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Pourquoi tant de "pépites" françaises passent sous pavillon étranger

Les deux cofondateurs de la start-up eDevice,  Marc Berrebi (à gauche sur la photo) et Stéphane Schinazi (à droite) entourent M.Liu fondateur d'iHealth, leur nouvel actionnaire majoritaire chinois.

Les deux cofondateurs de la start-up eDevice, Marc Berrebi (à gauche sur la photo) et Stéphane Schinazi (à droite) entourent M.Liu fondateur d'iHealth, leur nouvel actionnaire majoritaire chinois. - eDevice

Nombre de start-up technologiques françaises se sont vendues récemment à des actionnaires étrangers. L'e-santé, domaine d'excellence de la France, est affecté par cette vague de rachats. Faut-il s'en inquiéter ou s'en réjouir? Explications par les intéressés eux-mêmes.

Depuis le début de 2016, une vague de sociétés technologiques françaises ont changé de main au profit d'investisseurs étrangers. Alors que le label FrenchTech fait florès et que les start-up françaises ont levé 1 milliard d'euros sur les six premiers 2016 selon le baromètre EY, beaucoup de leurs aînées, une fois lancées, choisissent de se vendre à des actionnaires internationaux, pour croître. Qu'est-ce qui motive l'engouement de nos pépites technologiques pour des cieux étrangers, pas toujours plus cléments?

L'opération la plus emblématique à cet égard fut le rachat en juillet 2016 de Medtech. Le fleuron français du robot chirurgical, originaire de Montpellier, est tombé dans le giron de la firme américaine Zimmer Biomet. Ce géant mondial de la chirurgie orthopédique a misé sur la start-up française, cotée en bourse, dans le cadre d'une transaction la valorisant près de 164 millions d'euros.

Medtech n'a reçu aucune offre de rachat française

Revenant sur les motivations qui l'ont conduit à céder son entreprise, Bertin Nahum, son fondateur, s'expliquait. "Nous n'étions pas vendeurs. Nous avons eu différentes offres dont certaines ont été refusées. Aucune offre française n'est d'ailleurs apparue sur la table. Nous bénéficions d'un écosystème en France très favorable pour l'innovation et créer des emplois qualifiés. Mais, j'étais parvenu à un point où je devais lever des fonds de façon extrêmement importante pour poursuivre l'aventure. Or, ces fonds se trouvent aux États-Unis, notamment sur le Nasdaq. Si j'avais opté pour cette option, Medtech n'aurait plus été, de fait, détenue par des capitaux français, devenant une société étrangère. J'ai préféré une autre option plus adaptée au projet entrepreneurial que je souhaitais mener" soutenait Bertin Nahum sur l'antenne de BFM Business.

Le son de cloche est un peu différent, chez le cofondateur d'eDevice, Marc Berrebi, pour expliquer les raisons qui poussent les start-up françaises à se jeter dans les bras d'actionnaires étrangers. Sa société, spécialiste de la santé connectée et basée près de Bordeaux, a été cédée il y a quelques semaines à iHealth, firme chinoise du groupe Andon, pour 94 millions d'euros. 

"Je reste persuadé qu'une entreprise française qui a un savoir-faire et un fort potentiel peut trouver en Europe des fonds importants comme a su le faire Blablacar. En revanche, je m'interroge. Quatre sociétés françaises expertes dans l'e-santé ont été coup sur coup rachetées dans le cadre de transactions à plus de 100 millions de dollars" explique l'entrepreneur français.

eDevice réalise 99% de son activité hors de France

Selon lui, plusieurs dysfonctionnements majeurs pénalisent l'écosystème français de la création d'entreprise qu'il juge par ailleurs, comme le fondateur de Medtech, très propice à l'innovation. "Je déplore qu'il n'y ait pas de dynamique de marché en France pour des entreprises comme la nôtre. Songez qu'eDevice réalise encore 99% de son chiffre d'affaire à l'exportation alors que toutes les conditions sont réunies pour que le marché de la santé connectée soit promis à bel avenir dès à présent" soutient Marc Berrebi. "Quand on n'a pas de marché national pour se développer, l'apport d'une société étrangère vous aide à conquérir les marchés internationaux" renchérit l'entrepreneur.

Comme Bertin Nahum, de Medtech, Marc Berrebi a aussi constaté l'absence de propositions de rachat émanant de sociétés françaises. "Nous avons eu plusieurs offres d'acquisition mais aucune sérieuse ne provenait de firmes françaises" souligne-t-il.

Dans le prolongement de ce constat, le cofondateur d'eDevice déplore aussi l'approche de l'innovation, plutôt conservatrice, des grandes sociétés nationales. Marc Berrebi souligne enfin les difficultés qu'éprouve souvent au quotidien une start-up innovante à faire affaire avec les grands acteurs et industriels français. Un constat qui n'est pas sans évoquer les difficultés que Sigfox, reconnu à l'étranger, a eu pour vendre sa technologie de réseau bas débit pour l'internet des objets aux opérateurs français. Orange et Bouygues Telecom lui ont préféré une autre technologie... 

La longue liste des start-up passées récemment sous pavillon étranger...

-Capsule (e-santé) rachetée par le géant américain des puces télécoms Qualcomm en septembre 2015

-Captain Train (e-commerce): racheté par le britannique Trainline en mars 2016

-Withings (e-santé) : acquise par l'industriel finlandais Nokia en mai 2016

-Epawn (réalité virtuelle) : rachetée par la société suédoise Starbreeze en juin 2016

-Moodstock (intelligence artificielle): acquise par le géant américain Google en juillet 2016

-Medtech (robotique chirurgicale): rachetée par la société américaine Zimmer Biomet en août 2016

-E-Device (e-santé): acquise par la société chinoise iHealth en août 2016

-Norskale (logiciels) racheté par l'éditeur américain Citrix en septembre 2016

Frédéric Bergé
https://twitter.com/BergeFrederic Frédéric Bergé Journaliste BFM Éco