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Peut-on empêcher Monsanto de s'emparer des données agricoles?

Henri Isaac, président de Renaissance Numérique, appelle à la création d'une grande plateforme des data agricoles françaises.

Henri Isaac, président de Renaissance Numérique, appelle à la création d'une grande plateforme des data agricoles françaises. - Capture site Xerfi

Le Think-Tank Renaissance numérique publie un livre blanc sur les défis de l’agriculture connectée. Il fait 16 propositions pour éviter que la digitalisation de leur activité dépossède les agriculteurs au bénéfice de géants comme Monsanto. Entretien avec son président, Henri Isaac.

Renaissance Numérique vient de publier un livre blanc sur le numérique et l’agriculture. Ce sujet est-il aussi important?

Henri Isaac: Nous considérons qu’il y a peu de secteurs qui échapperont au phénomène de la digitalisation. L’agriculture s’est, certes, toujours adaptée à l'innovation comme on le voit depuis des décennies avec la robotisation. Mais cette fois, nous entrons dans une nouvelle phase assez avec une agriculture de précision dans laquelle les technologies permettent de diminuer l’usage des pesticides, ce qui a intérêt évident pour les consommateurs et les agriculteurs.

On s’est rendu compte que cet aspect est déjà très bien documenté et que les investissements des acteurs augmentent. Mais le lien qui manque est la relation entre la distribution et la consommation où le digital donne avant tout du pouvoir au consommateur qui devient un consom’acteur.

C’est plutôt une bonne chose, non?

Oui, c’est même très rassurant, car, avec les crises alimentaires des dernières années, il y a une défiance vis-à-vis de ce que l’on trouve dans nos assiettes. On assiste donc à des mouvements citoyens comme par exemple Open Fact Food. C'est un wiki qui fournit les informations nutritionnelles de chaque aliment et pallie de facto à l’étiquetage des produits qui n’a jamais été déployé au niveau européen malgré les demandes des associations de consommateurs.

Le numérique offre-t-il aux agriculteurs autant d’avantages qu’aux consommateurs?

Oui, bien sûr. Grâce aux données récupérées par des drones ou des capteurs, les agriculteurs obtiennent des informations qui leur permet par exemple de mieux doser les intrants sur une parcelle en mettant de l’engrais seulement là où c’est nécessaire.

Les nouvelles technologies ont aussi réduit la pénibilité des tâches. Par exemple, dans la traite automatisée des vaches. On voit aussi se développer des robots dans le maraîchage et dans la viticulture pour effectuer des tâches à faible valeur ajoutée. Dans le maraîchage, on ne trouve plus personne pour désherber. Naïo, une start-up française, fabrique des robots qui peuvent faire le même travail que l'être humain. Il y a aussi d’autres exemples dans la viticulture pour couper et ramasser les grappes de raisin.

Le numérique permet aussi de moins fatiguer les sols en proposant de faire de l’agriculture de précision au lieu d’une agriculture intensive.

Les données récupérées par les capteurs et les drones dont vous parliez. A qui appartiennent-elles? Aux agriculteurs?

C’est un point délicat parce que les dérives sont clairement possibles. Il faut savoir que le constructeur de tracteurs John Deere propose déjà des engins connectés et qu’aux États-Unis, la récupération de ces données a déjà fait l’objet de vifs débats sur la crainte qu’elles soient utilisées par des spéculateurs sur le marché des céréales. C’est un vrai sujet dans la maîtrise de la valeur dans ce secteur.

Mais les agriculteurs ont déjà une bonne connaissance de ces questions. Ils savent déjà utiliser les technologies pour commercialiser au bon moment, notamment sur les marchés céréaliers. On voit cela aussi en Afrique où le smartphone a facilité l’accès à l’information qui permet de mieux valoriser les récoltes.

Mais le vrai souci, c'est que nous entrons dans l’ère du big data et les millions de données récoltées vont devenir de plus en plus complexes à analyser et risque d’échapper à l’agriculteur.

Que proposez-vous pour faire face à ce problème?

Parmi les 16 propositions que nous avons formulé, vous demandons que les coopératives deviennent des centres de traitement de données. Elles ne doivent pas seulement être des conseillers techniques. Elles doivent aussi rendre aux agriculteurs la maîtrise des données qu'ils récoltent. En mutualisant les data, on pourrait être encore plus efficace. Le problème est que peu de coopératives ont vraiment compris cet enjeu. Mais il est nécessaire de créer une grande plateforme des data agricoles françaises en privilégiant l'Open Data. Il faut aussi former nos futurs agricultures aux enjeux du numérique.

Y a-t-il dans l’agriculture, comme dans d’autres secteurs, un géant numérique qui espère récupérer toutes ces données ?

Oui, il est américain et s’appelle Monsanto. Ce groupe a racheté une entreprise de prévision météorologique [En 2013, il a fait l'acquisition de "The Climate Corporation" pour environ 930 millions de dollars, NDLR], un géant des drones [Beeologics développe de drones pollinisateurs capables de remplacer les abeilles, NDLR] et une autre dans le big data [avec Deere&Co, NDLR]. Il commercialise déjà les semences, les intrants et il y a tout ce qu’il faut aujourd’hui pour vendre les données aux agriculteurs. C’est l’un des rares acteurs de la filière qui dispose de toute cette palette.

Le gouvernement, et plus précisément le ministère de l’Agriculture, a-t-il conscience du potentiel numérique de Monsanto?

Stéphane Le Foll, ministre de l'Agriculture, de l'Agroalimentaire et de la Forêt et porte-parole du Gouvernement., était présent à la journée consacrée à l’agriculture connectée à Angers. Il a présenté un rapport sur les ambitions 2020 du secteur agricole qui évoque l’idée d’une plateforme nationale de données. Mais, pour être sincère, je ne vois pas vraiment de prise de conscience réelle des enjeux de la transformation digitale de l’agriculture. C’est encore un peu l'angle mort des politiques publiques.

Pascal Samama
https://twitter.com/PascalSamama Pascal Samama Journaliste BFM Éco