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Pourquoi Pokémon Go doit convertir la moitié de l'humanité

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Alors que Nintendo a vu sa capitalisation boursière doubler depuis la sortie de Pokémon Go, un analyste de Deutsche Bank s'est amusé à calculer le nombre de personnes qu'il faudrait convertir à ce jeu pour justifier cette hausse. Le résultat est sans appel.

Phénomène de société, indéniable succès commercial, le jeu Pokémon Go est à l'origine d'une ahurissante hystérie boursière. Depuis la sortie de cette application il y a deux semaines, le cours de l'action de Nintendo a grimpé de 120%. La capitalisation du japonais a atteint 42 milliards de dollars soit plus que celle de son rival Sony qui est pourtant 16 fois plus gros. 

Mais tous les spécialistes s'accordent à dire que cette flambée est complètement irrationnelle. Pour la raison simple que Nintendo n'a quasiment rien à voir avec ce projet. Il s'agit d'un jeu développé par la start-up américaine Niantic Labs qui utilise l'univers et les personnages de The Pokemon Company. Or ni l'un ni l'autre ne sont des filiales en tant que telles de Nintendo. La firme japonaise n'est qu'actionnaire des deux compagnies et elle ne détient que 30% de The Pokemon Company qui exploite la licence et à peine 5 à 10% de Niantic. Sachant de surcroît que les revenus tirés du jeu vont pour un tiers dans la poche d'Apple ou Google via leur store d'application, il ne reste au final pas grand chose pour Nintendo.

3,5 milliards de joueurs, un pari impossible?

Les investisseurs qui achètent en masse des actions Nintendo font donc un pari très incertain sur l'avenir. C'est ce que révèle une note de Deutsche Bank. Les analystes de la banque allemande se sont amusés à calculer à partir de quand Nintendo générerait assez de revenus pour que l'investissement soit rentable. Voilà leur conclusion:

Prenons un rendement de 5% du capital, Nintendo devrait générer 3,3 milliards de dollars de revenus via Pokémon Go cette année. Cela veut dire que les joueurs devront dépenser 21 milliards de dollars d'achats dans le jeu. Car Apple et Android prennent déjà 30% des revenus, cela ne fait donc plus que 14 milliards à se partager entre Niantic, The Pokemon Company et Nintendo. Le japonais récupère un tiers de ces revenus via ses participations pour une marge bénéficiaire estimée à 70%, cela fait donc 3,3 milliards. Si seuls 5% des joueurs acceptent de payer (ce qui est le ratio d'un jeu comme Candy Crush) et qu'ils dépensent chacun 100 dollars, la flambée de l'action de Nintendo n'est justifiée que si une personne sur deux dans le monde télécharge le jeu.

Cela ferait donc 3,5 milliards de téléchargements! Si le succès du jeu affole les compteurs pour le moment, on en est encore très loin. Car si Pokémon Go est déjà plus gros que l'appli de rencontres Tinder avec plus de 10 millions de téléchargement en quelques jours rien qu'aux États-Unis, les 3,5 milliards de téléchargements paraissent impossible à atteindre. Ainsi malgré l'euphorie de ce lancement, il n'aurait généré "que" 14 millions de dollars de recette. D'ailleurs ce 20 juillet, les investisseurs semblent être un peu moins grisés puisque le cours de Nintendo a dévissé de près de 13%.

Un écosystème à la Google Maps

Pour que l'investissement dans Nintendo soit rentable, il faudrait d'autres sources de revenus que les simples achats in-app (les joueurs paient quelques euros pour acheter des améliorations). C'est d'ailleurs ce à quoi travaille le développeur Niantic Labs. Dans un entretien au Financial Times, le patron du studio a expliqué qu'ils travaillaient sur un système de liens sponsorisés à la Google. Autrement dit, les commerces, bars, restaurants pourront payer pour apparaître sur la carte des joueurs. Ils pourront ainsi avoir des Pokémons dans leur boutique pour faire venir les joueurs chez eux. Une fois à l'intérieur ils seront en mesure de proposer des réductions sur leur propres produits comme un Big Mac à moitié prix pour ceux qui chasseront le Pokémon.

Au Japon, McDonald's propose justement des arènes où les joueurs peuvent faire combattre leurs créatures dans 3.000 de ses restaurants. Aux États-Unis, la chaîne Best Buy songe aussi à proposer ce type de service. Du côté de la France, on attend la sortie du jeu avant de proposer de telles initiatives. En tout cas, si un tel éco-système réussissait à se créer autour du jeu, les revenus pourraient effectivement exploser. Et Nintendo se contenter de bien moins que la moitié de l'humanité.

Frédéric Bianchi
https://twitter.com/FredericBianchi Frédéric Bianchi Journaliste BFM Éco