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Pourquoi a-t-il fallu attendre Taxi 5 pendant onze ans?

Le cinquième "Taxi" est le plus cher de la série, avec un budget de 20,4 millions d'euros

Le cinquième "Taxi" est le plus cher de la série, avec un budget de 20,4 millions d'euros - ARP

L'HISTOIRE SECRÈTE DE LA SAGA DES FILMS TAXI (1/3). Mercredi 11 avril sort le cinquième épisode de Taxi. Ce retour de la saga a été rendu possible par la fin d'une longue guerre entre les deux co-producteurs: Luc Besson et la société ARP de Laurent Pétin et Michèle Halberstadt.

A la fin des années 90, Luc Besson écrit le scénario d'un film baptisé Taxi. Il ne veut pas réaliser le film (il confiera cette tâche au vétéran Gérard Pirès) mais veut le produire. Un vif débat éclate alors au sein de la Gaumont, qui produit à l'époque les films de Luc Besson. Pierre-Ange le Pogam, directeur général adjoint de la major chargé notamment des films Besson, pense qu'il faut accepter la demande du réalisateur-star, qui sinon ira produire Taxi ailleurs. Mais le patron de la major, Nicolas Seydoux, refuse, car il veut que Luc Besson reste concentré sur les films qu'il réalise, et notamment sur le très coûteux Cinquième élement, qu'il est en train de terminer.

Face au refus de la Gaumont, Luc Besson se met donc à chercher un autre producteur pour Taxi. Il se tourne vers la société ARP que vient de créer un vieux couple d'amis, Laurent Pétin et Michèle Halberstadt: lui a dessiné l'affiche de Subway, elle a travaillé sur le scénario de Nikita.

En pratique, Luc Besson produit bien le film, mais rechigne à créer une société de production. Formellement, le générique ne le crédite donc pas comme producteur. Mais, de toutes façons, il est intéressé au succès du film en tant que scénariste.

Naissance d'EuropaCorp

Et ce succès est immense (cf chiffres ci-dessous). Rapidement, une suite est mise en chantier. Cette fois, Luc Besson a terminé sa dernière réalisation pour la Gaumont (Jeanne d'Arc), et quitte définitivement la major. Il est bien décidé à mettre entre parenthèses la réalisation de films pour devenir producteur pour son propre compte. En 1999, il réactive Leeloo Productions, une société qu'il a créée en 1992 qu'il rebaptise EuropaCorp fin 2000. Et le premier film produit est Taxi 2.

En pratique, EuropaCorp obtient 70% des parts des suites de Taxi, ARP en conservant 30%. Ces suites de Taxi sont aussi d'immenses succès, en France, mais aussi à l'étranger, avec 64 millions d'euros de recettes hors de France. A l'étranger, c'est EuropaCorp qui distribue le film, et qui doit donc ensuite reverser 30% des recettes à ARP. Toutefois, avant de répartir les recettes, EuropaCorp a le droit de se rembourser des frais engagés pour ces ventes à l'international. 

Des factures de jet privé

Mais, après Taxi 4, un conflit éclate sur ces recettes à l'étranger entre Luc Besson et le couple Pétin-Halberstadt, qui entraîne une brouille durable. Et durant huit ans, ce conflit empêchera de produire un nouvel opus.

Précisément, ARP attaque EuropaCorp début 2008 devant le tribunal de commerce de Paris, puis se désiste, puis porte plainte à nouveau en novembre 2009, déplorant:

"EuropaCorp paye toujours avec retard, alors qu'il a toujours fallu des menaces d'actions judiciaires, ou des actions judiciaires, pour amener EuropaCorp à payer les sommes considérables correspondant à des arriérés...
Il est inadmissible qu'un mandataire [EuropaCorp] ne satisfasse à aucune de ses obligations, retienne des sommes impayées par devers lui et, a fortiori, reconnaît devoir d'importantes sommes qu'il ne règle pas".

En pratique, ARP juge "indues" une série de dépenses déduites par EuropaCorp: frais d'avocat, "déplacement en avion privé", "frais généraux" lors du Festival de Cannes, impayé d'un distributeur russe...

Trop de travail pour fournir les factures

Pour se défendre, EuropaCorp souligne que la qualité du travail de vente du film à l'étranger n'est nullement contestée. Le studio de Luc Besson ajoute avoir déjà versé d'importantes sommes à ARP (7,1 millions d'euros) entre 2008 et 2011. Enfin, il argue que, s'il avait fourni à ARP tous les justificatifs exigés, cela aurait représenté une telle "masse de travail" qu'il aurait vu "son activité totalement paralysée"... 

Au total, ARP réclame 1,83 million d'euros. En décembre 2012, le tribunal de commerce lui accorde 1,46 million d'euros. Les juges estiment que le conflit était en partie dû à ARP, qui disposait du droit de vérifier les comptes présentés par EuropaCorp, mais "ne l'a pas mis en oeuvre", et l'a même "complètement négligé". Mais ils jugent qu'EuropaCorp devait justifier de tous les frais contestés. Et le studio de Luc Besson ne fournissant aucune explication "probante" dans la grande majorité des cas, ils le condamne donc à les payer lui-même.

Plus de 1.000 justificatifs en vrac

Furieux, Luc Besson fait appel et change de tactique en appel: il fournit plus de 1.000 justificatifs "en vrac, sans explications ni calculs", et réclame la nomination d'un expert pour les analyser. En juin 2015, la cour d'appel de Paris lui accorde cette expertise, mais le condamne déjà à payer à ARP 428.823 euros.

Finalement, en 2016, Luc Besson et le duo Pétin-Halberstadt décident de faire la paix, et concluent un accord amiable pour mettre fin au conflit. "EuropaCorp a trouvé un accord avec le co-producteur [ARP] soldant ce litige à hauteur des provisions constatées", soit 750.000 euros, indiquent les comptes d'EuropaCorp.

Cet accord permet de relancer la franchise. En septembre 2016, Luc Besson annonce le cinquième opus devant les exploitants de salles réunis à Deauville. Un nouvel opus qui est co-produit avec ARP, et qui sera le plus cher de la série, avec un budget de 20,4 millions d'euros...

Contactés, EuropaCorp et ARP se sont refusés à tout commentaire.

Un remake américain oublié

Avant même la sortie en France du premier Taxi, Luc Besson a l'idée d'en faire un remake américain. Dès 1997, Luc Besson accorde une option à la Fox. Puis, en 1999, Luc Besson, Gérard Pirès et ARP cèdent les droits d'un remake à Seaside Films Co. une société californienne contrôlée par Luc Besson. Finalement, le remake, écrit et produit par Luc Besson, et distribué par la Fox, doté d'un budget de 25 millions de dollars sort en 2005, avec à l'affiche Queen Latifah et Jimmy Fallon. Il est massacré par la critique. "Cette comédie d'action sans esprit commence à insulter l'intelligence du spectateur dès la première scène", écrit le New york post. Il engrange tout de même 68 millions de dollars de recettes, dont 37 millions de dollars aux Etats-Unis. En France, il sort à la sauvette sous le titre New york taxi et fait un bide (5.114 entrées).

Les résultats de la série Taxi

Taxi
Budget: 8,1 millions d'euros
Sortie en France: 8 avril 1998
Entrées: 8,7 millions dont France 6,5 millions
Recettes étranger: 12,4 millions d'euros
Part des profits revenant à EuropaCorp: 0%

Taxi 2
Budget: 10,7 millions d'euros
Sortie en France: 29 mars 2000
Entrées: 15,4 millions dont France 10,3 millions
Recettes étranger: 25,1 millions d'euros
Part des profits revenant à EuropaCorp: 52%

Taxi 3
Budget: 14,5 millions d'euros
Sortie en France: 29 janvier 2003
Entrées: 10 millions dont France 6,1 millions
Recettes étranger: 16,4 millions d'euros
Part des profits revenant à EuropaCorp: 57%

Taxi 4
Budget: 17,32 millions d'euros
Sortie en France: 14 février 2007
Entrées: 9,9 millions dont France 4,5 millions
Recettes étranger: 22,1 millions d'euros

Taxi 5
Budget: 20,39 millions d'euros
Sortie en France: 11 avril 2018

Source: Europacorp, CNC, Unifrance, JP Box office, cinefinances.info

Le financement de Taxi 5 (en euros)

EuropaCorp: 9,3 millions dont
apport en numéraire du producteur délégué: 333.598 euros
rémunération du producteur délégué en participation: 803.457 euros
frais généraux en participation: 1,1 million
fonds de soutien (subvention du CNC): 2,4 millions
minimum garanti distribution en salles en France: 1 million
minimum garanti distribution en salles à l'étranger: 3 millions
minimum garanti distribution vidéo: 600.000 euros

ARP (co-producteur): 2,5 millions

TF1 (co-prodcuteur + diffuseur): 4,6 millions

Canal Plus (diffuseur): 3,4 millions

OCS (diffuseur): 650.000 euros

Source: cinefinances.info

Jamal Henni