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Pourquoi les chanteurs s'opposent à l'accord sur la musique en ligne

Fleur Pellerin entourée de Marc Schwartz et des 18 signataires de l'accord sur la musique en ligne

Fleur Pellerin entourée de Marc Schwartz et des 18 signataires de l'accord sur la musique en ligne - Thibaut Chapotot Ministère de la culture

Il y a deux mois, un accord sur la musique en ligne était signé par 18 organisations professionnelles, sous l'égide du médiateur Marc Schwartz. Mais les représentants d'une partie des chanteurs (Adami) et des musiciens (Spedidam) ont refusé de signer. Le directeur général de l'Adami Bruno Boutleux s'explique.

BFM Business: Le streaming payant a-t-il démontré sa viabilité?

Bruno Boutleux: Pas à notre avis. L’offre d’Apple n’a recruté que la moitié des abonnés espérés. Et Deezer n’est pas parvenu à s’introduire en bourse. Ces offres à 10 euros par mois sont d’un prix très largement supérieur à ce que les Français dépensaient en CD par an, soit 40 à 50 euros. Et elles restent en concurrence avec des offres gratuites comme YouTube, installées depuis des années. Si Netflix a réussi à percer, c’est en proposant une offre trois fois moins chère que l’abonnement à Canal Plus.

Nous pensons donc que les offres de streaming payant conviennent aux consommateurs assidus de musique, mais que la majorité de la population restera sur des offres gratuites. Nous n’attendons donc pas d’explosion du nombre d’abonnés aux offres de streaming payant, ni des revenus qu’en tireront les artistes. Il est donc d’autant plus important que les revenus actuels du streaming payant soient équitablement répartis entre artistes, producteurs et sites de streaming payant ou gratuit.

Pourquoi avez-vous refusé de signer les accords Schwartz sur la musique en ligne?

B.B: Cet accord est très décevant, et comporte même sur certains de ses points un risque de régression pour les artistes. Toutes nos propositions ont été rejetées. Tous les points de discussion visant les artistes ont été vidés de leur substance au fur et à mesure des négociations. Concrètement, on ne fait pas évoluer le partage de la valeur. C’est d’autant plus décevant par rapport à l’ambition initiale de la mission: un accord historique qui prenne en compte ce que les artistes du monde entier dénoncent.

Nous espérions que cette mission mette enfin un terme à l’inéquité du partage de la valeur dans la musique en ligne. Nous pointons cette inéquité depuis dix ans, et elle n’est pas contestée. Elle a été largement démontrée dans de nombreux rapports officiels: Zelnik, Lescure, Phéline… Selon nos calculs, sur un abonnement à 10 euros par mois, les artistes se répartissent seulement 0,46 euro, tandis que les producteurs touchent 4,6 euros. Même l’État perçoit 4 fois plus que les artistes grâce aux taxes. Une occasion a été manquée.

Aujourd’hui, seule la loi peut régler la question essentielle du partage de la valeur. Nous verrons si les sénateurs, qui doivent bientôt examiner le projet de loi Création, sont prêts à prendre nos propositions en considération. Après la loi Création, il n’y a aucun autre véhicule législatif en vue.

Les accords Schwartz prévoient que les artistes toucheront une "rémunération minimale" sur les ventes numériques. N’est-ce pas une avancée?

B.B: Cette rémunération minimale n’existait pas avant, c’est donc mieux. Mais le diable est dans les détails. D’abord, nous souhaitions qu’un taux de rémunération minimale soit explicitement fixé dans les accords Schwartz, sous forme d’un pourcentage des ventes numériques. Un taux de 30% aurait été équitable. Mais les producteurs l’ont refusé. Résultat: aucun pourcentage ne figure dans les accords Schwartz, qui renvoient à la future négociation d’un accord collectif sur ce point spécifique.

Par ailleurs, les producteurs ont obtenu que cette rémunération minimale puisse prendre aussi la forme d’une avance du producteur à l’artiste. Précisément, il s’agit d’une avance sur les ventes futures de la chanson. Le problème est qu’une avance doit être remboursée, et n’est donc pas un gain de rémunération pour l’artiste. Par exemple si la chanson se vend mal, alors les recettes engrangées seront inférieures à l’avance et l’artiste sera censé rembourser l’avance au producteur –on dit que l’avance est recoupable. Bref, ces avances sont seulement des prêts accordés aux artistes. Elles ne règlent pas le problème de fond: le partage de la valeur.

Quelle était votre proposition?

B.B: Jusqu’à présent, chaque site de streaming doit négocier un accord avec chaque maison de disques. Certains producteurs réclament des à-côtés: avances, minima garantis, parts du capital.... Nous proposons de longue date de passer à un système différent, dit de gestion collective obligatoire. Avec un tel système, le site ne négocierait plus avec chaque maison de disques, mais avec des sociétés civiles les représentant toutes. Cette négociation se ferait autour d’un barème transparent et identique pour tous les sites. Cette proposition avait été soutenue par les rapports Zelnik, Lescure ou Phéline, mais elle a toujours été rejetée par les producteurs, notamment lors de la mission Schwartz.

Nous avons alors proposé un système mixte. Les sites auraient versé, via un système de gestion collective, une petite fraction de leur chiffre d’affaires directement aux artistes, qui auraient ainsi bénéficié d’une vraie rémunération minimale garantie. Le reste de la rémunération des artistes aurait été fixée dans un contrat individuel avec son producteur, comme aujourd’hui. Cette mesure, qui existe déjà dans l’audiovisuel, aurait été parfaitement complémentaire avec l’accord Schwartz et aurait constitué un ensemble acceptable. Mais ce plan B a aussi été rejeté.

Jamal Henni