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Pourquoi ces start-up horripilent Rolex, Omega, Longines, IWC...

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Elles s'appellent Goldgena, Montfort, MVMT ou William L. Suisses mais aussi américaines et françaises, ces jeunes sociétés se lancent à l'assaut des grands noms de l'horlogerie "swiss made" avec des montres qui coûtent 10 fois moins cher.

Rolex, Omega, Longines, IWC ou encore Jaeger-LeCoultre sont-elles des marques du passé? C'est en tout cas ce que pensent une poignée de jeunes entrepreneurs qui se lancent depuis quelques mois à l'assaut de la forteresse horlogère suisse. Un mouvement qui a pris de l'ampleur ces dernières semaines.

Depuis début novembre, en effet, trois start-up suisses ont lancé leur projet sur des plateformes de financement participatif comme le relève Le Temps. Goldgena a ainsi déjà récolté plus de 222.000 francs suisses (207.000 euros), Monfort plus de 132.000 francs suisses (123.000 euros) et le petit dernier Gagnebin 3.800 francs suisses en quelques jours (3.500 euros).

Les grandes marques et le faux "Swiss Made"

Des start-up créées par de jeunes passionnés (ils ont la trentaine) qui partagent la même philosophie: proposer un produit de qualité à un prix accessible. Car un non-expert aura du mal à faire la différence entre une montre Goldgena et un modèle d'une grande marque. Mécanisme automatique, verre saphir anti-reflet, bracelet en cuir, finition élégante.

En revanche la différence est très marquée en ce qui concerne le prix. Alors qu'une Rolex entrée de gamme vaut 5.200 euros, ces marques proposent des modèles à moins de 600 euros! Comment parviennent-ils à un tel prodige? Bien que conçues et dessinées en Suisse, ces montres sont, pour la plupart, fabriquées en Asie et le mécanisme est japonais. 

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Pas de quoi inquiéter les grandes marques suisses, serait-on tenté de penser. La mention "Swiss Made" leur donnera toujours le surcroît d'image justifiant un prix élevé. Sauf que ces start-up expliquent justement que les montres des grandes marques horlogères ne sont pas vraiment "Swiss Made". C'est en tout cas ce que démontre Goldgena dans sa vidéo de présentation sur Kickstarter.

Les grandes marques font entrer de plus en plus de composants asiatiques dans leurs mécanismes. Mais comment peuvent-elles alors conserver le bénéfice du label "Swiss Made"? Grâce à une astuce. Selon cette ordonnance de 1971, Une montre peut bénéficier de ce label, dès lors que son mécanisme ainsi que 50% de la valeur de ses composants sont suisses. 

"Or il y a beaucoup d'hypocrisie là-dedans, explique Guillaume Laidet, le créateur français de la marque William L. qui connaît bien les arcanes de l'horlogerie suisse. De nombreuses marques se contentent d'assembler en Suisse des montres qui sont en réalité produites en Asie. Comme les coûts en Chine sont très faibles, il est très facile d'atteindre les 50% de valeur imposés par le "Swiss Made"". Conscients du problème, les autorités hélvétiques ont décidé de faire passer ce taux à 60% à compter du 1er janvier 2017.

Car l'horlogerie helvétique a quelque peu perdu de sa splendeur depuis deux ans. Après un recul de 3,3% des exportations en 2015, les ventes de montres suisses à l'étranger s'effondrent en 2016. Au mois d'octobre, elles ont enregistré leur plus forte baisse depuis 2009, année de crise. Les exportations ont reculé de 16% à 1,5 milliard d'euros. Une chute inquiétante qui a contraint le groupe Richemont (Cartier, Jaeger-LeCoultre, Vacheron Constantin...) à annoncer un plan social. Après avoir douché les salariés en supprimant 350 postes en février, le groupe helvétique vient de leur faire savoir qu'il était contraints d'en supprimer 200 de plus.

"Les Suisses ont pété les plombs!"

Plusieurs raisons expliquent cette désaffection. Le durcissement des mesures anti-corruption en Chine tout d'abord. La montre de luxe faisait partie, avec le Cognac, des cadeaux habituels pour graisser les pattes dans l'Empire du milieu. Mais il n'y a pas que ça. Ce sont les exportations en direction de Hong-Kong qui chutent le plus (-22% en octobre 2016 après un alarmant -40% en septembre!). La faute aux touristes chinois qui fuiraient la ville depuis la révolution des parapluies, expliquent les experts du secteur.

Mais ces éléments conjoncturels n'expliquent sans doute pas tout. Les ventes ont fortement reculé au premier semestre 2016 dans toutes les régions du monde: -8,6% en Europe, -9,3% aux États-Unis. Bref c'est la Bérézina un peu partout pour l'horlogerie helvétique. Ce qui ne surprend guère Guillaume Laidet qui a travaillé chez Zenith et Jaeger-LeCoultre: "Les Suisses ont peu pété les plombs en augmentant leur prix de manière inconsidéré; l'entrée de gamme chez Jaeger c'est 6.000 euros aujourd'hui contre 2-3.000 euros il y a quelques années à peine. Les grands groupes ont réclamé toujours plus de marge pensant que, dans le luxe, le prix était extensible presqu'à l'infini. Et par ailleurs, les marques se paient des campagnes de plus en plus coûteuses avec des stars internationales." Sur ce plan, Rolex et Omega sont les deux marques qui dépensent le plus. La première consacre 100 à 120 millions d'euros par an au "sponsoring" de stars (les tennismen Roger Federer et Jo-Wilfried Tsonga ou le chanteur Plácido Domingo). La seconde s'offre pour une somme équivalente des stars de cinéma comme George Clooney, Nicole Kidman ou encore Daniel Craig.

Des banques frileuses malgré Kickstarter

Flambée des prix, doute sur l'origine réelle des produits... Voilà qui ouvre un boulevard aux start-up qui jouent, elles, la carte de la transparence. Regroupées derrière une marque ombrelle commune Code41, elles sont créé le label TTO pour Total Transparency on Origin. Ainsi la start-up Goldgena qui refuse le label "Swiss Made" assume de faire fabriquer en Chine donne le détail du prix de revient de sa montre baptisée ironiquement Anomaly: le boîtier vaut ainsi 55 dollars, le verre saphir à 10 dollars, le cadran 30 dollars, le mouvement 70 dollars et le coût de production 185 dollars. Le tout pour un prix de vente de 647 dollars, soit moins de 600 euros. 

Mais si ces marques font le buzz sur Kickstarter, est-ce pour autant un gage de succès? Les performances commerciales de l'américaine MVMT et du français William L. ont de quoi les rassurer. Ces deux marques qui sont dans la même philosophie ont elles aussi commencé sur ces plateformes de financement participatif. "C'est bien de réussir sa campagne, mais il faut réussir derrière, ce qui n'est pas facile, reconnait guillaume Laidet de William L. Après mon Kickstarter à 192.000 euros je suis allé voir les banques car j'avais besoin de plus pour accélérer la production. Aucune n'était très chaude. C'est finalement un investisseur passionné de montres qui m'a permis de me lancer en me finançant à hauteur de 1 million d'euros."

Alors qu'il a livré ses premiers modèles en milieu d'année, Guillaume Laudet va réaliser 2 millions d'euros de chiffre d'affaires et se développe fortement en Asie, comme en Indonésie, aux Philippines ou encore au Japon où il réalise 20% de ses ventes. Des start-up horlogères décidément bien à l'heure de la mondialisation. 

Frédéric Bianchi
https://twitter.com/FredericBianchi Frédéric Bianchi Journaliste BFM Éco