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Pourquoi Vincent Bolloré abandonne la présidence de Canal Plus

Chez Havas, Vincent Bolloré a été remplacé par son fils Yannick

Chez Havas, Vincent Bolloré a été remplacé par son fils Yannick - AFP Eric Piermont

L'industriel cède la présidence du conseil de surveillance de la chaîne cryptée à un proche. Cela lui permet de réduire le nombre de ses mandats de dirigeant -même si en pratique cela ne change pas grand chose...

Mardi 10 avril 2018, Canal Plus a annoncé que Vincent Bolloré quittait la présidence du conseil de surveillance de la chaîne, qu'il avait prise en septembre 2015.

En pratique, cela ne devrait pas changer grand chose. On voit mal l'industriel breton ne plus se mêler de près des affaires de la chaîne. Dans le passé, il s'est personnellement impliqué pour choisir des animateurs (Maïtena Biraben...), contacter des humoristes (Florence Foresti, Gad Elmaleh...), relire les textes des Guignols...

Grand cumulard

Concrètement, Vincent Bolloré est remplacé par un de ses fidèles, Jean-Christophe Thiery, qui était président du directoire. Cette dernière place est désormais occupée par Maxime Saada, jusqu'à présent directeur général.

"Vincent Bolloré considère que l'essentiel des actions qui devaient être lancées pour le redressement de Canal Plus ont été lancées, qu'on est maintenant sur la voie du redressement, avec une dynamique extrêmement forte à l'international, et en France depuis septembre de premiers résultats de redressement de notre portefeuille d'abonnés", a expliqué Maxime Saada sur France Info.

Mais cette évolution est peut être aussi due à des raisons de gouvernance. En effet, comme en politique, le cumul des mandats à la tête d'entreprises est aussi limité, à la fois par le code du commerce et le code Afep/Medef (cf. encadré ci-dessous). Or Vincent Bolloré est un grand cumulard: il détient jusqu'à présent des mandats sociaux (administrateur, président, directeur général...), dans 36 sociétés, dont 14 sociétés cotées.

Toutefois, le code Afep/Medef accorde une dérogation aux sociétés financières dont "l'activité principale est d'acquérir et de gérer des participations". Notre homme a donc décrété que telle est bien "l'activité principale" du groupe Bolloré, indique le rapport annuel. Tant pis pour ceux qui pensaient que Bolloré était un groupe industriel... Mais grâce à cela, notre homme affirme rentrer dans les clous du code Afep/Medef.

Pour échapper aux règles du non cumul, Vincent Bolloré se fait aussi remplacer par des fidèles. Chez Havas, il a quitté le conseil d'administration en 2013, transmettant la présidence du conseil à son fils Yannick. Chez Mediobanca, il a quitté le conseil d'administration en 2012, mais y a fait rentrer juste avant son vieux complice Tarak Ben Ammar, puis sa fille Marie. Enfin, chez Telecom Italia, il a fait nommer une série de proches au conseil d'administration, dont Arnaud de Puyfontaine.

Admonestation publique

La gouvernance version Vincent Bolloré pose un autre problème. Le code du commerce permet d'être dirigeant opérationnel d'une seule société cotée en Bourse. Notre homme a donc choisi d'être directeur général du groupe Bolloré. Chez Vivendi (qui est aussi côté en bourse), il a officiellement un poste non opérationnel, celui de président du conseil de surveillance. Idem chez Havas (autre société cotée), où il était président non exécutif. Mais c'est purement théorique, car en pratique, notre homme se mêle abondamment de la direction opérationnelle...

Résultat: l'industriel breton s'est fait tirer les oreilles par le Haut comité de gouvernement d'entreprise (HCGE), chargé de surveiller l'application du code Afep-Medef. Fait rarissime, le HCGE a décidé de rendre cette admonestation publique dans son dernier rapport annuel, paru en octobre:

"le Haut comité s’est interrogé sur l’adéquation de la description des fonctions du président du conseil de surveillance de Vivendi selon le rapport annuel de cette société, et la réalité de ces fonctions telle qu’elle apparaît dans la relation des opérations conduites par le groupe. Au terme d’un dialogue avec la société Vivendi, le Haut comité a pris acte de ce que celle-ci s’engageait à définir ces fonctions et à améliorer sa communication sur ce point".

Pire: selon le site les Jours, le HCGE avait écrit à Vincent Bolloré en janvier 2017 pour lui reprocher: "Il apparaît que vous intervenez plus comme dirigeant exécutif qu’en tant que président du conseil de surveillance, chargé selon la loi de le convoquer et d’en diriger les débats. Cette impression est renforcée par l’influence que vous donne votre position de premier actionnaire de la société". La lettre souligne son "implication personnelle dans la conduite des affaires du groupe, tant internes qu’externes, et notamment dans des domaines qui pourraient relever des missions d’un conseil d’administration que d’un conseil de surveillance". Elle déplore aussi d'"autres déviations et manquements d’information" par rapport au code Afep-Medef.

Suite à ces admonestations, Vincent Bolloré a réduit ses interventions lors de l'assemblée générale d'avril 2017, et a rajouté dans le rapport annuel de Vivendi une page sur les rôles respectifs du directoire et du conseil de surveillance. Cette page indique:

"Dans le cadre de l’exercice de ses prérogatives de supervision et de contrôle, le conseil de surveillance examine et arrête les orientations stratégiques de la société [Vivendi]...
Le président du conseil de surveillance [Vincent Bolloré], qui contrôle lui-même le premier actionnaire de Vivendi [le groupe Bolloré], agit aussi en cette qualité lorsqu’il contribue, dans le meilleur intérêt du groupe [Vivendi], à la détermination des orientations straté­giques de Vivendi, comme tout actionnaire de référence impliqué. En dehors de ce domaine d’implication du président du conseil de surveillance, aucune mission ne lui a été confiée par le conseil de surveillance. Il exerce par ailleurs les prérogatives prévues par la loi et les statuts".

Le conseil de surveillance de Canal Plus (en février 2018)

Vincent BOLLORE (président)

Hervé PHILIPPE (vice-président)

Arnaud ROY DE PUYFONTAINE

Frédéric CREPIN

Stéphane ROUSSEL

Simon GILLHAM

Marc TAIEB

Laeticia CHEKROUN

Marie-Annick DARMAILLAC

Stéphanie FERRIER

Laurence GALLOT

Francine MAYER

Source: Bodacc

Les règles sur le cumul

Selon le code du commerce:
-une même personne ne peut exercer des mandats (directeur général, membre du directoire, administrateur, membre du conseil de surveillance) dans plus de cinq sociétés françaises. Mais les mandats dans les filiales non cotées et contrôlées par ces cinq sociétés ne sont pas pris en compte (article L 225-21)
-un dirigeant opérationnel (directeur général, membre du directoire) d'une société cotée de grande taille (plus de 5.000 salariés en France ou plus de 10.000 salariés dans le monde) ne peut exercer plus de deux autres mandats dans des sociétés françaises cotées. Mais les mandats dans les filiales non cotées et contrôlées par ces sociétés ne sont pas pris en compte. Les mandats exercés par le dirigeant opérationnel d'une société qui a pour activité principale d'acquérir et de gérer des participations ne sont pas non plus pris en compte (article L 225-94-1)
-Une même personne ne peut être dirigeant opérationnel (directeur général, membre du directoire) dans plus d'une société française cotée. Mais le dirigeant opérationnel d'une société peut être dirigeant opérationnel de sociétés non cotées. Et une même personne peut être exercer deux mandats de dirigeant opérationnel dans une société mère et dans une de ses filiales (article L 225-54-1)

Selon le code Afep/Medef:
-une même personne ne peut exercer des mandats dans plus de cinq sociétés, françaises ou étrangères
-un dirigeant opérationnel d'une société ne doit pas exercer plus de deux autres mandats dans des sociétés cotées extérieures à son groupe, françaises ou étrangères. Cette limite ne s'applique pas aux mandats exercés par un dirigeant opérationnel dans les filiales et participations des sociétés dont l’activité principale est d’acquérir et de gérer de telles participations

Jamal Henni