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Pourquoi Le Bon Coin et Amazon peuvent dire merci à eBay

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Le site qui fête ce mois-ci ses 20 ans (et ses 15 ans en France) peine à retrouver sa splendeur d'antan. Sans le vouloir, le géant américain a défriché le terrain au Bon Coin et à Amazon.

Une médaille en chocolat. Voilà le premier objet vendu sur eBay en France. C’est en septembre 2000, il y a 15 ans jour pour jour. Pour l’anecdote, cette médaille trouvera preneur pour 1.043 euros au terme de 257 enchères. Après avoir conquis l’Amérique, l'Allemagne, l'Australie, le Japon et la Grande-Bretagne, le site d’enchère débarque en France avec la ferme ambition de convertir les Français aux enchères.

Une arrivée dans un pays hostile puisqu’eBay se heurte immédiatement à iBazar son copycat français. Ce dernier a même tenté un coup de pirate en déposant le nom de domaine eBay.fr. Résultat, l’américain sera contraint de s’appeler eBayfrance.com avant de racheter iBazar quelques mois plus tard.

C’est que cet eBay qui débarque en France en cette rentrée 2000 fait peur. Le site qui a été créé 5 ans plus tôt aux Etats-Unis (il fête ses 20 ans cette année) par le Franco-iranien Pierre Omidyar est un peu l’épouvantail du commerce. Le "cyber-commerce" va tout dévorer sur son passage, pense-t-on à l’époque, et eBay avec son ingénieux site d’enchère est le mieux armé pour prendre le pouvoir. Car son modèle de commerce est redoutablement efficace.

eBay ne vend rien, ne stocke rien, ne livre rien. Il se contente de mettre en relation des vendeurs et des acheteurs. Une sorte d’uberisation avant l’heure. Un modèle qui effraie même à l’époque Jeff Bezos. Le fondateur d’Amazon a choisi un modèle plus classique (le site vend directement des produits) et si le succès commercial est au rendez-vous, la viabilité de son modèle économique est plus qu’incertaine. Ainsi alors qu’eBay est rentable en 2000 lors de son arrivée en France, Amazon a lui accumulé 1,5 milliard de dollars de pertes depuis sa création.

Le cours de l'action multiplié par 8 en trois ans

Bref eBay est the next big thing comme disent les Américains. Ses prévisions de croissance sont faramineuses. Le site estime en effet qu’en 2005 (soit 5 ans après son arrivée) les enchères sur internet représenteront 2.000 milliards de dollars dans le monde. Son seul problème à l’époque: convaincre les internautes craintifs d’acheter sur internet. Pour cela, il met en 2002 la main pour 1,5 milliards de dollars sur une solution sécurisée de paiement en ligne, Paypal.

Le tandem eBay/Paypal va faire des étincelles. Les Français se laissent tenter par ce "vide-grenier" en ligne et des vendeurs professionnels commencent même à poster des annonces. Jeux vidéo, livres d’occasion, vêtements, poussettes… On trouve de tout sur eBay. Le site se hisse rapidement en tête des pages les plus consultées dans l’Hexagone. Au niveau mondial, le site ravit le monde de la finance emballé par son business model.

eBay est le seul grand site de e-commerce qui gagne alors de l’argent. Le cours de l’action, après avoir dégringolé suite à l’explosion de la bulle de l’internet, flambe en ce début des années 2000. L’action passe ainsi de 7 dollars en janvier 2001 à 58 en décembre 2004. eBay est au sommet. Il ne le restera pas.

Un petit site fait son apparition: Le Bon Coin

C’est qu’en 2006, un petit site se lance assez discrètement. Pas de grosse campagne marketing, d’événements presse, de pub à la télé. Le site d’ailleurs est tout simple (et pour tout dire assez moche) mais d’une redoutable efficacité: Le Bon Coin. Ce n’est d’ailleurs pas un site tout à fait français, il s’agit d’une déclinaison du site suédois à succès Blocket.se, lui-même inspiré de Craigslist aux Etats-Unis.

Son modèle? Les annonces locales. Leboncoin.fr c’est eBay avec ses voisins. Une proximité qui fait tout le succès du site. Meubles, auto, services et même immobilier… Tous ces produits qui sont difficilement vendables sur eBay se retrouvent en masse sur Le Bon Coin.

Attaqué sur l’occasion, eBay se voit aussi menacé par Amazon. Ce dernier a appris de son adversaire et a lancé sa fameuse marketplace. Le site de Jeff Bezos ne se contente plus de vendre directement mais joue à son tour les entremetteurs entre vendeurs et acheteurs. Un modèle très rentable (il empoche une commission aux alentours de 15%) et qui lui permet de proposer un immense nombre de références (150 millions de produits différents sur Amazon.fr).

eBay n’a ainsi plus le monopole de la caverne d’Alibaba. Sa fréquentation entame alors un long déclin à partir de la fin des années 2000. En premier trimestre 2010, le site est le premier e-commerçant et accueille encore 11,2 millions de visiteurs uniques (classement Fevad/Médiamétrie). Il n’est plus que le 4ème en 2015 avec 7,9 millions de visiteurs par trimestre. Très loin d’Amazon qui domine le classement avec près de 17 millions.

"Un écart important de perception des internautes"

Pour se relancer eBay tente ainsi depuis quelques années à se "professionnaliser". La plateforme veut devenir une grande marketplace avec de plus en plus de vendeurs professionnels. "On veut faire passer le message qu’eBay est proche des nouveaux entrepreneurs", explique François Bourgoin, le directeur de la division vendeurs pros chez eBay France. Et pour cela multiplie les services en leur permettant de concevoir des espaces de ventes personnalisés ou en proposant des prix attractifs sur la livraison avec Mondial Relay.

Si Amazon s’est inspiré d’eBay pour lancer sa marketplace (plus de 40% de ses ventes), eBay veut en faire de même en se transformant en place de marché professionnelle. Un pari risqué estime Frank Rosenthal, expert marketing du commerce. "Il y a un écart important entre ce qu’ils sont aujourd’hui et la perception historique de plateforme de revente. Sans compter la phénoménale percée du Bon Coin qui a lui une vraie clarté de positionnement."

Si pour l’heure, les résultats d’eBay ne sont pas alarmants (le groupe a dégagé un résultat net de plus de 900 millions dollars en 2014), les nouvelles activités peinent à décoller. Les revenus de la division marketplace ont progressé d'à peine 1% d'une année sur l'autre, à 2,33 milliards de dollars. Quand Amazon, son grand rival, progresse de plus de 20% chaque année. Dans la course que se livrent les deux géants, cela fait quelques années qu’eBay se contente de la médaille en chocolat…

Frédéric Bianchi