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Pourquoi Mediapart verse 2,4 millions d'euros au fisc

Le redressement fiscal a vidé les caisses de Mediapart

Le redressement fiscal a vidé les caisses de Mediapart - Jean-Pierre Muller AFP

"Le site d'information, en conflit avec le fisc sur la TVA applicable à ses abonnements, a finalement dû verser l'argent réclamé, mais compte faire appel."

C'est sans doute le plus gros chèque jamais signé par Edwy Plenel. Le président fondateur de Mediapart a dû verser au fisc le 15 décembre un chèque de 2,1 millions d'euros, suivi d'un autre de 243.000 euros le 4 février. Soit au total 2,36 millions d'euros.

Caisses vides

Mediapart s'acquittait ainsi des redressements notifiés par le fisc à l'automne. Mais ce n'est pas tout. Au total, le fisc réclame 4,7 millions d'euros: 3,35 millions de redressement, plus 1,35 million de pénalités pour mauvaise foi. Le site a provisionné l'intégralité de la somme, ce qui a plombé ses comptes. Notamment, en 2014, une provision de 2,6 millions d'euros a été passée, rendant Mediapart déficitaire cette année-là (perte d'un million d'euros), contrairement à ce qui avait été annoncé à l'époque (bénéfice de 1,5 million d'euros).

Le chèque au fisc a vidé les caisses du site. "Nos fonds propres sont tombés à 100.000 euros fin 2015", a déploré jeudi 10 mars la directrice générale, Marie-Hélène Smiejan, lors d'une conférence de presse.

Risque transparent

Comment en est-on arrivé là? Le redressement porte sur la TVA appliquée par le site web entre sa création mi-mars 2008 et fin janvier 2014. Durant cette période, la loi stipulait que les sites de presse devaient acquitter une TVA à taux plein (19,6%). Mais Mediapart a appliqué le taux super réduit de 2,1% en vigueur pour la presse papier. "Nous avons pris ce risque de manière transparente", a rappelé jeudi Edwy Plenel.

Début 2014, la loi a été modifiée pour faire baisser le taux de TVA sur la presse en ligne à 2,1%. Mais cela n'a pas réglé la question des années antérieures, d'où le redressement fiscal. "Ce contrôle fiscal n'a pas été déclenché par les services fiscaux de Bercy, mais d'en haut", accuse Edwy Plenel.

Sectarisme

Finalement, le redressement fiscal a été mis en recouvrement le 30 septembre. Mediapart a alors lancé un appel aux dons auprès de ses lecteurs, qui a rapporté 500.000 euros.

Parallèlement, les sites visés par un redressement (Mediapart, Arrêt sur images et Indigo) ont soutenu un amendement rétroactif qui aurait appliqué la TVA réduite à partir de juin 2009, effaçant ainsi les redressements... L'amendement a été co-signé par les socialistes Jean-Marc Ayrault, Aurélie Filippetti, Valérie Rabault, Karine Berger, Patrick Bloche, Christian Paul... Adopté en première lecture par les députés, il a ensuite été rejeté par les sénateurs, puis à nouveau par l'Assemblée. "L'amendement a été rejeté suite à l'opposition du gouvernement", a expliqué Edwy Plenel, qui assure: "Nous n'avons demandé aucune amnistie. Il ne s'agissait pas de passe-droit". 

Parallèlement, plusieurs élus des Républicains (Nathalie Kosciusko-Morizet, Franck Riester, Patrice Martin-Lalande...) ont déposé un amendement similaire, avant de le retirer d'eux-mêmes. "Ces députés de droite, qu'on ne peut pas soupçonner de tendresse pour Mediapart, ont dû ravaler leur amendement à la demande de Nicolas Sarkozy, pour des raisons de sectarisme", selon Edwy Plenel.

Redémarrer de zéro

Au final, Mediapart a donc dû faire son chèque au fisc, mais compte faire appel devant le tribunal administratif. Sans grand espoir toutefois, car le même tribunal a déjà débouté Arrêt sur images sur la même question. "Le tribunal administratif suit pratiquement toujours la position du fisc. Ce n'est que devant la cour d'appel que la question est étudiée plus sérieusement", note le site, qui compte aussi déposer -avec Arrêt sur images et Indigo- une question prioritaire de constitutionnalité, ainsi qu'une question préjudicielle auprès de la cour de justice européenne. "La bataille va durer 4 à 5 ans", prédit Marie-Hélène Smiejan.

Reste que Mediapart comptait utiliser sa trésorerie accumulée pour tout à fait autre chose. Selon Edwy Plenel, l'argent devait être utilisé "pour racheter les actionnaires extérieurs" (c'est-à-dire autres que les dirigeants fondateurs), pour ensuite apporter le site à une structure "garantissant son indépendance", de type fonds de dotation. "Nous redémarrons donc de zéro", a expliqué Marie-Hélène Smiejan, rappelant que le site n'avait jamais redistribué ses profits sous forme de dividendes.

En revanche, des bons de souscription d'actions (BSPCE) avaient été accordés aux salariés fin 2010, et ont été exercés fin 2014, leur donnant droit à 2% du capital. "Ces BSPCE ont ensuite été rachetés", indique Mediapart.

Jamal Henni