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SFR-Bouygues: ce que l'Autorité de la concurrence va imposer à Drahi

Le gendarme de la concurrence Bruno Lasserre se retrouve une fois de plus en position d'arbitre

Le gendarme de la concurrence Bruno Lasserre se retrouve une fois de plus en position d'arbitre - Eric Piermont AFP

Le rachat de Bouygues Telecom par SFR Numericable devrait probablement être approuvé par le gendarme de la concurrence, mais au prix d'importantes concessions.

"Je ne suis pas un marieur ou un entremetteur. Ce n'est pas à moi de décider s'il doit y avoir fusion, c'est aux entreprises de décider. Je n'ai pas à dire il faut revenir à trois opérateurs. Je n'ai pas de préférence" entre trois ou quatre opérateurs.

Un an après cette déclaration sur BFM Business, Bruno Lasserre va devoir passer de la parole aux actes. Car c'est le président de l'Autorité de la concurrence française -et non la direction de la concurrence européenne à Bruxelles- qui va approuver ou non le rachat de Bouygues Telecom par SFR Numericable

1-quelles sont les réponses possibles?

En théorie, trois réponses sont possibles: 'non', 'oui', 'oui mais'. C'est-à-dire que le rachat peut être soit interdit, soit autorisé sans condition, soit autorisé sous conditions.

Il existe plusieurs cas où la réduction du nombre d'opérateurs a été recalée par les autorités compétentes. Par exemple, en 2010, le gendarme de la concurrence suisse avait interdit la fusion des 2ème et 3ème opérateurs mobiles, qui aurait donné naissance à un duopole. Le rachat avait donc été annulé six mois après avoir été annoncé...

De même, fin 2012, l'Autorité de la concurrence française avait fermement fait comprendre à Xavier Niel qu'elle ne voulait pas d'un rachat de SFR par Free. Bien que cet avis fut informel, le trublion des télécoms avait immédiatement lâché l'affaire. L'an dernier, le gendarme français a aussi interdit le passage de trois à deux opérateurs à la Réunion et Mayotte, dommage collatéral du rachat de SFR par Numericable.

Mais, aujourd'hui, le scénario le plus probable est que le rachat de Bouygues Telecom par SFR Numericable soit approuvé en échange de concessions. C'est ce qui s'est déjà passé en Autriche, Irlande et Allemagne, où la direction de la concurrence européenne a autorisé le passage de quatre à trois opérateurs. Et d'ores et déjà, Patrick Drahi est allé frappé discrètement à la porte de Bruno Lasserre pour lui chanter les louanges du rachat de Bouygues Telecom... 

2-quelles conditions peuvent être imposées à Drahi?

Les conditions qu'impose le gendarme de la concurrence sont le plus souvent des cessions d'actifs: fréquences, antennes, portefeuille de clientèle, boutiques... C'est ce qui devrait se passer dans le cas présent. Numericable SFR a immédiatement annoncé lundi matin qu'il engageait des négociations pour revendre des actifs à Free.

C'est aussi ce qui s'est produit en Autriche: la direction de la concurrence européenne avait imposé à l'acquéreur de rendre une partie de ses fréquences (20 mégahertz), de façon à permettre la renaissance d'un quatrième opérateur, ce qui ne s'est pas encore produit. Puis en Allemagne, l'acquéreur a dû promettre de revendre à un nouvel quatrième opérateur des boutiques, des sites pour installer ses antennes, mais aussi de lui louer des fréquences.

Mais le gendarme de la concurrence peut aussi imposer des mesures favorisant la concurrence, par exemple sur ses tarifs, ou sur les conditions faites aux concurrents, comme les opérateurs mobiles virtuels. En Autriche, Bruxelles avait imposé d'accueillir ces MVNO (mobile virtual network operator) à un prix fixé par le gendarme des télécoms... mais aucun MVNO n'est apparu ensuite. En Allemagne et en Irlande, un accord préalable avec un MVNO a donc été suggéré.

3-quels sont les critères?

L'emploi et l'investissement sont toujours les premières victimes de tels rachats. Mais le gendarme de la concurrence n'est pas mandaté pour s'en préoccuper. Il se prononce uniquement en fonction de l'impact sur la pression concurrentielle, qu'il essaie de préserver. Un exercice difficile car l'objectif de l'acquéreur est totalement opposé: éliminer un rival pour pouvoir faire remonter ses tarifs et donc ses profits...

En pratique, le gendarme évalue l'état actuel de la concurrence, et tente de prédire son évolution, en s'appuyant sur plusieurs critères. Comme le disait Bruno Lasserre il y a un an: "l'intensité de la concurrence dépend moins du nombre d'opérateurs que de la qualité et des incitations de ces acteurs". Aux Echos, il précisait encore sa pensée: "je ne crois pas qu'il y ait de chiffre magique pour un marché idéal".

Concrètement, l'important, pour le gendarme de la concurrence, est de préserver l'acteur qui fait bouger le marché avec des prix bas, qu'on appelle le maverick -ici, il s'agit bien sûr de Free. "Lorsque le maverick est un opérateur indépendant de type Free, on voit que le niveau des prix dépend beaucoup de la présence de maverick -des gens qui ont faim et qui vont gagner coûte que coûte des parts de marché en pratiquant des prix agressifs", expliquait Bruno Lasserre il y a un an devant l'Association des journalistes économiques et financiers.

A cette aune, le rachat de Bouygues Telecom par SFR Numericable parait donc acceptable. D'autant que ce rachat renforcera Free, qui va récupérer à l'occasion des actifs pour pas cher...

Reste un souci: le marché "pro", où Free n'est pas présent. Sur ce terrain, il va falloir faire preuve d'imagination pour imposer à SFR Numericable des concessions. Mais le gendarme de la concurrence n'en manque pas. 

La doctrine de l'Autorité de la concurrence

"La possibilité d'une fusion SFR-Free n'a fait l'objet que d'une approche informelle. J'avais dit que, derrière cette opération, se profilait en réalité le risque d'un duopole du fait de la marginalisation, voire de l'éviction probable du marché du troisième opérateur, Bouygues Telecom. Et cela non seulement dans le mobile, mais aussi dans la téléphonie fixe. L'examen d'une concentration est toujours un exercice prospectif qui suppose de regarder le «coup d'après» si celui-ci est fortement prévisible...

Nous étudierons l'opération de rachat [de Numericable par SFR] en examinant en premier lieu ses effets horizontaux: le pouvoir de marché acquis par l'entreprise fusionnée lui permet-il d'augmenter les prix au détriment des consommateurs, qu'il s'agisse des particuliers ou des entreprises? Existe-t-il des possibilités de riposte du côté des autres acteurs du marché? Quels sont les effets de l'opération sur les incitations à innover et à investir de la nouvelle entité et de ses concurrents? Ensuite, nous regarderons les effets coordonnés: la fusion peut-elle briser la dynamique concurrentielle dans le mobile mais aussi dans les marchés adjacents, la téléphonie fixe et même les médias"  (Bruno Lasserre dans le Figaro en mars 2014)

Jamal Henni