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Peut-on bloquer le rachat de Bouygues Telecom par SFR?

Bercy n'a quasiment plus aucun pouvoir en matière de contrôle des rachats

Bercy n'a quasiment plus aucun pouvoir en matière de contrôle des rachats - Kenzo Tribouillard AFP

Le ministre de l'économie Emmanuel Macron vitupère contre ce rachat, mais Bercy n'a quasiment pas son mot à dire, depuis que le contrôle des rachats a été transféré au gendarme de la concurrence.

L'ironie de l'histoire est cruelle. Il y a un an, Arnaud Montebourg (à Bercy) et Emmanuel Macron (à l'Elysée) plaidaient pour un rachat de SFR par Bouygues Telecom, et s'opposaient vivement à un rachat par Numericable. Mais leur cris d'orfraie n'ont eu aucun effet.

Un an plus tard, Emmanuel Macron s'oppose vivement à un rapprochement entre SFR et Bouygues Telecom, soit l'opération que soutenait le gouvernement il y a un an... Il a été rejoint par Manuel Valls, qui s'est mis à poser des conditions pour accorder son "soutien" au rachat.

Pouvoirs quasi-nuls

Mais leurs vitupérations auront probablement tout aussi peu d'effet qu'il y a un an. En effet, légalement, le rachat peut très bien se passer du "soutien" de Manuel Valls qui ne correspond à aucune notion juridique.

La vérité est que les pouvoirs du gouvernement en matière de rachats sont quasi-nuls. Bercy doit juste approuver cette opération au titre des investissements étrangers. En effet, même si Patrick Drahi possède la nationalité française, et SFR Numericable est une société immatriculée en France, l'opérateur est toutefois détenu à 70,4% par la société luxembourgeoise Altice SA, elle-même détenue par la holding Next LP immatriculée à Guernesey et contrôlée par Patrick Drahi.

Ce contrôle des investissements étrangers a été instauré en 2005 par le gouvernement Villepin pour les secteurs de la défense et des jeux d'argent, puis étendu par Arnaud Montebourg à cinq nouveaux secteurs, dont les télécoms. Cette extension avait eu lieu en mai 2014, en plein milieu de la bataille pour SFR.

Reste que ce dispositif vise à préserver l'ordre public, la sécurité publique et la défense nationale. On voit donc mal comment il pourrait être opposé à Patrick Drahi. D'autant qu'en octobre, le même Emmanuel Macron a autorisé sans aucun problème le rachat de SFR par le même Patrick Drahi.

Arme fatale

Pour le reste, Bercy a cédé en 2009 tous ses pouvoirs de matière de contrôle des rachats à l'Autorité de la concurrence. C'est donc ce dernier qui peut éventuellement bloquer le rachat. Mais il est peu probable que le gendarme de la concurrence oppose son veto s'il obtient suffisamment de concessions de la part de SFR Numericable

Dans ce contrôle des rachats, Bercy se contente de donner un avis consultatif à la fin de la procédure.

Toutefois, Bercy dispose aussi d'une arme fatale à manier avec précaution. Le ministre peut, dans des cas exceptionnels, "corriger la copie" du gendarme de la concurrence. Problème: la loi définit de manière assez vague ce pouvoir (cf. ci-dessous), qui n'a jamais été utilisé jusqu'à présent, et pourrait même ne pas être euro-compatible.

Rôle réduit du gendarme des télécoms

Quant au gendarme des télécoms, l'Arcep, il donne aussi un avis consultatif au gendarme de la concurrence. Il doit aussi approuver formellement le transfert des fréquences d'une société à l'autre, mais encore faut-il que le rachat entraîne un tel transfert entre sociétés. Par exemple, lorsque Numericable a racheté SFR, les fréquences sont restées détenues par SFR (sauf à la Réunion), et l'Arcep n'a pas eu son mot à dire.

Enfin, le dernier levier d'intervention de l'Etat est Orange, dont il détient 25%, et qui pourrait reprendre des salariés après le rachat. Hasard ou coïncidence, juste après la sortie d'Emmanuel Macron, l'ex-France Télécom a assuré officiellement "ne pas faire partie du deal".

L'arme fatale de Bercy

La loi de 2008 indique: "après la décision de l'Autorité de la concurrence, le ministre chargé de l'économie peut évoquer l'affaire et statuer sur l'opération en cause pour des motifs d'intérêt général autres que le maintien de la concurrence et, le cas échéant, compensant l'atteinte portée à la concurrence par l'opération. Ces motifs d'intérêt général sont, notamment, le développement industriel, la compétitivité des entreprises en cause au regard de la concurrence internationale, ou la création ou le maintien de l'emploi. [Dans ce cas], le ministre prend une décision motivée statuant sur l'opération en cause, après avoir entendu les observations [du vendeur et de l'acquéreur]".

Bruxelles hors jeu

Le rachat de Bouygues Telecom par SFR Numericable sera examiné par le gendarme de la concurrence français et non européen. En effet, la France représente plus des deux tiers du chiffre d'affaires réalisé en Europe pour la société qui contrôle la cible (Bouygues) comme pour la société qui contrôle l'acquéreur (Altice). Dès lors, les textes stipulent que le rachat doit être validé au niveau national. Et l'Autorité de la concurrence n'aura même pas à demander l'avis de la Commission européenne. Certes, l'acquéreur ou la cible peuvent demander d'envoyer le dossier à Bruxelles, mais uniquement quand le rachat impacte trois pays, ce qui n'est pas le cas. 

Jamal Henni