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Pourquoi Facebook risque l'enlisement dans l'affaire Cambridge Analytica

Aux États-Unis, l'affaire Cambridge Analytica prend de l'ampleur. Le procureur général du Massachusetts a annoncé le lancement d’une enquête tandis que des sénateurs veulent entendre les explications de Mark Zuckerberg. Facebook tente de désamorcer l'affaire.

Depuis quelques jours Facebook est au cœur d’une affaire dont il se serait bien passé. Selon une enquête menée par la presse américaine (New York Times et The Observer) et britannique (The Gardian), la société britannique Cambridge Analytica a obtenu, via Facebook, les données de plusieurs dizaines de millions américains pour influencer leur vote en faveur de Donald Trump.

La méthode reposait sur une technique légale, mais peu éthique. En 2015, la société a lancé un test de personnalité en proposant de payer les participants. 270.000 personnes ont répondu à l’appel, et accepté de fournir des informations sur leurs proches. À l'arrivée, Cambridge Analytica a obtenu des données sur 50 millions d’Américains. La société d’analyse de données, qui travaillait ouvertement pour Donald Trump, a ensuite utilisé ces informations pour créer un logiciel qui aurait permis d’influencer le vote pour le faire pencher côté Républicain.

"Nous devons faire mieux et nous le ferons", promet Facebook

Tout est légal, mais pour de nombreux élus, ce n’est ni plus ni moins qu’une violation à la protection des données personnelles. Ils arguent que les internautes ne savaient pas que leurs réponses serviraient à développer un tel logiciel, et que les données concernant leurs proches seraient utilisées, non pas effacées comme cela avait été annoncé.

De son côté, Facebook aurait été utilisé à l’insu de son plein gré pour aider Donald Trump à être élu. Une suspicion qui fait mal, d’autant qu’elle aux soupçons d'influence russe sur la campgane à travers le réseau social.

Facebook, qui a appris que l’affaire allait sortir ce samedi 17 mars, a tenté de désamorcer la bombe en faisant des révélations sur son blog dès vendredi. Le réseau affirme avoir été abusé et avoir suspendu le compte de la société dès 2015 en exigeant la suppression des données récupérées. Mais Facebook rappelle que les utilisateurs ont volontairement répondu au questionnaire. Andrew Bosworth, l’un des vice-présidents de Facebook, assure mettre les choses en œuvre pour mieux faire respecter les données privées. "Nous devons faire mieux et nous le ferons", a-t-il promis sur Twitter.

Ces révélations ont créé un cataclysme politique aux États-Unis d’autant plus vif que Christopher Wylie, ancien employé de Cambridge Analytica dont le compte Facebook a été suspendu, a avoué s’être "servi de Facebook pour récupérer les profils de millions de personnes. Nous avons ainsi construit des modèles pour exploiter ces connaissances, et cibler leurs démons intérieurs". Autre élément à charge révélé par Business Insider, une série de tweets d'Alex Stamos, responsable de la sécurité de Facebook, qui estimait que "même si les renseignements personnels de l'utilisateur ont pu être utilisés à mauvais escient, il ne s'agissait pas d'une 'violation' rétroactive".

Comme le rapporte l’agence Reuters, Amy Klobuchar, sénatrice démocrate, estime que ces plateformes sont devenues incontrôlables. Elle demande que Mark Zuckerberg vienne s’expliquer devant la commission du Sénat.

Pour Frank Pasquale, professeur de droit spécialisé à l'Université du Maryland, "le couvercle est ouvert sur la boîte noire des pratiques de Facebook dont l'image n'est pas très belle". Et selon ce spécialiste de la protection des données privées, l’un des arguments de Facebook qui s’appuie sur le fait que les données ont été volontairement données, dissimule un problème grave: la finalité de leur utilisation était à l’opposé de ce qui leur a été présenté.

Nuala O'Connor, présidente du Centre pour la démocratie et la technologie, un groupe de défense des droits, lui a emboité le pas, comme le rapporte Reuters. Pour elle, Facebook a fait preuve de naïveté en "comptant sur la bonne volonté" de Cambridge Analytica, sans imaginer une mauvaise utilisation intentionnelle. Elle s’étonne aussi que le groupe californien ait dévoilé ces abus en 2018, quelques heures avant que la presse ne les révèle, alors qu’il en a eu connaissance en 2015.

Le procureur général du Massachusetts a annoncé ce week-end le lancement d’une enquête sur l'utilisation des données par Facebook. Et pour couronner le tout, l'autorité britannique chargée de la protection des données a également indiqué qu’elle comptait elle enquêter aussi. Dans un communiqué, Elizabeth Denham, commissaire à l'information du Royaume-Uni, a précisé qu’il est "important que le public soit pleinement conscient de la façon dont l'information est utilisée et partagée dans les campagnes politiques modernes et de l'impact potentiel sur leur vie privée".

Pascal Samama