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Pourquoi la BD flambe dans les ventes aux enchères

Christie's organisera le 19 novembre une vente consacrée au 9e art avec des planches et illustrations de grands noms: Hergé, Tardi, Moebius ou Gibrat. Ces dernières années, le marché de la BD a connu une croissance impressionnante qui ne devrait pas s'arrêter de sitôt.

C'est un véritable musée gratuit que pourront venir visiter les amoureux de la BD à Paris (*). La maison d'enchères Christie's organisera ainsi le 19 novembre une vente consacrée à la bande dessinée et exposera les œuvres pendant trois jours avant le début des enchères (voir encadré pour les infos pratiques).

210 lots pour une valeur totale estimée à 4 millions d'euros seront ainsi mis à prix. De grandes pièces des maîtres du 9e art y figurent. Parmi elles, une planche originale de Tintin et le Thermo-Zéro, l'album inachevé d'Hergé, estimée entre 200.000 et 250.000 euros, une d'Astérix en Hispanie (170.000-190.000 euros) ou encore la magnifique couverture du tome 14 de la série XIII, illustrée par Vance (45.000-50.000 euros). En outre, 17 planches de Jean-Pierre Gibrat (Le Sursis, Le Vol du Corbeau) seront mises à prix. Franquin, Moebius, Tardi, Edgar P. Jacobs ou encore Enki Bilal seront également mis à l'honneur.

La planche du tome 14 de XIII, estimée entre 45 et 50.000 euros
La planche du tome 14 de XIII, estimée entre 45 et 50.000 euros © Darguaud 2016 Van Hamme/Vance, William

Des prix multipliés par 100

L'intérêt des maisons d'enchères pour la BD est récent. Sotheby's, par exemple, a organisé sa première vente le 4 juillet 2012. Christie's a elle pris le pli en 2014. "J’ai mis sept ans à convaincre Christie's", explique Daniel Maghen, galeriste et co-organisateur de la vente.

Le record a été établi en mai 2014 lors d'enchères organisées par Artcurial. Une planche de Tintin avait ainsi été vendue 2,65 millions d'euros. 

Tintin n'est évidemment pas le seul à susciter l'engouement de riches collectionneurs. Les prix des pièces de maîtres se sont envolés. "Pour eux les prix ont été multipliés par 15 voire par 100 en l'espace de 20 ans. De 500 euros, les planches de Jean-Pierre Gibrat sont ainsi passées à 35.000 euros", indique le galeriste qui avait dû recourir à un prêt étudiant pour acheter sa première planche en 1989. Edgar P Jacobs, Franquin, les grands dessinateurs dits de la "première génération" voient ainsi les tarifs de leurs œuvres s'envoler.

La planche de Tintin et le Thermo-Zéro estimée entre 200 et 250.000 euros
La planche de Tintin et le Thermo-Zéro estimée entre 200 et 250.000 euros © Hergé - fondations Moulinsart

Un marché jeune

Néanmoins ce sont "les dessinateurs de la deuxième génération, comme Moebius, Rosinski, Loisel ou Tardi qui ont fait passer la bande dessinée d'un statut de lecture familiale à celui d'art majeur comme le cinéma ou la littérature", explique Daniel Maghen.

Leur style a eu ainsi un gros impact, y compris sur l'industrie cinématographique américaine. Les Moebius, Vatine et autres Druillet ont ainsi inspiré Ridley Scott, Paul Verhoeven ou George Lucas.

Le marché reste très jeune. "Il n'existait pas il y a 20 ans car les planches et les originaux restaient dans les tiroirs des auteurs", souligne Daniel Maghen. Ce n'est désormais plus le cas et les amateurs de bandes dessinées peuvent désormais acquérir ces planches et se replonger dans les lectures de leur enfance.

Mais cet effet "Madeleine de Proust" n'est pas la seule raison expliquant l'envolée des prix. "Les acheteurs d'art, plutôt que d'acheter de l'abstraction (comme Klein) préfèrent acheter de la bande dessinée car la compréhension de l'œuvre est immédiate. En ce sens, on retrouve chez Moebius, Tardi ou Rosinski le savoir-faire, soit des peintres figuratifs que sont Ingres ou Gustave Doré, soit des peintres qui recherchaient la lumière comme Le Caravage ou Vermeer", explique Daniel Maghen.

Paris sous la neige, une illustration de Jean-Pierre Gibrat
Paris sous la neige, une illustration de Jean-Pierre Gibrat © Gibrat

Les investisseurs arrivent sur le marché

Certains collectionneurs voient ainsi dans les planches et illustrations de bandes dessinées des œuvres s'apparentant à des tableaux et ayant ainsi une grande valeur. "Si Leonard de Vinci vivait à notre époque, il ferait de la bande dessinée", affirme même le galeriste.

Selon ce dernier, une autre raison a contribué à l'envolée des prix, en France notamment. Les expositions temporaires consacrées à la BD ont draîné des centaines de milliers de visiteurs à Paris. Ce qui rend inévitable, à terme, la création d'un musée de la bande dessinée dans l'Hexagone. "Et à ce moment ce musée n'aura d'autres choix que d'acheter aux collectionneurs privés leurs œuvres", fait valoir Daniel Maghen.

De plus, l'arrivée de la BD dans les grandes maisons de vente aux enchères permet de toucher une clientèle plus internationale et, donc, de faire gonfler les prix. Et les acquéreurs de planches ont, qui plus est, de bonnes chances de faire des plus-values.

"Le marché étant très jeune il va continuer de progresser. Aujourd'hui, les passionnés représentent 80% des achats et les investisseurs 20%, contre presque 0% il y a cinq ans. Dans les prochaines années, la part des investisseurs devrait atteindre 80%", assure le galeriste. Les passionnés, s'ils ne pourront plus se permettre d'acquérir des oeuvres d'Hergé ou Tardi, pourront alors acheter "les Enki Bilal de demain", ajoute-t-il.

Un temps qui n'est toutefois pas encore venu. "Aujourd'hui, vous pouvez acheter des œuvres d'auteurs importants pour 20-30.000 euros, cela n'existe dans aucun autre art", assure Daniel Maghen.

Infos pratiques

Exposition du 16 au 19 novembre

Horaires: mercredi 16, jeudi 17 et vendredi 18 de 10h à 18h et samedi 19 de 10h à 13h

Lieu: chez CHRISTIE’S : 9, avenue Matignon – 75008 – Paris

Julien Marion (texte) et Marion Nompain (vidéo)