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Energie

Nucléaire: le scénario d’EDF pour 2050

Le groupe planche sur la prolongation pendant 10 ou 20 ans de l'exploitation des 58 réacteurs nucléaires français. Arrêtés entre 2030 et 2050, ils seront remplacés par une vingtaine de nouveaux EPR. La part du nucléaire dans la production électrique ne sera abaissée à 50% qu'en 2050.

La transition énergétique est claire dans l’esprit d’EDF. Jeudi, son PDG Jean-Bernard Levy assurait que le groupe était incontournable dans sa mise en place. "Il nous paraît important que nous participions à la construction de la politique énergétique du gouvernement" a-t-il déclaré lors de l’assemblée générale. Il répondait au Premier ministre Edouard Philippe. Interrogé le matin sur l’avenir du nucléaire, il assurait sur France Inter qu’"il ne s’agissait pas de faire table rase du passé mais d’organiser la production en France sur 50 ans".

Plus que de participer, EDF a déjà un plan bien ficelé pour respecter les engagements de la transition énergétique d’abaisser de 75% à 50% la part du nucléaire dans la production électrique. Cette échéance a été fixée à 2025 dans la loi, mais Emmanuel Macron envisage de la repousser car "personne ne sait comment y arriver" a-t-il déclaré à Mediapart. EDF compte remplir cet objectif mais pas avant… 2050!

Selon plusieurs sources, EDF dispose d’un scénario de référence qui consiste à prolonger la vie de ses centrales de 10 ans ou 20 ans. Elles produiraient ainsi de l’électricité jusqu’à l’âge de 50 ans ou 60 ans alors que la limite est aujourd'hui fixée à 40 ans. Comme elles ont toutes été construites en une dizaine d’années (entre 1980 et le début des années 1990), les arrêter toutes au même âge obligerait à les remplacer en seulement dix ans. Une période trop courte pour reconstruire un parc entier.

Du coup, EDF prévoit d’étaler sur 20 ans -entre 2030 et 2050- l’arrêt des 58 réacteurs que compte le parc nucléaire français et donc leur renouvellement. Son plan prévoit de prolonger les 34 plus vieilles centrales (900 MW), construites au début des années 1980, à 50 ans soit jusqu’en 2030. Et d’allonger la durée de vie des 24 plus jeunes (1300 MW), construites vers 1990, à 60 ans c'est-à-dire jusqu’en 2050. Ce décalage permettra une transition de 20 ans pour arrêter progressivement les réacteurs actuels en les remplaçant au fur et à mesure par de nouvelles centrales. Contacté vendredi, EDF n'a pas souhaité faire de commentaires. Le groupe déclare lundi sur son compte Twitter qu'il "s'inscrit dans le cadre de la loi de transition énergétique", expliquant qu'il entendait "s'engager avec le nouveau gouvernement pour participer activement à la transition énergétique".

Attendre le lancement des quatre EPR dans le monde

Le lancement du nouveau parc nucléaire français débuterait ainsi en 2030. Les dirigeants d’EDF estiment ne pas pouvoir aller plus vite. Ils souhaitent attendre le démarrage des quatre EPR en construction dans le monde entre fin 2017 et début 2019 pour tester leur fonctionnement. D’abord le premier réacteur de Taishan (Chine) construit avec le chinois CGN, puis celui d’Areva à Olkiluoto (Finlande), puis le second de Taishan et enfin celui de Flamanville. EDF espère que cette séquence permettra de montrer qu’après dix années de déconvenues, l’EPR fera enfin ses preuves.

En parallèle, courant 2018, l’électricien dévoilera les optimisations de l’EPR pour baisser ses coûts d’environ 30% par rapport aux premiers modèles qui ont coûté près de 10 milliards d'euros. Enfin, en 2019, l’autorité de sûreté nucléaire (ASN) rendra un avis sur ses conditions à la prolongation de durée de vie des centrales nucléaires. Il sera alors temps pour le gouvernement de valider cette trajectoire nucléaire pour les décennies à venir. Nul doute qu’il privilégiera un plan de marche favorable à EDF. Les travaux nécessaires pour exploiter les centrales dix ou vingt ans de plus seront alors lancés pour plusieurs années.

La construction du premier réacteur du nouveau programme nucléaire français pourra débuter vers 2023 pour aboutir vers 2030. Dans l’hypothèse où la consommation électrique ne varierait pas -ce qui est peu probable-, EDF prévoit de construire environ 25 EPR entre 2030 et 2050. Un rythme soutenu mais faisable. Une vingtaine d’exemplaires, soit un par an, serait toutefois plus réaliste en termes de rythme de construction et éviterait des surcapacités en raison de la baisse la consommation.

Des partenaires pour financer le futur parc

Ce plan d’EDF équilibre ses contraintes industrielles et financières. La prolongation du parc actuel permet de gagner du temps, jusqu’en 2030, pour l’optimisation et la construction du nouvel EPR. Mais il offre surtout à EDF un bol d’air de 10 ans sur le plan financier en allongeant la durée d’amortissement des 58 réacteurs. Une opération qui lui permettra d’engranger environ 800 millions d’euros de marges supplémentaires par an. "Les prix de marché vont rester bas pendant encore cinq ans et le parc nucléaire permettra de produire à un prix encore rentable, explique un bon connaisseur du dossier. Ce n’est pas le moment de construire des EPR chers".

La prolongation des centrales françaises, appelée "grand carénage", est estimée à 45 milliards d’euros sur dix ans. Un investissement qu’EDF assumera seul. En revanche, il en sera autrement pour financer le futur parc, à partir de 2030. L’an passé, le PDG du groupe, Jean-Bernard Levy, avait assuré qu’il chercherait à partager ces investissements d’environ 100 milliards d’euros sur 20 ans, avec des partenaires. Les chinois, toujours intéressés par le nucléaire français, regarderaient forcément. "Ils rêvent de construire des réacteurs chinois en France, explique une source. À défaut de le faire, ils se contenteraient d’être partenaires".

Matthieu Pechberty