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Pourquoi s'habiller américain est devenu has been

Les Etats-Unis semblent avoir perdu leur aura de prescripteur mondial en matière d'habillement. (Photo: vitrine d'American Apparel)

Les Etats-Unis semblent avoir perdu leur aura de prescripteur mondial en matière d'habillement. (Photo: vitrine d'American Apparel) - Sean Davis - Flickr - CC

American Apparel, Gap, Urban Outfitters, Abercrombie and Fitch… Les marques américaines, hier encore must-have pour la jeunesse européenne, ne font plus ni rêver ni recette.

American Apparel ne peut plus payer ses factures. La marque US emblématique dont les ventes ont dégringolé de 17% sur l'année s'est placée lundi sous la protection de la loi sur les faillites.

Le déclin de la chaîne de basiques colorés n'est pas un cas isolé au sein des griffes américaines de prêt-à-porter. Abercrombie & Fitch cumule les difficultés depuis 2012, Gap voit ses profits s'éroder inéluctablement, Urban Outfitters déçoit les attentes à chaque publication. Ces griffes chéries des ados et des jeunes adultes il y a encore quelques années semblent ne plus savoir éveiller leur appétit. Pourquoi ont-elles perdu le cool ?

> Des dépenses en textile rognées

Le gâteau à se partager s'est réduit. Les dépenses en textile et habillement ont chuté depuis la crise. Seulement dans l'Hexagone, elles ont fondu de 13% entre 2007 et 2015 selon les données de l'Institut français de la mode (IFM). Plus de 3 milliards d'euros auparavant alloués au style vestimentaire se sont évaporés du marché. "Cette part manquante, considérable, a été prise chez les acteurs les moins pertinents que sont devenues ces marques américaines", explique Yves Marin, du cabinet Kurt Salmon.

> Des collections pas assez renouvelées

"Les vêtements d'Abercrombie sont atroces"! estime Yves Marin. Les sweats à capuche barrés de logos énormes, must-have au lycée dans les années 2000, ont lassé, nuance Patricia Romatet, directrice des études à l'IFM. "Avant que la marque ne s'installe en Europe, afficher Abercrombie en énorme sur son pull était différenciant, cela montrait qu'on s'était rendu aux Etats-Unis. Mais cet effet est mort quand la marque s'est installée dans l'Hexagone", souligne la spécialiste de la mode. 

Et puis contrairement à un Zara ou un H&M chez qui les collections changent d'une semaine sur l'autre, d'où une fréquentation régulière de leurs magasins, les marques américaines s'arqueboutent sur leur produit emblématique. Pour grossir le trait, "on ne va pas retourner chez Gap chaque semaine pour voir si le fil de l'ourlet du chino a changé de couleur", pointe Yves Marin, de Kurt Salmon.

> Un modèle industriel obsolète

Ces marques en déclin pâtissent de "n'avoir pas su adopter le "fast fashion" inventé par Zara et consorts", confirme Laurent Thoumine, ex-vice-président de Celio reconverti dans le conseil chez Massive Details.

Elles ont persisté sur des cycles longs, de seulement deux collections par an, automne-hiver et printemps été. Certes, les marges brutes sont ainsi plus élevées: ces groupes promettent à leur sous-traitant de lui occuper des lignes de production un certain temps, et obtiennent des prix de production bas. Mais comme la collection est dessinée très longtemps avant d'arriver en magasin - Urban Outfitters conçoit en ce moment le vestiaire qui sera distribué dans 42 semaines-, "le risque de passer à côté de la dernière mode est démultiplié", déplore Laurent Thoumine.

Si la marque peine à écouler son stock, elle va devoir démarquer, voir même massacrer ses prix pendant les soldes, et donc réduire d'autant sa rentabilité.

Dans un cycle ultra-court à la H&M ou Zara, la collection qui arrive en linéaire a été dessinée il y a deux à quatre semaines. La différence entre coût de production et prix de vente est plus faible, mais la marge nette dépasse de loin celle des concurrentes américaines. "On achète plus cher, mais on renouvelle plus vite, on fait moins d'erreurs, on prévoit mieux, on n'a donc pas besoin de solder", résume l'ex-dirigeant de Celio. D'autant que, Zara "serait en contact avec des chercheurs du MIT pour concevoir des algorithmes qui calculent le succès potentiels d'une veste, d'une robe", assure l'ex-vice-président de la chaîne de vêtements pour hommes.

> Un rapport qualité-prix décevant

En cycle court, le cash sort et rentre dans un laps de temps très court. A l'inverse pour produire une robe dessinée 42 semaines avant, l'argent est décaissé 30 semaines avant la mise en rayon, et la ligne "crédit" ne se remplit qu'à la fin de la saison. Pour avoir de l'argent à investir dans la communication, l'ouverture de magasins et la production, les marques au modèle industriel long doivent vendre plus cher.

Problème: sur l'archétype des marques américaines, le basique à consonance sportswear, le consommateur n'a plus l'impression d'en avoir pour son argent. Notamment à cause d'un nouvel entrant bien plus performant, Uniqlo. Ses beaux cachemires, jeans bien coupés et doudounes fines, le tout à bon prix et joliment achalandé dans quelques superbes temples de la consommation. Le japonais est devenu "la référence du bon basique à excellent rapport qualité prix", loin devant Gap et American Apparel, estime Patricia Romatet, de l'IFM.

> Une communication contre-productive

Pour ne rien arranger, ces fleurons de la mode américaine ont multiplié les bad buzz ces derniers temps. Abercrombie avec l'exclusion des minorités, de ceux qui ne rentraient pas dans le moule, Urban Outfitter et ses étoles
et tee-shirts rappelant les stigmatisations nazis, qu'on pouvait choisir en couleur "noir Obama", ses sweats de fusillés, American Apparel et le sexy trop trash, les frasques de son fondateur… "Tenter d'attirer l'attention de manière scandaleuse est stratégiquement peu judicieux, surtout pour des marques qui s'adressent aux jeunes, puisque ce sont les parents qui achètent leurs vêtements" rappelle Manaf Marouane, dirigeant de The Branding Angency.

En face "Zara, H&M ne tombent jamais dans la polémique, leur image n'a jamais été écornée" continue le spécialiste des marques. Des marques européennes qui ne communiquent que très peu, concentrent leurs investissements dans le produit. Et qui ont doucement raflé sa place de prescripteur au pays qui dictait sa mode au monde. 

Nina Godart
https://twitter.com/ninagodart Nina Godart Journaliste BFM Éco