros de commandes de Mathieu Gallet en 2010-2011, sans aucune mise en concurrence non plus. L'institut a ainsi reçu 34.200 euros HT pour une "étude sur l'image de l'INA auprès du grand public". Ou 20.000 euros HT pour "une réflexion sur les discours et le positionnement" de Mathieu Gallet, le suivi de l'image, et des conseils en communication. Selon la Cour des comptes, ces contrats auraient dû faire l'objet d'une mise en concurrence, mais les faits étant prescrits, Mathieu Gallet n'a pas été jugé pour cela.

Double emploi

En revanche, les contrats avec Roland Berger ont bien fait l'objet d'une mise en concurrence, mais insuffisante au vu de leur montant cumulé. Le département des achats a bien alerté la direction sur ce point et recommandé une nouvelle mise en concurrence, mais en vain. "L'estimation des besoins n'a pas été correctement effectuée", déplore la Cour des comptes. Selon elle, deux marchés ayant "le même objet" (un projet de réforme de la direction des collections de l'INA) ont été passés: celui de 289.000 euros HT passé auprès de Roland Berger, et celui de 56.000 euros HT passé auprès du cabinet Chrysalis. En outre, les marchés attribués à Chrysalis l'ont été sans mise en concurrence, ce qui était irrégulier selon la Cour des comptes, mais là encore, Mathieu Gallet n'a pas été jugé sur ce point.

Pire: "cette réforme de la direction des collections n'a pas vu le jour et n'a pas été mise en oeuvre", déplore les magistrats de la rue de Cambon. Cela est contesté par Mathieu Gallet, qui affirme que la réforme a bien eu lieu. Mais son successeur Agnès Saal "n'a pas contesté l'absence de réforme", indique le rapport. D'ailleurs, Agnès Saal et son équipe ont, lors de l'enquête, largement enfoncé Mathieu Gallet, avec qui les rapports étaient exécrables...

Mais ce n'est pas tout. En 2011, un marché de 119.000 euros HT a aussi été attribué au cabinet BS Conseil de Bernard Spitz sans mise en concurrence. Une procédure irrégulière selon la Cour, mais là encore, les faits étaient prescrits.

Plutôt incompétent que malhonnête

Lors du procès, Mathieu Gallet a plaidé avoir pêché par incompétence plus que par malhonnêteté, comme Arnaud Lagardère dans l'affaire EADS: "Un dirigeant n'a pas la science infuse. Les marchés publics ne sont ni dans mon parcours, ni dans ma culture. Je n'y ai pas été confronté avant l'INA, ça m'était totalement inconnu. A aucun moment, on ne m'a dit qu'on approchait du seuil de mise en concurrence".

Pour mémoire, l'affaire avait démarré en avril 2015 lorsqu'un service de Bercy, le Contrôle général économique et financier (CGEFI), avait pointé des "dysfonctionnements et irrégularités" dans les marchés publics de l'INA. En mai 2015, l'association Anticor avait porté plainte contre X pour "favoritisme". Puis en juin 2015, la ministre de la Culture Fleur Pellerin, qui avait aussi de mauvais rapports avec Mathieu Gallet, avait signalé le problème au parquet. "La plainte de la ministre n'avait qu'une cible, c'est Mathieu Gallet", a pointé son avocat Christophe Ingrain lors du procès.

Contacté, Me Ingrain n'a pas répondu.

Les marchés de conseil, communication, audit et stratégie à l'INA sous Mathieu Gallet

Roland Berger Strategy Consultants (2010 et 2013)
Montant: 529.000 euros
Procédure: mise en concurrence, mais non respect des seuils

Publicis Consultants France (2012 à 2014)
Montant: 693.863 euros
Procédure: mise en concurrence

Denis Pingaud via Balises (2012 à 2014)
Montant: 130.000 euros
Procédure: pas de mise en concurrence

Opinion Way (2010 à 2011)
Montant: 116.850 euros
Procédure: pas de mise en concurrence

Chrysalis Conseil (2012 à 2014)
Montant: 114.170 euros
Procédure: pas de mise en concurrence

Bernard Spitz via BS Conseil (2011)
Montant: 119.000 euros
Procédure: pas de mise en concurrence

Source: cour des comptes, BFM Business

Jamal Henni