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Pour la justice européenne, un État peut aider verbalement une société

Francis Mer et Nicolas Sarkozy à la sortie du conseil des ministres en 2002

Francis Mer et Nicolas Sarkozy à la sortie du conseil des ministres en 2002 - Daniel Janin AFP

Pour la justice européenne, le soutien du gouvernement français à Orange en 2002 n'était pas illégal, même s'il a permis à l'ex-France Télécom d'économiser des milliards d'euros.

Orange et le gouvernement français peuvent ouvrir le champagne. Après 14 ans de procédure, la cour de justice européenne leur a donné raison mercredi 30 novembre au sujet du sauvetage de l'ex-France Télécom par l'Etat français en 2002.

Rappelons que mi-2002, l'opérateur historique supportait une lourde dette de 70 milliards d'euros. Le gouvernement Raffarin avait alors volé au secours de l'opérateur téléphonique en deux étapes. D'abord, le ministre de l'économie de l'époque, Francis Mer, avait déclaré le 12 juillet 2002 dans les Echos: "si France Télécom devait avoir des difficultés, nous prendrions les dispositions adéquates […]. Si France Télécom avait des problèmes de financement, l’État prendrait les décisions nécessaires pour qu’ils soient surmontés". Puis, le 4 décembre 2002, le gouvernement français avait proposé de prêter 9 milliards d'euros à l'opérateur.

Ce soutien affiché par l'Etat-actionnaire avait joué un rôle décisif: il a fait remonter la note de la dette de l'opérateur, et fait baisser les taux d'intérêt exigés par les prêteurs. Finalement, l'ex-France Télécom, qui, quelques mois plus tôt, ne pouvait lever de la dette qu'à des conditions prohibitives, a donc vu ce marché se rouvrir. Il n'aura donc jamais besoin du prêt de 9 milliards proposés par l'Etat...

Pressions politiques

Mais la Commission européenne ne l'entendait pas de cette oreille. En août 2004, elle a considéré que ce "vrai faux prêt" était une aide d'Etat illégale. Sauf que, fait rarissime, elle n'a pas demandé le remboursement de cette aide. Officiellement, il était trop difficile de chiffrer l'avantage dont l'opérateur avait bénéficié. Officieusement, elle subissait de fortes pressions politiques de la part de Paris... 

Cette décision mi-chèvre mi-chou n'avait plu ni au gouvernement, ni à Orange, ni à ses concurrents comme Bouygues ou ceux réunis dans l'association Aforst. Tous ont donc contesté cette décision devant la justice européenne, qui a rendu plusieurs décisions contradictoires (cf. encadré), jusqu'à celle d'aujourd'hui.

Erreur manifeste

Sur le fond, la Commission européenne avait jugé que l'Etat français ne s'était pas comporté comme une société privée, c'est-à-dire "un investisseur avisé" dans le jargon bruxellois. Dès lors, la Commission estimait qu'il y avait aide d'Etat. Mais, il y a un an, le tribunal européen de Luxembourg avait jugé que la Commission avait commis une "erreur manifeste" en appliquant les critères de l'investisseur avisé. Le tribunal européen de Luxembourg avait donc annulé la décision de la Commission. La Commission avait fait appel devant la cour de justice européenne. Ce mercredi, la cour de justice européenne a débouté la Commission et annulé définitivement la décision de la Commission.

Rappelons que le soutien verbal de la France dont a bénéficié Orange lui aurait fait économiser 1,5 milliard d'euros selon l'Aforst, 10,7 milliards selon SFR, 15 milliards selon Neuf Telecom et plus de 30 milliards selon Bouygues Telecom.

Un feuilleton qui dure depuis 2002

2 août 2004: la Commission estime que Orange a bénéficié d'une aide d'Etat illégale, mais ne demande pas son remboursement

21 mai 2010: le tribunal de première instance estime qu'aucune ressource d'Etat n'a été engagée, donc qu'il n'y a pas eu d'aide d'Etat, et annule la décision de la Commission

19 mars 2013: la cour de justice européenne estime que le budget de l'Etat était potentiellement grevé par le vrai faux prêt, donc qu'Orange a bien bénéficié d'un avantage, donc qu'il y a eu aide d'Etat, et donc infirme la décision du tribunal de première instance

2 juillet 2015: le tribunal de première instance annule une seconde fois la décision de la Commission, pour d'autres motifs. La Commission se pourvoit en cassation devant la cour de justice européenne

30 novembre 2016: la cour de justice européenne déboute la Commission, confirme l'arrêt du tribunal de première instance, et annule définitivement la décision de la Commission

Jamal Henni