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Les prix et l'emploi, principales victimes du rachat de SFR

Bouygues ou Numericable auront payé SFR tellement cher qu'ils ne pourront plus casser les prix

Bouygues ou Numericable auront payé SFR tellement cher qu'ils ne pourront plus casser les prix - Crédits photo : nom de l'auteur / SOURCE

Malgré les belles promesses de Bouygues et Numericable, les expériences passées ou étrangères montrent que le rachat d'un opérateur se traduit par des salariés en moins, des investissements en moins, et des tarifs en hausse.

Tous les opérateurs télécoms racontent ces jours-ci un joli conte de fées: le rachat de SFR ne nuira ni à l'emploi, à l'investissement, ni aux prix. C'est la fable que souhaite entendre le gouvernement, qui le reprend donc à son compte.

En réalité, ce conte de fées ne résiste pas à l'analyse. Les exemples passés ou étrangers montrent que la disparition d'un opérateur se traduit par une hausse des prix, une diminution de l'effectif et des investissements. Revue de détail.

> 1-Les prix

Si Orange, SFR et Bouygues plaident pour une réduction du nombre d'opérateurs, c'est parce qu'ils espèrent que cela réduira la concurrence, ce qui leur permettra de remonter leurs tarifs et, par là, leurs marges.

Le ministre du Redressement productif Arnaud Montebourg ne s'en cache même pas, réclamant "l'arrêt de la guerre des prix".

De toute façon, Bouygues ou Numericable vont dépenser tellement d'argent pour racheter SFR qu'ils ne pourront plus, ensuite, casser les prix. Chez l'un comme l'autre, le rachat de SFR est financé par un lourd endettement (8 milliards d'euros). Et cette dette devra être remboursée par les profits futurs de SFR, qui devront donc être conséquents. Comme l'écrivent les analystes d'Oddo: "en cas de rachat de SFR par Numericable dans le cadre d'un LBO, la dette du nouveau groupe le contraindra à adopter une discipline tarifaire plus forte, autant dans le fixe (fin des promotions) que dans les mobiles". Le même raisonnement vaut pour un rachat par Bouygues.

Cette contrainte s'impose déjà à Numericable depuis son rachat par endettement au milieu des années 2000. Depuis, le câblo-opérateur n'a jamais été l'acteur le moins cher du marché. Au contraire, il a régulièrement augmenté ses tarifs.

C'est aussi ce qui est arrivé en Autriche, où le nombre d'opérateurs a été réduit de 4 à 3 il y a un an. Depuis, les prix ont augmenté de +18,7%, selon l'organisme autrichien des statistiques.

Dans ce pays, le prix des forfaits pour smartphones a augmenté de +60%, selon le cabinet Rewheel. Le prix des forfaits à 2 gigaoctets (Go) a même doublé... "Un client cherchant un forfait avec plus d'un Go devra maintenant payer 15 à 20 euros par mois, contre 10 à 15 euros avant", pointe le cabinet.

> 2-L'emploi

Le rachat de SFR par Bouygues ou Numericable va générer des doublons dans à peu près toutes les fonctions de l'entreprise: technique, boutiques, marketing... Le maintien de l'emploi -que promettent les deux candidats- paraît donc irréaliste.

En cas de rachat par Bouygues, "c’est entre 10% et 20% des effectifs qui pourraient être menacés au bas mot (soit 1.600 à 3.000 postes), dont une partie en région, sans compter les boutiques de Bouygues", prédit ainsi une étude du cabinet Sextant commandée par les représentants du personnel de SFR.

Certes, Bouygues Telecom promet de ne mener aucun plan de départ. Mais en 2013, l'opérateur avait mené un plan de départs volontaires de 556 postes.

Ce n'est pas mieux chez Numericable, où deux plans de sauvegarde de l'emploi ont été menés après le rachat de Noos, supprimant 1.139 postes. Au total, l'effectif a quasiment été divisé par deux depuis 2006. Parallèlement, les centres d'appels ont tous été délocalisés en Tunisie et au Maroc (chez Bouygues Télécom, ils sont restés en interne et en France).

Les exemples étrangers vont dans le même sens. "Aux Etats-Unis, le passage de 11 à 4 opérateurs s'est traduit par une baisse de 35% des effectifs", déclarait en juillet 2013 le président de l'Autorité de la concurrence Bruno Lasserre, s'appuyant sur une étude de l'OCDE.

Le gendarme de la concurrence concluait: "moins d'opérateurs ne veut pas dire plus d'emplois. La consolidation n'est pas favorable à l'emploi".

Mise à jour le 13 mars: dans une interview aux Echos, Xavier Niel indique que Patrick Drahi (principal actionnaire de Numericable) a fait passser de 4.500 à 2.000 le nombre de salariés de son opérateur israélien Hot.

> 3-L'investissement

Là encore, on comprend aisément qu'un réseau en moins signifiera moins d'investissement, moins de commandes aux constructeurs, etc.

Les deux candidats chiffrent même, dans leurs argumentaires destinés aux analystes financiers, ce qu'ils dépenseront en moins par rapport à ce qu'ils auraient dépensé en restant seul -ce qu'on appelle pudiquement les "synergies".

Ainsi, Numericable promet 1,2 milliard d'euros de dépenses en moins chaque année, dont 400 millions d'euros pour l'investissement. De son côté, Bouygues promet 1,4 milliard d'euros de dépenses en moins par an, dont 280 millions d'euros pour l'investissement.

Chacun des deux candidats promet aussi d'acheter français, une musique douce aux oreilles d'Arnaud Montebourg. Mais là encore, le passé ne plaide pas en leur faveur, car la majorité de leurs fournisseurs sont étrangers.

Ainsi, chez Bouygues, le réseau mobile est fourni par le suédois Ericsson et le chinois Huawei, qui fournit aussi le réseau ADSL. Toutefois, la filiale du groupe de BTP a passé quelques commandes à Alcatel-Lucent: le réseau en fibres optiques, des routeurs Internet, et le mois dernier une partie de la voix sur 4G (un des quatre lots).

De son côté, Numericable fournit dans son prospectus d'introduction en bourse la liste de ses fournisseurs: ils sont américains (Cisco, Ciena, Netgear, Arbor), canadien (Pro-Cable), suisse (Nagra), chinois (Huawei) et taïwanais (Castlenet). Son seul fournisseur français est Sagemcom, qui fabrique ses box. Toutefois, ce constructeur est détenu à 70% par le fonds américain Carlyle. Si sa R&D est en France, ses box sont fabriquées en Ukraine et surtout en Tunisie.

Mise à jour le 12 mars: dans une interview aux Echos, Patrick Drahi déclare: "nos fournisseurs -Alcatel, Sagemcom, Technicolor- sont français, et pas asiatiques". Et dans une lettre au gouvernement, il écrit: "Altice et Numericable ont toujours privilégié les fournisseurs français, comme par exemple Alcatel, SagemCom, Technicolor, Draka, Webhelp".
Pourtant, aucune de ces cinq sociétés ne figurent dans la liste des fournisseurs de Numericable publiée dans le prospectus d'introduction en bourse.
Interrogé mercredi 12 mars, le PDG Eric Denoyer a répondu: "le volume d'affaires réalisé avec Alcatel et Technicolor n'est pas suffisant pour qu'ils soient cités dans le prospectus. Technicolor est un de nos fournisseurs historiques de box. Et Alcatel nous fournit des équipements de transmission optique WDM".

Le titre de l'encadré ici

|||L'effectif de Numericable (hors Completel)

2006: 2581
2007: 1534
2008: 1469
2009: 1329
2010: nc
2011: 1133
2012: 1147

Source: comptes consolidés et prospectus obligataires d'Ypso France SAS

NB: de 2006 à 2009: effectif moyen. 2011: effectif au 30 septembre. 2012: effectif au 30 juin

Jamal Henni