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Les trois menaces qui pèsent sur Bouygues Telecom

Martin Bouygues se retrouve avec son opérateur télécom sur les bras

Martin Bouygues se retrouve avec son opérateur télécom sur les bras - AFP Eric Piermont

"L'action Bouygues perd près de 15% ce lundi, car la vente de sa filiale télécom semble exclue pour un moment. "

Lorsque, mi-2015, Martin Bouygues dit non au chèque de 10 milliards d'euros en cash que lui propose SFR Numericable pour sa filiale, les observateurs disent que le PDG de Bouygues a laissé passer la chance de sa vie. Lorsque, six mois plus tard, on comprend qu'il a laissé passer cette offre pour vendre à Orange au même prix, on crie alors au génie.

Mais depuis que le fils de Francis Bouygues a échoué à s'entendre avec Bercy sur cette vente, le doute surgit à nouveau. La Bourse ne s'y trompe pas. L'action Bouygues a vécu lundi 4 avril une des pires journées de son histoire. Le titre a été massacré en bourse, perdant près de 15% en début d'après midi.

Les analystes financiers recommandent de fuir la valeur. Natixis a dégradé son opinion de "acheter" à "neutre", et son objectif de cours de 38 à 35 euros. Tandis que Oddo passait de "achat" à "alléger", et son objectif de cours de 40 à 27 euros. Kepler Cheuvreux est passé de "conserver" à "alléger", tandis que la recommandation passait de "neutre" à "vendre" chez Berenberg.

Voilà les trois raisons qui expliquent ce massacre.

1- Plus d'acheteur en vue

"L'hypothèse d'une consolidation devient désormais durablement exclue", a déclaré vendredi le groupe Bouygues lui-même. En effet, on ne voit maintenant plus qui pourrait racheter la filiale télécom du groupe de BTP.

Car plus le temps passe, et moins une vente a d'intérêt. D'abord, parce que l'accord de partage de réseau entre SFR et Bouygues Telecom, aujourd'hui embryonnaire et facilement débouclable, va devenir de plus en plus complexe à défaire, rendant inextricable une vente de Bouygues Telecom à Free ou Orange. De plus, Free déploie chaque jour son réseau, et a donc de moins en moins besoin de celui de Bouygues Telecom. En outre, le trublion des télécoms a moins besoin de fréquences depuis qu'il en a récupéré lors des dernières enchères.

Surtout, le prix de 10 milliards d'euros semble désormais totalement hors d'atteinte -même si dans la dernière ligne droite, Martin Bouygues avait abaissé ses prétentions à 9 milliards d'euros. Personne ne semble en mesure de remettre cette somme sur la table.

Un opérateur étranger? Il ne bénéficiera d'aucune synergie avec un autre opérateur en place, et donc n'offrira jamais un telle valorisation.

Free? Au printemps 2014, l'opérateur dirigé par Xavier Niel n'avait proposé que 5 milliards d'euros, et exclut totalement de mettre le double.

SFR Numericable? Depuis l'été 2015, son principal actionnaire Altice (qui détient 49% de ce site web) emprunte à des taux d'intérêt plus élevés, et a déclaré suspendre les acquisitions durant deux ans.

Orange? Il faudra un nouveau gouvernement qui bénisse l'opération, soit après l'élection présidentielle, mais le deal aura alors bien moins d'intérêt...

S'ajoutent à tout cela les inimitiés notoires entre Martin Bouygues, Xavier Niel et Patrick Drahi, le principal actionnaire d'Altice et SFR Numericable. Conclusion des analystes d'Oddo: "Il n'y aura plus de fusion avant deux ans".

2- L'investissement

Bouygues Telecom est moins rentable que ses concurrents, et donc investit moins (800 millions d'euros par an). Résultat: il va avoir du mal à rester dans la course, notamment pour déployer un réseau de fibre optique qui coûte 4 à 5 milliards d'euros par opérateur. "Dans la fibre, le manque de taille critique et le retard en investissement semblent critiques, a fortiori à un moment où les pairs ont et vont upgrader leur box", pointe Oddo. 

Non sans malice, Free, lors de ses derniers résultats, a souligné qu'il fallait investir au moins 1,1 milliard d'euros par an pour rester dans la course.

3- Le cash

En résumé, même si Bouygues Telecom redevient rentable, ses bénéfices risquent d'être absorbés par ses investissements, ne laissant pas un kopeck à l'actionnaire Bouygues. "Le cash flow libre de Bouygues Telecom devrait rester confiné à près de zéro, plutôt qu'à 400 millions d'euros par an", craint Oddo. "La capacité de Bouygues Telecom de redevenir durablement rentable est très incertaine", abonde Bryan Garnier.

Une situation qui posera un gros problème au groupe Bouygues. En effet, la filiale télécom était historiquement la principale vache à lait du groupe. "Entre 2007 et 2011, Bouygues Telecom avait versé en moyenne 400 millions d’euros de dividendes par an à Bouygues, soit 40% de la totalité du cash reçu par la maison-mère", expliquent Frédéric Genevrier et Olivia Flahault, analystes chez OFG Recherche.

Las! Depuis 2013, la filiale télécoms n'a plus fait remonter un euro. Ce qui a posé un gros problème de cash au groupe Bouygues. En effet, Martin Bouygues tient, contre vents et marées, à maintenir au même niveau son dividende, qui absorbe un demi-milliard d'euros par an. Car ce dividende finance le montage d'actionnariat salarié qui permet de verrouiller le contrôle du groupe Bouygues.

Martin Bouygues a donc été forcé de trouver d'autres sources de cash: vente d'Alstom, dividende exceptionnel de TF1... Mais ces expédients exceptionnels ne permettront de tenir qu'un temps.

Dividendes versés par Bouygues Telecom (en millions d'euros)

2007: 450
2008: 500
2009: 500
2010: 405
2011: 405
2012: 212
Depuis 2013: 0

source: OFG Recherche

Jamal Henni